Dans son discours de Prix Nobel, un texte historique, j’ai relevé les références qu’y donne l’écrivain péruvien. Il commence son enfance (vers 1945) dans la belle ville de Bolivie Cochabamba avec les lectures du capitaine Nemo, D’Artagnan et Jean Valjean (c’est la seule référence à Hugo). Puis les poètes Amado Nervo et Pablo Neruda . On quitte la France pour y revenir avec le maître Flaubert aux côtés d’autres : Faulkner, Martorell, Cervantes, Dickens, Balzac, Tolstoï, Conrad, Thomas Mann. Viennent ensuite les inévitables : Sartre, Camus, Malraux. Parfois viennent des personnages comme au début, avec l’enfance : Julien Sorel, Emma Bovary, Anna Karenina. Le Mexique de Pedro Paramo est au rendez-vous. Du Marxisme, Vargas Llosa a été sauvé par Raymond Aron, Jean-François Revel, Isaiah Berlin et Karl Popper celui que Vazquez Montalban n’a jamais cessé de dénoncer.
Pour le cas où l’auditeur de l’intervention ne l’aurait pas compris il a versé d’autres Français à la liste de ses modèles : Balzac, Stendhal, Baudelaire, Proust. Il indique qu’il a vécu à l’époque d’Ionesco, Beckett, Bataille, Cioran, Brecht, Bergman, Vilar, Jean-Louis Barrault.
Tout ceci fait du monde et du beau monde mais la liste ne peut pas s’arrêter là quand on se souvient que l’homme est Péruvien (et que la France lui a permis de découvrir l’Amérique latine, en plus des nombreux écrivains déjà cités). Le premier des latinos-américains qui vient est Borges puis Octavio Paz. Suivent les autres inévitables : Cortazar, Garcia Marquez, Fuentes, Cabrera Infante, Rulfo, Onetti, Carpentier, Edwards, Donoso et beaucoup d’autres. Ne soyons pas surpris que Roberto Arlt ne soit pas cité (par exemple).
Enfin un Péruvien au rendez-vous et c’est l’inévitable, et son vers « Homme, il y a encore tant à faire ! » : César Vallejo. Plus loin l’autre Péruvien : José Maria Arguedas (l’un des plus grands écrivains de l’histoire à mes yeux).
On approche de la fin de l’intervention et viennent donc la référence à deux personnes, qui lui permirent de devenir un écrivain, deux personnes de Barcelone, deux amis de Vazquez Montalban : Carlos Barral et Carmen Balcells.
Il ajoute enfin un clin d’œil au théâtre : Arthur Miller et sa pièce « La muerte de un viajante » une façon de rappeler que grâce à Joan Ollé et Aitana Sanchez il a pu lui-même monter sur les planches pour jouer un personnage de sa création !
Vargas Llosa s’est toujours confronté aux grands d’Europe pour devenir un membre des Grands. Il est en conséquence pris dans une contradiction profonde : à la fois deux héritages qu’il revendique, enfant du Pérou et enfant de la culture européenne, ne peuvent faire bon ménage. C’est incontestable, Victor Hugo est aussi populaire en Amérique latine que Ruben Dario le Nicaraguayen, admirateur justement de Hugo, mais pour un écrivain péruvien il s’agit normalement de produire une littérature à partir de l’histoire culturelle du pays (ce que fait Arguedas) or Vargas Llosa ne le peut ! Alors qu’Octavio Paz et Carlos Fuentes auraient pu rester au Mexique plutôt que de partir eux aussi pour Paris, Vargas Llosa comme d’autres latinos, a été obligé de fuir des dictatures. En fait, il devient un Européen plus par logique littéraire que par obligation politique. Il écrit sur le Pérou des romans considérables en se plaçant à l’extérieur du Pérou. Cette contradiction en recoupe d’autres : le rationalisme contre le religieux, la liberté contre l’égalité. Vargas Llosa est conscient de la misère profonde qui traverse son pays et voudrait la faire reculer mais sans s’en donner les moyens. Son éloge de la littérature ne lui fait pas oublier les incontournables de la politique.
19-12-2010 Jean-Paul Damaggio