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14 novembre 2011 1 14 /11 /novembre /2011 16:08

Ingrao.jpg

 

Pour fêter le départ de Berlusconi (que je ne confonds pas avec la fin du berlusconisme) je me suis replongé dans les écrits de Pietro Ingrao, ce communiste italien à ce jour jamais traduit en France et pourtant si phénoménal.

 

En 1986 est né dans notre pays, sous les auspices du philosophe Henri Lefebvre la revue M, Mensuel, Marxisme, Mouvement à laquelle je me suis aussitôt abonné. En 1989 j’y ai découvert la traduction d’un article de Pietro Ingrao et c’est à partir de ce moment là que je me suis mis à l’italien pour essayer de découvrir cette planète si proche. Autant dire qu’Ingrao a changé ma vie aussi pas étonnant si lors de mon dernier voyage dans ce pays j’ai rapporté un livre d’Ingrao qui est cette fois non un livre de poésies mais un livre de mémoires, ou plutôt de reconstruction de sa mémoire comme il le dit si bien. Je ne savais pas alors qu’il avait publié une réponse au livre si fameux de Stéphane Hessel. Ingrao est né en 1915 donc autant dire que son parcours politique est aussi considérable et aussi instructif que celui du Français.

 

J’en reste donc au témoignage qu’il a intitulé Volevo la luna. Il y raconte son voyage à Moscou en janvier 1980. L’URSS avait envahi l’Afghanistan et les dirigeants communistes souhaitaient recevoir leurs homologues européens pour appuyer leur acte criminel. Berlinguer refusa pour éviter que la presse, à cause de ce voyage, n’évoque une éventuelle complicité entre le PCI et le PC d’URSS et proposa à Ingrao de le remplacer car, vu ses positions critiques vis-à-vis de l’URSS, il était sûr d’éviter l’accusation de rapprochement avec Moscou. Ingrao fit le voyage et raconte comment les Soviétiques organisèrent de multiples pressions pour que le PCI se soumette, mais en vain : le communiqué commun affichait pour la première fois des divergences claires et nettes entre les deux partis.

Je rappelle ce souvenir car au même moment Georges Marchais fit le voyage, et hasard de la vie, j’entendis sa déclaration de Moscou à la télévision au journal de 13 h sur un écran allumé dans un supermarché. A un an des présidentielles, au moment où le PCF désignait Mitterrand comme une variante des candidats de droite, cet alignement sur Moscou me stupéfia. Un mot entra dans le langage politique : « paltoquet » : c’est celui que Marchais avait décidé de choisir pour désigner le socialiste Pierre Joxe. C’était le 13 janvier 1980, Marchais se fit le petit soldat des mensonges de Brejnev !

Aujourd’hui nous savons que les stratégies différentes du PCI et du PCF n’ont aucune des deux permis la naissance d’un communisme adapté aux temps présents. Dans les deux cas le résultat est le même : la marginalisation d’un courant d’opinion qui avait pendant des décennies passé la barre des 20%.

 

Avec Ingrao nous retrouvons des événements internationaux communs et bien sûr le « printemps de Prague ». Quand je compare avec la biographie de Waldeck Rochet écrite par Jean Vigreux, je constate que si côté italien, le soutien à la Tchécoslovaquie de Dubeck était total, l’action concrète pour arrêter les tanks soviétiques semble moindre. Alors que le dirigeant français s’est dépensé sans compter pour arrêter l’histoire, Ingrao observe que les dirigeants communistes italiens semblaient rassurés quant aux intentions soviétiques, leur secrétaire général passant ses vacances en URSS comme d’habitude. Donc il écrit surtout sur les suites :

