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Témoignage sur la révolte des Natchez en 1729

Voici un extrait d’un livre témoignant de la colonisation de la Louisiane. Le titre du chapitre parle de massacre, ce qui est un fait réel. Je parle plutôt de révolte car c’est en écho à un autre fait réel évoqué : la menace d’envoyer le grand chef Natchez en France si les Indiens ne se pliaient pas, une fois de plus, aux exigences de Chopart. Vous pouvez accéder à tout le livre sur Gallica en cliquant ICI.

Jean-Paul Damaggio

 

 

Mémoires historiques sur la Louisiane : contenant ce qui y est arrivé de plus mémorable depuis l'année 1687 jusqu'à présent : avec l'établissement de la colonie française dans cette province de l'Amérique septentrionale sous la direction de la Compagnie des Indes : le climat, la nature, les produits. 1753.

 

CHAPITRE XXVIII.

Massacre général des Français par les Natchez

 Après avoir tracé en idée, ainsi que je viens de le dire, le plan de la nouvelle habitation, le sieur Chopart suivi de sa compagnie alla voir le grand Chef dont il fut très-bien reçu. Le sieur Ricard, garde-magasin servait d’interprète. Ils burent et se réjouirent ensemble, et passèrent la nuit à faire la débauche jusques vers les trois heures du matin, que les Français se retirèrent au Fort pour s’y délasser de leurs fatigues.

Cependant les fatales allumettes étaient parvenues à leur fin, & ce jour-là même les Sauvages devaient exécuter l'horrible complot qu'ils avaient prémédité. Quoiqu'ils eussent tenu leur entreprise fort secrète, elle n'avait pas laissé de transpirer ; quelques filles & femmes Sauvages qui aimaient les Français, & dont quelques-unes leur servaient même de maitresses, n'avaient pu s'empêcher de leur découvrir toute l'intrigue, & de leur dire de prendre garde à eux lorsque le grand Chef viendrait présenter le Calumet au Commandant, les avertissant que leurs gens devaient se servir de ce signe de paix, pour cacher le dessein qu'ils avaient formé d'égorger tous le Français de la contrée. Le sieur Papin interprète en fut informé, ainsi que le sieur Macé, Sous - Lieutenant de la garnison du Fort, & quatre ou cinq autres personnes. On leur avait même marqué le jour où devait se faire cette sanglante exécution ; c'était le 29 novembre, veille de St. André. Sur ces avis, à peine le sieur Chopart fut rentré chez lui, que le sieur Macé qui d'ailleurs était son compère, vint lui rendre compte de ce qu'il avait appris ; mais bien loin d'y faire la moindre attention, le Commandant le traita de lâche & de visionnaire, lui reprochant qu'il cherchait à lui en imposer, en voulant lui donner mal propos des soupçons contre une Nation amie, dont il n'y avait encore qu'un infant qu'il avait été parfaitement bien reçu, & pour récompense de ses avis il lui donna ordre de se rendre aux arrêts. Un moment après le Sr. Papin étant venu lui faire le même rapport, loin de l'écouter, il le fit mettre aux fers ainsi que quatre ou cinq autres. Après cela il alla se mettre au lit, ayant ordonné auparavant au Sentinelle qui était en faction à sa porte, de ne laisser entrer personne chez lui avant neuf heures du matin.

Il est certain qu'averti comme il l'était, il pouvoir très facilement, s'il l'eût voulu, prévenir le malheur qui arriva ; il aurait suffi pour dissiper l’orage, de faire mettre les troupes sous les armes & tirer un seul coup de canon à poudre. Mais soit que vin & la bonne chère lui eussent troublé le jugement, soit qu'il fût prévenu mal à propos en faveur des Sauvages ; ou même qu'il ne les crut pas capables d'oser jamais exécuter un tel dessein, il ne voulut prendre aucunes mesures pour s'y opposer ; & comme ses injustices étaient le principe du mal, il acheva par son opiniâtreté de le rendre absolument incurable.

Pendant ce temps-là, les Sauvages se disposaient à jouer le dernier acte de cette sanglante tragédie & afin de prendre, pour ainsi dire, tous les Français d'un seul coup de filet, ils s'étaient dispersés par troupes, les uns à la Terre blanche, d'autres à Ste. Catherine ou au Fort, où les Soldats de la garnison avaient leurs fusils, à la vérité, mais pas un seul coup de poudre. Il n'y avait pas un seul habitant, chez lequel quelque Sauvage ne se fut rendu sous différents prétextes ; les uns apportaient aux Français ce qu'ils pouvaient leur devoir ; d'autres venaient prier leurs amis de leur prêter leurs fusils pour tuer, disaient-ils, un ours ou un chevreuil qu'ils avaient vu proche de l'habitation ; quelques-uns aussi feignaient de vouloir traiter quelques marchandises ; & où il y avait trois ou quatre Français ensemble, il s'y trouvait au moins une douzaine de Sauvages, qui avaient ordre de leur Chef de ne point agir qu'au signal qu’il leur avoir donné.

