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Hier, à Caussade grâce à l’association MER 82 et au cinéma une soirée a été consacrée aux Brigades internationales. Dans le débat une personne a rappelé le cas de Marcel Thourel. Pour appuyer cette intervention voici ce que ce militant écrit dans son livre Itinéraire d’un cadre communiste 1935-1950 du Stalinisme au Trotskysme publié chez Privat en 1980. Son premier voyage évoqué ici se situe après les événements de mai de Barcelone, qui opposent anarchistes et communistes. L’article est en trois partie. JPD
P.S. : Nous avons publié dernièrement de Marcel Thourel son texte sur Razoua
"4. Mon premier passage
Le 7 mai 1937, je faisais moi-même mon premier passage en Espagne en suivant la filière Toulouse-Barcelone, accompagné de F... qui me servait de courrier. Après une halte chez Cristofol, nous quittions Bourg-Madame et en longeant le torrent, nous remontions jusqu'à Puigcerda. Un bataillon d'un régiment de carabiniers occupait la ville qui venait d'être reprise aux anarchistes après l'incendie de l’église.
Le soir, repas à l'hôtel et premier contact avec la faim, qui sera le lot commun de tous ceux qui ont séjournée en Espagne à cette époque. De ce premier contact avec ce pays dont le seul nom me fait encore vibrer, j'ai gardé en mémoire quelques souvenirs qui, s'ils s'accommodent plus de l'anecdote que de l'histoire n'en sont pas moins révélateurs de situations. Au menu du soir, seulement des haricots bouillis à l'eau. Pour les améliorer, je les assaisonnais d'une huile d'olive d'un goût si détestable qui les rendit parfaitement immangeables. Le lendemain matin, avec les délégués de la commission militaire permanente, maintenant contrôlée par le parti communiste espagnol, nous mettons sur pied un dispositif qui va permettre de réceptionner tous les convois que nous allons faire passer. Il est entendu que le « passeur », responsable du convoi venant de France, assumera sa responsabilité jusqu'aux dépôts des Brigades à Figueras ou Barcelone ; la commission militaire permanente devant seulement assurer la réception. L'irrégularité des horaires des transports ferroviaires nous fit attendre, F... et moi, pendant seize heures, la formation d'un tram. Nous partons le 9 en début de matinée pour atteindre Barcelone dans la nuit. Voyage des plus pittoresques, mais aussi des plus inconfortables, agrémenté d'un contrôle policier de deux « flics » très méfiants à notre égard malgré les laisser-passer dont nous étions pourvus. Il s'agissait, je lesai retrouvés par la suite, de policiers appartenant à la C.N.T. d'obédience anarchiste qui ne voyaient pas d'un bon œil l'arrivée de volontaires communistes dans leur pays, et on les comprend, à la suite des événements qui venaient de se dérouler en Catalogne et de ce que l'on a appris par la suite. Nous sommes arrivés à la gare du Nord, à Barcelone, dans la nuit du 9 au 10 mai. Nouvel interrogatoire au commissariat de la gare par nos deux « compagnons » de voyage. Après vérification téléphonique au siège du PSUC où j'avais été accrédité par Paris, on nous conduit en voiture à l'hôtel Colon, place de Catalogue.
Curieux réveil au matin; une partie du mur de la chambre donnant sur la Place de Catalogue avait été emportée lors d'un récent bombardement. Une couverture masquait l'orifice. Fatigué, la veille en arrivant à l'hôtel, je m'étais endormi sans remarquer ce détail. Heureusement que je n'étais, ni ne suis somnambule ; ma chambre était au sixième étage ! Les bombardements de nuit par l'aviation italienne basée à Majorque, étaient très fréquents sur Barcelone. Il me souvient d’une nuit où, pendant une alerte, je remarquais par le « trou » de ma chambre des signaux lumineux venant du bosquet situé au centre de la place de Catalogue.
Le garde de l'hôtel, avertie, envoya quelques rafales de mitrailleuse vers le bosquet où, le matin, on découvrit trois cadavres. Un exemple du sale travail, d'agents de la « 5éme colonne», signalant le centre de la ville pour un meilleur repérage par les avions ennemis.
Il faisait terriblement faim, à Barcelone, en cette période de mai 37, et par la suite aussi d'ailleurs. Le « Négus », un camarade de Toulouse que j'avais rencontré sur place, où il était en mission, m'avait indiqué un restaurant français, dans la troisième rue à droite, en descendant Las Ramblas de las Floras, où, m'avait-il assuré, on pouvait manger à peu près convenablement. Nous y allâmes, F... et moi, et, en fait de gueuleton, nous eûmes droit à un artichaut et aux cent grammes de pain réglementaires ; c'était peu pour des estomacs affamés. Je revins quelquefois à ce restaurant français. Le menu était invariable, exception faite d'un repas où il me fut servi un œuf et une portion de salade.
Un soir je fus invité à dîner par le colonel et l'état-major, commandant le régiment de carabiniers, cantonné à Barcelone. L'objet de cette invitation : il venait de Valence d'où il ramenait deux mitrailleuses russes, quelques sacs de pommes de terre, et un peu de café. La répartition équitablement faite sans distinction de grade, nous nous régalions de pommes de terre bouillies, lorsque l'alerte aérienne fut donnée. Par discipline, nous avons rejoint les abris, impatients de reprendre le repas interrompu. Moi qui ne suis pas très friand de ce légume, je reconnais avoir fait ce soir-là, un des repas mémorables de ma vie.
Mon séjour devant se prolonger, je renvoyais F... en France, avec des instructions pour les premiers passages qui allaient commencer à la fin du mois. Je fus retardé par l'absence d'Hans Better, qui s'occupait en France du recrutement d'émigrés antifascistes Allemands et Italiens pour les 11e et 12e Brigades Internationales. Nous devions travailler ensemble pour l'acheminement des volontaires Allemands et Italiens par nos filières. Il arriva à notre rendez-vous avec plusieurs jours de retard. Entre-temps, j'avais eu une entrevue avec Juan Comorera, secrétaire général du PSUC (parti socialiste unifié de Catalogne).
Enfin, les 17 et 18 mai, nous pûmes tenir des réunions de travail auxquelles participaient un représentant du PSUC., un représentant de la direction du syndicat des cheminots (pour le transport des volontaires), Hans Better, un délégué du commissaire aux effectifs de l'état-major des Brigades, un délégué des places de Figueras et Puigcerda. En deux jours de travail, nous avions mis sur pied un dispositif qui fonctionnera dans les meilleures conditions, jusqu'en février 1939. Pendant la mise en place de ce dispositif, les envois continuaient par Perpignan ou par mer, tant que les autorités « fermaient les yeux ».
Mon travail en Espagne terminé, je rentrais en France. Je profitais d'un camion militaire qui me ramena à Puigcerda. Je fis le voyage avec deux officiers qui, pour m'être agréables, m'offrirent à déjeuner dans une petite auberge de Ripoll. Après une heure d'attente, une vieille dame nous servit un poulet famélique, certainement unique dans son genre ; il n'avait, et l'expression n'est pas imagée, que la peau et les os. La bonne dame s'excusa de cette maigre chère et nous reprîmes la route sur notre faim. De Puigcerda, je passais la frontière, dans les mêmes conditions qu'à l'aller, en fin d'après-midi. A la Tour-de-Carol, j'avais une demi-heure à attendre avant le départ du train pour Toulouse. J'allais au buffet de la gare avec une telle faim à satisfaire, que je n'eus pas la force, lors du départ du train, de me lever de table. Enfin rassasié, je couchais à la gare et ne partis que le lendemain pour Toulouse." Marcel Thourel