« Je me souviens comme si c’était maintenant –avec colère et amertume – de cet événement fatal qui provoqua une faille profonde dans mes convictions et ma vie de militant. J’étais alors en vacances dans ma région natale. J’étais revenu avec ma famille d’une longue journée à la mer, quand tout d’un coup sonna le téléphone : on m’appelait de Rome, de « l’Unita » (le journal du PCI). On m’informait que des dépêches d’agence parlaient d’une entrée des chars soviétiques à Prague. Je n’ai pas hésité une minute et je me suis mis en route vers la capitale, avec le cœur bouleversé. Je suis entré dans une Rome plongée dans le silence nocturne. A l’Unita j’ai trouvé les camarades journalistes fiévreux et avec eux Cossutta membre alors du secrétariat du Parti [un pro-soviétique]. A Prague nous avions beaucoup de camarades, parce que dans cette merveilleuse capitale s’étaient réfugiés des partisans de la lutte de libération... » Et Ingrao rappelle sa passion pour cette ville et la décision prise aussitôt de condamner l’invasion. Personne ne peut refaire l’histoire mais tout le monde à droit de rêver qu’elle aurait pu se dérouler autrement. Parce qu’aujourd’hui encore, le monde pourrait changer autrement qu’aux ordres des marchés.

Sidérant n’est-ce pas, le changement de contexte ? C’est sans honte, que tout un chacun reconnaît que le nouveau gouvernement italien doit naître avant l’ouverture de la Bourse, le lendemain ! Sous-entendu : l’essentiel c’est que ce gouvernement plaise « aux investisseurs ».

 

Je trouve Ingrao très beau quand il parle de la Sardaigne, de l’Italie méridionale, de cette marque dans le pied de la botte. Peut-être inconsciemment a-t-il plaisir à se retrouver du côté des vaincus ?

13-11-2011 Jean-Paul Damaggio

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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 14:10

 

Depuis 1989, je vis en « compagnie » du cinéaste Nanni Moretti qui est resté le même tout en devenant plus cinéaste avec plus de moyens donc plus de figurants, plus de splendeurs. Voici deux ans j’avais annoncé sur ce blog qu’il occupait la Villa romaine qu’occupe la France. Maintenant je sais pourquoi. De ce film Habemus Papam (un titre en latin c’est bien, il n’a pas besoin de traduction) j’ai des tonnes de choses à dire mais je vais me limiter à un détail.

Pour tout film de Moretti, j’attends avec impatience le moment de la chanson. Parfois je me demande si tout scénario n’est pas chez le réalisateur conduit par une chanson. Car, en effet, ne l’oublions pas, Moretti continue d’être le scénariste, le réalisateur, l’acteur essentiel, le producteur, même s’il est moins autarcique qu’au début. Donc il choisit lui-même les chansons, cet élément clef de l’art populaire, cette marque de jeunesse, ce témoignage aux multiple entrées.

Cette fois, quand j’ai commencé à entendre Cambia todo cambia / Cambia todo cambia, le garde suisse remplaçant le pape ayant mis une sono un peu forte ce qui fait danser les cardinaux, je n’ai pas mesuré exactement la nature de cette chanson latino-américaine. C’est seulement à un autre moment du film qu’elle a pris toute sa place : avec la version interprétée par Mercedes Sosa. Quelle interprète ! Je ne suis un fana de la voix de Mercesdes Sosa.

Cambia todo cambia / Cambia todo cambia, on entend tout de suite que tout change, et quand un pape refuse son élection c’est bien la preuve que tout change. Mais la chanson ne s’arrête pas là aussi pour comprendre parlons de son auteur.

En Amérique latine, des chansons entrent vite dans le folklore car elles sont reprises par des dizaines de chanteurs différents à travers tout le continent. Je ne sais comment ça marche pour les droits d’auteur ; je suppose qu’il est entendu que la chanson est dès le départ propriété collective.

L’auteur est Julio Numhauser qui comme son nom ne l’indique pas est un Chilien fondateur d’un groupe dont le nom a fait le tour du monde, Quilapayun. Il a aussi écrit Comandante : je ne suis pas allé vérifier si c’est l’hommage à Che Guevara.

La chanson commence ainsi :

Cambia lo superficial / Cambia también lo profundo

Cambia el modo de pensar / Cambia todo en este mundo

Le superficiel change, le fondamental aussi, le mode de penser change, tout change dans ce monde.

