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Et maintenant Benedetto...

 

Nous venons tous de quelque part, cette géographie constituant une part de notre sentiment d’appartenance, une part de notre identité. Marthaler de Suisse et d’Allemagne, Mouawad du Liban et du Québec, Benedetto de Marseille comme de Bordeaux.

Que Benedetto appartienne à l’Occitanie est une évidence, sauf que l’Occitanie n’est pas une évidence. Le comédien avignonnais se construira l’Occitanie de sa référence à travers une formule qu’il citera souvent en précisant le nom de son créateur, Félix Castan.

Dans un long texte de Benedetto publié le 16 juillet 1977 dans L’Humanité, nous lisons :

« «L’Occitanie a engendré la France ». Cette vigoureuse formule de Félix Castan qu’il développe d’une autre manière, je la fais mienne au point où j’en suis d’une lente réconciliation       avec la France, par le chemin occitan. Mais pas n’importe laquelle ! Celle-là seule capable de se concevoir, comme un devenir acceptable, transformable, et non comme une idée enfin réalisée. »

Trois ans après à la Fête de L’Humanité Benedetto lira son texte poétique Le mémento occitan où il dira d’une autre façon la  même chose : 

« C’est Castan ui disait un jour

Oui la France est une invention

Occitane qui a mal tourné. »

Cette double citation en lien avec le quotidien du Parti communiste, avec en référence un créateur lui-même communiste toute sa vie annonce une autre appartenance, une autre communion des saints, une autre famille, la famille communiste. Et quand on ajoute que la poésie de la dite Fête de 1980 est présenté avec le concours de la Compagnie Lubat, on, s’ancre encore plus dans la même communion qui ne peut cependant pas être la simple communion orthodoxe de la « religion » du PCF. La vision que ce parti avait de la France une et indivisible, était jusqu’au tournant de 1976 contraire à la vision qu’en avait Benedetto. Au cours du XXIIe Congrès, les dirigeants communistes décidèrent de nouer des liens avec l’autogestion, le combat régionaliste et pour le Midi, le combat occitaniste. D’où la publication du livre de René Merle, Cultura per avançar ? ou la série de texte dans l’Huma de l’été 1977 sous le titre générique : Lire le pays.

Benedetto inscrit donc son évolution dans cette même histoire. Il précise dans l’article évoqué :

« C’est en travaillant aux « Drapiers jacobins » que j’ai découvert la notion non figée de nation. Une notion active, ouverte, en devenir, conçue comme un projet toujours actualisable et non comme un dogme et une fin en soi devant lesquels il faudrait abdiquer. Ma région commence peut-être bien avec ce fait surprenant, étonnant : l’hymne national s’appelle « la Marseillaise » ! »

Les Drapiers jacobins, c’est une pièce créée à Montauban sur proposition de Félix Castan, ce dernier pensant avoir trouvé, parmi les révolutionnaires montalbanais,  un sans-culotte défenseur de la langue d’oc, ce qui permettait de rappeler ainsi que toute la Révolution n’avait pas suivi l’abbé Grégoire et son désir d’éliminer les patois. La publication de la pièce va donner lieu à une préface de Castan au titre provocateur : Robespierre anti Grégoire. Personnellement j’étais sur la même pente et j’ai alors tenté d’étudier la vie de ce sans-culotte. Malheureusement Gautier-Sauzin n’avait rien à voir politiquement avec le Gautier sans culotte, la pièce faisant un amalgame malheureux. Construite sur un contre-sens historique, car parfois à trop vouloir démontrer on se fabrique une réalité à sa convenance, elle fit évoluer Benedetto dans son rapport à la nation française. Pour ma part, je reste un jacobiniste authentique, attentif à la grande foule de ceux qui créèrent les sociétés populaires, je voudrais plus de rues portant le nom de Robespierre qui n’a jamais été le sanguinaire présenté par l’idéologie dominante, je pense que l’unité de la nation ne se réduit pas à l’uniformité, mais rien à mes yeux ne fait de Robespierre un anti Grégoire. Sans le vouloir, mes recherches historiques m’envoyèrent sur la marge d’une sympathique communion des saints, ou pour le dire autrement, à la marge de la marge.

 

Pour retrouver totalement Benedetto, pour me retrouver avec lui, avec son art, avec son épique, j’ai repris son petit texte, Jaurès la voix. Dès les premiers mots, j’ai la sensation de l’entendre à nouveau, je ne sais exactement où je l’ai entendu, mais l’effet est sidérant, je l’entends exactement comme il joua ce fleuve de mots. Une fois encore, la Fête de L’Humanité accepta d’accueillir les désormais complices permanents, Lubat-Benedetto, pour faire entendre Jaurès la voix. Sur la grande scène. Mais ce n’est pas là que j’ai pu l’entendre. Peut-être à Carmaux.