Ces mesures étant prises, on vit le grand Chef partir de son Village, accompagné de ses Guerriers & de tous ses Considérés avec le Calumet au vent, frappant sur le pot de cérémonie, & portant au Commandant Français la récompense qu'il avait exigée pour les deux Lunes de délai qu'il avait accordées aux Sauvages ; des volailles, des pots d'huile, du blé, des pelleteries, &c. Cette troupe passe au pied du Fort, chantant & faisant voltiger le Calumet à la vue de tous les Soldats de la garnison, qui étaient accourus pour voir cette marche. Les Sauvages s'avancent ainsi en cadence & à pas comptés vers la maison du Commandant, qui dort cependant sans songer à tant de biens qu'on lui apporte. Ils passent sur leur route proche de l'ancien magasin de la Compagnie, où demeurait le sieur Ricard, qui était déjà levé, & qui était descendu au bas de la côte où il faisait décharger la galère, afin de mettre en sureté les effets et marchandises qu'elle avait apportées pour ce poste. Ils arrivent enfin la maison du sieur Chopart, qui s'étant réveillé au bruit que faisait celui qui frappait sur le pot, & aux cris que faisaient les Sauvages, se lève en robe le chambre, & fait entrer tout ce cortège. On lui offre à fumer, on met ses pieds les présents qu'il a exigés pour ne pas envoyer sur la galère le grand Chef des Natchez pieds & poings liés à la Capitale. Que de biens étalés aux pieds de ce Commandant que de cruches pleines d'huile arrangées dans sa chambre ! Il admire ces présents avec complaisance, se riant intérieurement de la vaine crédulité de ceux qui ont voulu lui donner des soupçons contre ses amis les Sauvages ; il ordonne qu'on les mette en liberté, afin qu'ils soient témoins eux-mêmes de ce qui se passe, et qu'ils voient s'il est probable que ces gens qui le comblent de tant de biens, aient pu former le noir complot d'égorger tous les Français. On chante, on danse ; pendant ce temps-là, une troupe de ceux qui accompagnaient le grand Chef, se détache, se rend au bord de l'eau où l'on déchargeait la galère. Là, chaque Sauvage choisit son homme, le couche en joue, le tire & le jette mort sur la place. A ce signal auquel tous les autre Sauvages étaient attentifs, on fait de tous côtés main basse sur les Français : en moins de demi-heure il en périr plus de sept cents, les uns percés de leur propres armes, les autres égorgés ou assommés. De toute la garnison, il ne se sauva qu'un seul soldat. Le sieur Macé sortant des arrêts, fut tué en rentrant chez lui : les sieurs Coly père et fils, arrivés la veille, furent massacrés à leur Concession de Ste. Catherine avec le sieur de Longraye qui en était régisseur ; la même chose arriva au sieur Desnoyers, régisseur de la Terre blanche. Il était arrivé le matin même des Yazoux plusieurs pirogues, avec le Commandant Français de ce poste appelé le sieur Coder accompagné d'un R. P. Jésuite : tous deux furent enveloppés dans le malheur commun ; & les Sauvages enlevèrent la chevelure au Commandant, parce qu'il l'avait fort longue & très belle. Je ne finirais point, si je voulais exprimer toutes les cruautés que les Sauvages exercèrent alors contre des gens qu'ils avaient autrefois tant aimés. Il y eut plusieurs femmes Françaises, qui voulant prendre la défense de leurs maris ou venger leur mort sur leurs meurtriers, furent elles mêmes impitoyablement égorgées par ces barbares.

 

Au milieu de ce massacre général de tous les Français, le lieur Chopart vivait encore, comme si la Providence eût voulu le réserver pour être témoin de la destruction de tant d'habitants qui ne périssaient que par sa faute. Il la reconnut enfin, mais trop tard ; & se levant de dessus sa chaise, au lieu de prendre son fusil & de se mettre en défense, il se sauva dans son jardin, où il donna un coup de sifflet pour appeler les soldats de la garnison. Mais ils n'étaient plus & il pouvait voir tout autour de lui au travers de la palissade qui fermait son jardin, la terre jonchée de leurs cadavres. Lui-même est environné des Sauvages, qui ne respirent plus que sa mort : cependant aucun d'eux ne veut porter la main sur lui ; ils le regardent comme un chien, indigne d'être tué par un brave homme & ils font venir le Chef Puant qui l'assomme d'un coup de massue.

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