Un couplet totalement en phase avec le film. Et l’Eglise qui ne peut changer est en difficulté…

 

Cette chanson ne serait pas devenue un hymne latino-américain sans une chute finale exceptionnelle, une chute qui concerne aussi Moretti.

Le second couplet indique :

Cambia el clima con los años / Cambia el pastor su rebaño

Y así como todo cambia / Que yo cambie no es extraño

Le climat change avec les années / le troupeau cange aussi le berger

Et comme tout change, que je change aussi n’est pas surprenant.

 

Tout change sauf une chose car en effet même dans le plus profond changement, celui qu’en effet nous connaissons, il existe des permanences, des inévitables comme est inévitable la présence d’une chanson dans un film de Moretti qui n’oublie pas non plus d’y caser deux enfants ou des ballons. J’aurais pu baser cet article sur cette autre attente : l’arrivée des enfants. Les enfants des films de Moretti mis bout à bout, quel film !

 

Qu’elle est donc cette chute dans Todo Cambia ?

Pero no cambia mi amor / Mais mon amour ne change pas

Les films de Moretti semblent presque sans amour car de toute façon sans sexe… sauf qu’il y a les enfants (enfants de l’amour) et y compris la chambre du fils.

La chute du film est le contraire du titre qui dit « On a un pape ». En fait tout peut changer, il n’empêche que l’humanité de chacun reste, et cette humanité, cet amour, n’est ni dans le camp de changements factices ni dans le camp d’institutions sclérosées.

J’en conviens tout de suite, le film a bien d’autres choses à dire… (peut-être vais-je y revenir)

28-10-2011 Jean-Paul Damaggio

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29 septembre 2011 4 29 /09 /septembre /2011 11:34

BerluscoBossi.jpg

En 2009, au cours de mon précédent voyage en Italie, j’avais noté le combat féministe lancé contre Berlusconi et son mépris des femmes. Parmi les signataires d’un appel lancé sur La Repubblica, j’avais retenu le cas de Michela Marzano (MB). Je ne savais pas qu’au même moment elle venait de publier en France chez Larousse : Le fascisme, un encombrant retour ?

Deux ans après je viens de lire ce livre dans un contexte politique un peu différent.

Michela Marzano est une jeune philosophe de 41 ans chercheuse en France au CNRS et j’ai imaginé, à la vue du titre, une avancée de la réflexion sur le fascisme. Le livre fourmille de rappel historique intéressant et de courageuses références à l’actualité. Je dis « courageuses » car les philosophes préfèrent souvent regarder le monde de haut et de loin. Le livre est écrit après la victoire berlusconienne de 2008 et à se replonger dans l’histoire italienne (qui est au cœur du livre) le parallèle Mussolini-Berlusconi était attendu. Si le rapport pouvoir économique et pouvoir politique court dans le livre (Berlusconi crée un parti-entreprise) il n’est pas analysé de façon centrale or toute réflexion sur le fascisme passe par cette étape.

Le cas de Mussolini et de l’Italie me semble utile à étudier car contrairement à Hitler il n’arrive pas au pouvoir dans la foulée de la grande crise économique de 1929 qui fait souvent dire que le fascisme ou le nazisme sont surtout une des formes politiques de réponse à une crise économique. J’en reste à l’idée qu’en toute chose l’économique est déterminant (et le cas Berlusconi appuyant son action politique sur sa réussite économique en est une confirmation si nécessaire) mais le politique a sa propre logique, ses propres hommes (les femmes tenues à l’écart), et bien sûr sa propre histoire souvent nationale. Si Mussolini s’installa au pouvoir comme leader politique, ramenant ensuite l’économique aux ordres du politique, Berlusconi s’installa au pouvoir comme leader économique, ramenant ensuite tout le politique aux règles de l’économique comme le veut son époque. Cette contradiction de base, et qui n’est pas la seule entre les deux hommes, n’exclut pas la possible comparaison en terme de fascisme. A être schématique je pourrais écrire que Mussolini apporte le fascisme par en haut et que Berlusconi ne fait que représenter celui qui monte d’en bas… Voilà pourquoi l’énorme répression de l’ère mussolinienne (absente du livre de MB) n’a pas besoin d’exister aujourd’hui !

