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Lecture politique de l’insécurité au Venezuela

Pendant notre séjour chilien nous avons pu suivre l’élection présidentielle du Venezuela. Dans un hôtel avec télé, nous avons vu sur CNN Chile, juste avant les élections, de nombreux reportages équilibrés sur la question. Autant de temps pour Capriles que pour Chavez ! La dernière conférence de presse du président (la campagne étant close le candidat Chavez ne pouvait s’exprimer) fut retransmise en entier. Il s’agissait de parler de questions générales et à la journaliste espagnole Chavez demande : « D’où vous êtes en Espagne ? » « Du nord » dit-elle, ce qui incite Chavez à ce commentaire : « Donc vous êtes proche des Pyrénées… » Même Chavez ne peut tout connaître et il a beau citer Heidegger, rappeler qu’aux USA il voterait Obama, il bavarde surtout.
La gauche chilienne soutenait largement Chavez et je vais prendre le cas du mensuel El Ciudadano qui se réjouit de la victoire mais… en toute lucidité. D’où le paragraphe sur l’insécurité montante au Venezuela… avec des chiffres. En 1990 le taux était de 6 morts par assassinat pour 100 000 habitants. En l’an 2000, il était de 37 et en 2009 de 44. Pour 2011, ce sont 19 336 personnes assassinées ce qui fait un taux de 60, toujours pour 100 000 habitants.
Débarquant en France j’entends Mélenchon répondre sur le sujet : « C’est un problème général, voyez au Mexique et même en France. Quand nous serons au pouvoir notre premier adversaire, ce seront les cartels de la drogue. »
Cette question du crime organisé est soit négligée, soit détournée, soit manipulée et toute pirouette en guise de réponse est une faute politique, car la question n’est pas technique, policière, ou pire inévitable.

Nature de l’insécurité
Chavez est un militaire au pouvoir depuis quatorze ans et en effet il a accédé aux affaires au moment de la montée générale du crime organisé aux Amériques. La première leçon c’est que même en tant que militaire, même avec des politiques sociales, le pays n’a pas pu échapper à la tendance générale. J’étais au Venezuela en 2005 et c’est dans le camp Chavez que les critiques montaient déjà sur ce point, pour, en résumé, constater : les politiques sociales qui devaient automatiquement faire reculer la criminalité furent sans effet sur ce point.
A ce moment là, j’ai découvert pour la première fois à la télé, un certain Mélenchon qui sur la chaîne communautaire Vive Télé s’exprimait comme un président de la république française. Il voulait seulement évoquer les succès en matière de santé et de lutte contre la pauvreté et laisser aux adversaires les critiques sur l’insécurité montante… qui allait finir par descendre.
Bien sûr que l’adversaire manipule la question, mais soit il est idiot et il invente le problème, soit il est intelligent et appuie sa manipulation sur des réalités. Mais quelles réalités ?
Au Brésil, au Mexique, en Colombie, au Nicaragua comme au Venezuela, le crime organisé est un problème surtout pour les pauvres. Les riches se paient des protections conséquentes qui parfois, certes, ne suffisent pas. Au Brésil, la guerre militaire, dans les quartiers de Rio est conduite au cœur des bidonvilles, pas dans les quartiers « exclusifs ». Une politique sociale c’est donc une politique qui mesure l’importance de l’insécurité. En fait le crime organisé c’est donner aux jeunes le moyen de gagner en une heure, ce que leurs parents gagnent en une année de dur travail. Qui peut résister ?

Succomber au féodalisme
Qu’il soit capitaliste ou socialiste du XXI ème siècle, le féodalisme est la tendance profonde de toutes nos sociétés, et c’est ce problème qu’il faut analyser. Du moins c’est à ça que je me consacre depuis presque dix ans. Le cas du Venezuela est une chance plus qu’un handicap. En effet, dans le cas du crime organisé, l’insécurité n’est pas une question d’insécurité, mais d’injustice. Si vous êtes agressé et si vous pensez que la justice fera son chemin, alors l’agression est moins dramatique. Si par contre vous savez que l’impunité est presque la règle, et que l’agression va conduire à plus d’agressions encore, alors c’est la spirale infernale qui a comme donnée de base, l’absence d’Etat. Or au Venezuela nous sommes dans le cas si différent du Mexique où l’Etat, symbolisée par un militaire, reste au cœur de l’édifice. D’où ce constat crucial : si même là, la mafia s’impose, alors où va-t-on ?

Le cas du Mexique
Quand, à parler du Venezuela, Mélenchon nous renvoie au Mexique, il triche (pour rester poli). Le Mexique est l’antithèse du Venezuela. Son crime organisé s’appuie sur un facteur clef : la longue frontière avec les USA qui a conduit à un accord de libre-commerce faisant du pays un des piliers du néolibéralisme. Le Venezuela possède une rente pétrolière colossale et même avant Chavez n’est pas entré dans cette phase néolibérale source de misère et donc de crise. La comparaison devrait plutôt se faire avec le Brésil, ainsi nous constaterions que l’avancée de la criminalité n’est pas proportionnelle à la montée de la misère (la misère a aussi reculée au Brésil) mais est une question globale. Chavez va-t-il devoir envoyer l’armée dans les bidonvilles ? Il vient de nommer comme ministre de l’intérieur Nestor Reverol Torres, un militaire dont le journal Le Ciudadano pense qu’il va se lancer dans une rénovation de la police. Comme si cet objectif n’avait pas déjà été tenté dans un pays où il est vrai, la police n’est pas aussi nationale que chez nous ! Quand des jeunes pensent qu’il vaut mieux mourir à 30 ans, mais vivre « intensément », que vivre vieux avec un boulot trop dur, la police aussi compétente soit-elle, ne peut rien ! Il est préférable qu’elle soit compétente, il vaut mieux que la justice soit efficace, mais à un moment, la révolution est ailleurs : est-ce que la vie, c’est le luxe ?

Que proposer ?
1 ) Ne pas fuir la réalité, ne pas se dispenser de son analyse, ne pas privilégier le bavardage.
2 ) Repenser les fondements d’une nouvelle révolution pour qui le social est seulement une donnée, et non une clef. Le socialisme reste accroché d’abord au social : à partir de là, les droits des femmes, les droits des victimes et tant d’autres droits devaient être automatiquement acquis. Les leçons de l’expérience soviétique sont claires : vivre en bonne santé, c’est bien, mais pourquoi vivre ?
La victoire du capitalisme, y compris dans les pays des Amériques qui veulent s’émanciper des USA, tient au mode de consommation et de là aux modes d’être. Si l’argent ne fait pas le bonheur des pauvres, le bonheur n’est pas seulement une question d’argent. Aux USA j’ai toujours été frappé par cette question naturelle qui vient sur la bouche de chacun : « Combien tu gagnes ? » En France, ce n’est pas mieux, l’hypocrisie rend cette question indiscrète. En fait, « qu’est-ce que les sociétés vont gagner ? » sans course au profit ? L’insécurité au Venezuela touche à la nature de la révolution capable de renverser le capitalisme. Voilà pourquoi elle ne peut se contenter de formules à l’emporte-pièce.
Jean-Paul Damaggio

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