« et alors cette bouche s’ouvre et la parole coule les mots les phrases et le souffle la voix déverse des idées des images ouvre la rideaux les fenêtres sur les pays du monde…

Benedetto lui-même était avant tout une voix, non pas une voix « au service d’un texte » mais une voix imposant son texte. D’où le décalage avec Castan qui était beaucoup plus du côté de la France de l’écrit. D’où deux conceptions de la langue totalement différentes.

Et ce n’est pas une surprise si nous arrivons ici, par cette porte, à la question de la langue. L’homme de théâtre authentique, même s’il joue un texte classique de Molière, même si l’acteur et le metteur en scène doivent respecter le texte, s’impose par la voix. Et Benedetto était une voix unique, un forme d’intervention de la voix unique, Et j’en conviens, tous les comédiens sont soumis à la même règle, tous doivent mesurer la force de leur propre originalité, tous doivent travailler cette voix pour exploser et exposer leur être, et Benedetto joua sa partition en permanence.

Cette découverte relève sans doute pour beaucoup de personnes de l’ordinaire sauf que la France, par son école républicaine, appartient à la culture sacrée de l’écrit. La catastrophe de l’exercice de la « récitation » est infinie. La voix devant se plier au texte, grâce à l’intonation juste, ne devait laisser place à aucune originalité. Ayant été instit, je me souviens de mon premier stage de trois mois en classe de C.P. où un enfant avait une façon de réciter fabuleuse, rendant sans hésiter un texte triste, comique. Trahissait-il le texte ? Je crois plutôt que c’est son génie qui a dû ensuite être trahi par la normalisation.

J’ai connu le Jaurès joué par Alrancq, le Jaurès présenté p       ar Jordi Blanc, ce Jaurès dont les Occitanistes voudraient être les enfants, mais celui de Benedetto m’est resté dans l’oreille.

« c’est lapeur qui est au pouvoir cet été-là la peur a pris le gouvernail la peur conduit la barque vers les pires tourmentes sur les gouffres sans fond par une nuit sans lune qui va durer quatre ans. »

Chez les Occitanistes j’ai croisé un jour Rémi Pech (pour honorer Auguste Fourès) que des années après j’ai découvert à nouveau dans un livre intitulé Jaurès paysan. Un très beau livre n’en déplaise à Jordi Blanc qui sans doute, rebuté par le titre, n’a pas dû le lire. Socialement Jaurès n’était pas un paysan mais il vécut en un temps où tout un chacun pouvait se nourrir de la culture paysanne jusqu’à devenir paysan et c’est le mérite de Jaurès, du Jaurès orateur, du Jaurès de la voix dont des décennies après Benedetto peut être encore le frère.

Jordi Blanc comme Castan appartiennent à l’écrit or l’occitan écrit c’est un aventure qui vit cette langue très longtemps « pollué » par son oralité. Pour éviter la culture patoise, localiste, celle de l’idéologie dominante même quand elle n’est pas en français, fallait-il cracher sur la langue orale authentique ?

Dans sa préface aux Drapiers Jacobins, Castan conclut par son définition de la langue :

« Quand tout serait perdu des antiques héritages, une langue ne subit pas nécessairement le sort général, car une langue, seule parmi les faits humains, n’est pas univoque. Une langue peut tout dire, elle n’est pas enfermée dans les frontières de son pays comme une muette, elle dit s’il le faut ce qui est au-delà des ces frontières, et dans ce retournement de fonction elle acquiert une valeur nouvelle et universelle, des justifications inaliénables. »

Et pour justifier cette analyse il pouvait après avoir vue la pièce jouée à Montauban :

« Qu’en langue d’Oc, pour conclure la pièce, sur la Place nationale décorée aux couleurs nationales, ait été chantée une Marseillaise que le public n’a nullement refusé, cela signifiait plus qu’il ne paraissait. D’abord ceci : quand tout serait perdu… »

Oui la langue d’oc peut dire :

« Anem enfants de la patria

Lo jorn de gloria es arribat… »

La langue d’oc a survécu par les paysans et quand les paysans s’en vont, elle s’en va avec. Qu’elle puisse tout dire, partout, n’est la garantie de rien ; seulement une abstraction.

Sans les parlers vivants, toutes les langues entrent au panthéon des langues mortes. Dans toute l’œuvre de Benedetto, quelle part est réservée à la langue d’oc ? Une petite part qui confirme que cette langue mérite la défense qu’il propose sans pouvoir promouvoir un avenir plein de justifications inaliénables.

30 juillet 2010 Jean-Paul Damaggio

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