Le leader et la coalition

Pour moi la contradiction majeure entre les deux hommes tient au fait que le premier fut le chef d’un parti et le second le chef d’une coalition qu’il a créé, qu’il dirige et qui la fait trébucher dès son premier gouvernement. Ce point n’est pas un point de détail ; je crains parfois que les dénonciateurs de Berlusconi… ne soient fascinés par l’homme.

Si j’ai pris comme illustration de cet article la photo en Une de la Repubblica le 23 septembre 2011, où Berlusconi pose tendrement sa main sur la tête d’un Bossi éberlué c’est pour rappeler la nature des liens au sein de la coalition : Berlusconi est le boss et il remercie en cette occasion Bossi qui a accepté de sauver le député Milanese. Il ne peut plus faire de même avec l’autre allié Fini qui est passé dans la contestation ouverte.

Bossi est à mon sens la démonstration que la version actuelle du fascisme est née avant l’arrivée de Berlusconi et qu’elle peut donc continuer après sa prochaine disparition.

Tout focaliser sur un homme qui a été capable de dire : « A part Napoléon je ne vois personne qui puisse me surpasser dans l’histoire politique de l’Europe. » risque d’éviter l’analyse de tout ce que le système économique capitaliste dans sa phase actuelle a su faire admettre au simple citoyen devenu client.

Bien sûr, le livre de MB évoque cet aspect à diverses occasions : « Berlusconi n’utilise pas les raisonnements, mais plutôt des messages publicitaires, des slogans, des phrases à effet qui se réfèrent au langage de la publicité. »

Nous avons glissé d’un marketing économique qui a sa logique (faire vendre un produit), à un marketing politique qui veut tout vendre.

Dans ce contexte, la coalition, inévitable en toute démocratie, devient la marque du génie politique et elle est plus facile à droite qu’à gauche. MB démontre utilement comment Berlusconi comme Sarkozy peuvent tout dire et son contraire en conséquence Berlusconi a réussi à unir le nationalisme de Fini et l’antinationalisme de Bossi ! A gauche, il est plus difficile, quand on veut défendre une politique argumenter d’unir les pires des contraires, d’autant qu’à gauche la riposte au fascisme rampant semble désorientée.

Le tout Etat contre l’Etat de rien

C’est la suite logique du point précédent : Mussolini ramène tout à l’Etat (comme le communisme de l’époque) or Berlusconi veut tout vider de l’Etat. MB propose un chapitre passionnant sur l’évolution du rapport vie publique/vie privée. Mais l’économique n’étant pas au centre du propos, elle me paraît rater une étape. Le constat d’un Etat qui se vide de tout pouvoir est connu mais souvent atténué par le fait que l’Etat conserverait ses fonctions régaliennes (Police-Armée). Si la privatisation des polices et des armées est plus lente que pour le reste, elle n’en est pas moins réelle ! En Amérique latine il est très fréquent de constater que les polices privées sont plus nombreuses, mieux équipées que les polices publiques ! D’ailleurs beaucoup d’employés de police des communes complètent leur salaire par des travaux dans les polices privées ! Qui doit faire le plus peur : le contrôle de l’Etat sur nos vies ou le contrôle de Facebook, Mac Do, Nike, Google ? La différence c’est que l’Etat reste un adversaire repérable alors que les autres sont validés par le citoyen-client qui porte lui-même sur ses vêtements l’étoile jaune des marques ! Naturellement les objectifs sont différents dans les deux cas : la police agit pour un Etat, les polices privées pour la défense du fric et Facebook, Mar Do… pour leur propre fric.

La démocratie s’est construite au nom des droits des citoyens contre ceux des puissants. La gauche doit comprendre que la contre-révolution capitaliste fait qu’à présent les puissants se font les porteurs des droits de citoyens anesthésiés, comme ils le furent longtemps pas les religions (je ne sous-estime pas les bénéfices que la religion apporte aux puissants dans le nouveau contexte). La lutte redevient plus fondamentalement une lutte pour l’hégémonie au sein du peuple. L’histoire nous a appris qu’il ne suffisait pas de nationaliser (en appeler à l’Etat) pour arrêter les puissants (on assiste à des nationalisations de banques pour leur plus grand profit) mais qu’il faut savoir construire une conscience nouvelle face à la marchandisation du monde. Une longue route en perspective mais en fixer le cap peut permettre d’arrêter la montée du fascisme féodal, un fascisme qui s’appuie sur le repli de chacun sur les groupes proches, repli dans la logique du système économique actuel. Hier c’était la montée des grandes entreprises : depuis elles refilent l’activité à des filiales parfois minuscules, le contrôle global se faisant par la finance. Nous sommes tous des sous-traitants et devons agir en conséquence pour retrouver des droits politiques.

28-09-2011 Jean-Paul Damaggio

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27 septembre 2011 2 27 /09 /septembre /2011 21:32

 Le 17 septembre j’arrive en Italie et comme d’habitude j’achète la presse du jour. J’u découvre une coïncidence qui fait vagabonder mes pensées.

Sur Il Manifesto, la journaliste Daniela Preziosi m’apprend que « Bersani propone una road map in tre tappe… » Et sur le même sujet Monica Guerzoni del Corriere précise : « un embrione di coalizione c’é, una traccia di road map pure. »

Sans connaître l’italien, je pense que le lecteur peut traduire, sauf peut-être la formule anglaise : road map. En France nous l’employons aussi, mais sous forme traduite, au point qu’on peut imaginer son originalité nationale, comme bien d’autres expressions…

 

Trend…

L’utilisation des anglicisme en italien me renvoie inévitablement à cette scène du fil de Moretti, Palombelle rossa, où pour le mot trend, employé par une journaliste, le héros lui envoie une baffe et part en s’écriant : trend… trend… trend.

Quelle est la raison du développement des anglicismes ? Ils sont moins nombreux en espagnol, mais plus fréquents en italien qu’en français. Du lifting au marketing, on passe par le think tank et le show d’un même pas. Au départ l’anglicisme il faut essayer de le traduire pour l’expliquer puis il entre dans le langage courant. C’est le cas du outing qui consiste à dénoncer sur internet des personnalités qui cachent leur homosexualité. De tout temps les langues s’empruntent des expressions, l’Italie en ayant donné quelques unes au monde comme la mafia ou plus « belles » comme les expressions musicales. L’italien utilise en français l’enfant terrible, et cette autre expression venue de loin, le boomerang. Moins qu’une plainte, cet article se veut un essai de compréhension.

Pourquoi l’expression road map a-t-elle attiré mon attention ?

 

Road map

Parfois les anglicismes n’ont pas d’équivalents et deviennent donc inévitables. Pour road map nous disons en France feuille de route depuis, me semble-t-il, une historique feuille de route, peut-être de Clinton, concernant le projet de paix en Palestine.

La route aux USA est un des symboles d’un pays qui s’est construit par déplacement de la frontière. L’impérialisme ainsi produit n’est pas un impérialisme de territoires mais de routes. En Europe, le territoire a fini par conditionner les routes (même si bien des routes précédentes menaient à Rome). Aux Amériques, les routes conditionnent les territoires. L’essentiel, c’est de contrôler les routes et le reste suit.

Une road map, une feuille de route signifie plus que le simple projet...

Dans le cas qui nous concerne, Bersani, le dirigeant du parti démocratique a un projet en trois étapes : des consultations, puis le programme, et enfin les primaires. Dire que ce projet est une feuille de route, c’est insister sur la route. Machado et sa fameuse phrase comme quoi la route importe plus que la destination dit-il la même chose ? Non car dans son cas, la route est celle que chacun se construit et non la route toute prête dont il suffit d’apprendre l’usage. La road map m’apparaît alors comme un passage obligé, et non comme l’invention d’un autre possible. Et seul le plus fort qui contrôle les routes, peut proposer le passage possible !

Au risque de surprendre j’indique que je ne suis pas étonné si c’est en Italie que fut reprise d’abord l’idée des primaires par un parti de gauche qui s’appelle Parti démocrate. Nous assistons en ce moment à ce paradoxe : la gauche est fascinée par les USA alors que Berlusconi qui construit encore à présent son discours sur l’anticommunisme est fasciné par la Russie de Poutine. L’Italie est une éponge : non seulement le pays s’est constitué, après que Rome ait été sur toutes les routes, par la présence sur son territoire de toute l’Europe, mais en étant présente dans tous les pays du monde par son immigration. Voilà pourquoi je considère que ce pays est un laboratoire du futur : toutes les cultures s’y affrontent sans cesse. En matière de langues, au bout d’une chaîne, les dialectes populaires y sont bien plus vivants qu’en France, et à l’autre bout, la langue italienne semble encore plus fragile que la française face à l’anglais !

27-09-2011 Jean-Paul Damaggio

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26 septembre 2011 1 26 /09 /septembre /2011 15:27

 Une coïncidence a voulu que le même jour Il Manifesto propose une longue analyse de la nacro-littérature et La Repubblica un reportage dans l’enfer mexicain. Puis en fin de semaine le supplément de ce journal proposait un article sur la mafia japonaise. Chacun sait qu’en matière de mafia, l’Italie est un pays expérimenté. Comme dans tous les domaines de la vie, une société civile courageuse peu connue, affronte une infamie qui fait les grands titres. Petit à petit on est sorti du folklore sicilien pour entrer dans une vision plus globale du phénomène. Sciascia a écrit la Sicile comme le carrefour de l’Europe. Les dernières évolutions font que du nord au sud de l’Italie la mafia s’est multipliée en quelques branches… et a gagné bien des pays.

 

Le cas du Japon

Je n’imaginais pas une telle structure mafieuse aussi puissante dans le lointain Japon. L’article repose sur le travail de Jake Adelstein qui a publié Tokyo Vice pour dénoncer un immonde trafic d’êtres humains dans son cher Japon. Les êtres humains sont des femmes esclaves vouées à la prostitution. L’une d’elle a pu pendant un temps informer le journaliste puis a disparu définitivement. L’incroyable de l’histoire c’est qu’une telle mafia est non seulement légale, mais fait et défait les gouvernements ! Il s’agit de la famille Yakuza composée d’hommes qui ne cachent pas leurs engagements et sont d’autant plus facilement reconnaissables qu’ils se sont défaits d’une phalange au petit doigt ! Leurs activités criminelles sont les activités classiques des mafias : prostitution, trafic de drogue, jeux de hasard, disparitions etc… Mais l’œuvre d’intouchables ! L’article de Silvio Persanti raconte comment un chef Yakuza ayant besoin d’une transplantation de foie se dirigea vers les USA avec l’accord du FBI en échange d’informations sur les autres familles Yakuza, et put en un délai très rapide obtenir son nouveau foie !

A la différence du Mexique l’organisation est plus pyramidale et évite donc la guerre des gangs. Inutlie de préciser que le journaliste vit sous la protection des services secrets japonais et nord-américains et que sa famille est à l’abri quelque part aux USA !

 

La narco-littérature

Dans un long article extrêmement bien documenté, Francesca Lazzarato a publié dans Il Manifesto du 20 septembre une présentation de la narco-littérature mexicaine qui envahit l’Italie. J’attendais depuis longtemps un tel article pour mieux faire la différence entre narco-littérature et littérature narco. La première fait directement ou indirectement le jeu des « héros » narcos, et la deuxième fait consciemment le démontage de la folie narco.

Dans le premier cas, commerce oblige, le crime, le sang, les mensonges, même s’ils dénoncent le président en place, flattent les bas instincts des lecteurs. Ils créent un genre où le narco devient un héros, une libérateur, un fonceur et voire un courageux… Rafel Lemus, Jorge Volponi ou Hermann Bellinghausen (un ami de Vazquez Montalban) dénoncent cette dérive. A parler de sicaires, de police corrompue, ne risque-t-on pas, INEVITABLEMENT, de tomber dans la sous-culture ? Celle du sensationnalisme, de la standardisation…

Face à la déferlante commerciale qui tend à reproduire la réalité au premier degré, des œuvres existent et la critique pointe du doigt celle de Yuri Herrera, un jeune né en 1970 qui dès son premier roman « la ballata del re di denari » (je n’ai pas le titre en espagnol) a su faire se côtoyer poésie et paroles de rue pour quitter les stéréotypes de la narco-littérature pour aller vers les archétypes d’une littérature authentique capable de parler du crime organisé (comme Juan Rulfo a su allier paroles de paysans et littérature). Loin de l’hyper- réalisme des narcosromans, Herrera sans refuser d’évoquer les atrocités trouve la fable capable de produire des figures. Je pense à Alexandre Zinoviev capable de décrire la réalité stalinienne avec les archétypes adéquats. La journaliste parle elle, en français, de chanson de geste. Elle cite un autre nom : Juan Pablo Villalobos.

 

Le narco-Mexique

Le même jour (20 septembre) La Repubblica, sous la plume d’une autre journaliste, Daniele Mastrogiacomo, fait le portrait de l’enfer mexicain à partir d’un fait divers récent, l’assassinat de deux journalistes. Cet article ne m’apprendra rien que je ne sache : la confirmation de l’immonde situation est suffisante en soi. Il est illustré part la carte des cartels de la drogue, par une photo d’un jeune en short avec deux pistolets à la ceinture et ce titre : « Messico, intimidazioni, rapimenti e massacri, cosi i narcos uccidoni il paese » (Mexique, intimidations, rapts et massacres, voilà comment les narcos tuent le pays).

La faille d’un tel article, c’est qu’il ne laisse aucun espoir. Car l’espoir est impossible ? Il mentionne tous les efforts réalisés, sans succès, pour arrêter la pieuvre. Faut-il en déduire que l’INEVITABE est au bout ? Le tourisme a chuté de 40% ! « 110 millions de Mexicains résistent comme ils peuvent : ils ont fait de tout, ils en ont appelé à la justice, ils ont demandé des protections, ils sont descendus dans la rue en remuant des linceuls blancs, ils ont occupé le centre des villes. » Pourquoi pas, en illustration de l’article, quelques portraits de ces Mexicains, là plutôt que celui de deux narcos et deux policiers ?

Le récit de la vie de Marcela et Rocio, les deux journalistes assassinés, nous conduit vers un journal alternatif Contralinea qu’il est bien de citer.

Mais on en saura beaucoup plus sur les chefs des Zetas, sur leur lutte contre le Cartel de Sinaloa. Belle occasion de réfléchir à un journalisme d’enquête (j’ai failli dire d’investigation) plutôt qu’à un journalisme de constat. 27-09-2011 Jean-Paul Damaggio

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26 septembre 2011 1 26 /09 /septembre /2011 15:25

 

D’un voyage en Italie, je ramène cette sensation : l’après Berlusconi risque fort d’être pire que l’ère Berlusconi ! Quand hier, la démocratie chrétienne s’effondrait sous l’effet des scandales, je pensais naïvement que l’ère de la gauche, seule alternative possible, allait rénover le pays. Puis Berlusconi est arrivé en créant une nouvelle alliance sur le cadavre de l’union classique entre démocratie chrétienne et PS.

Une autre droite peut-elle se relever après les scandales actuels qui dépassent l’imagination ? Rappelons que Berlusconi s’est appuyé au départ sur une alliance à trois : Fini-Bossi-Berlusconi. Une branche s’est mise en réserve de la république, la branche Fini qui était la plus à droite et qui joue à présent la carte du centre. La branche Bossi a vu grandir une excroissance, la branche Maroni du nom du ministre de l’intérieur de la Ligue du Nord qui veut jouer sa propre carte. La Ligue du Nord peut-elle s’autodétruire comme le PS s’est autodétruit avec la chute de la démocratie chrétienne ? Pour le moment, la base gronde fortement et fait tanguer le navire.

La crise et les scandales forment un mélange détonnant appelant le plus souvent à l’arrivée d’un homme fort. C’est la carte qu’a pu jouer un temps les millions d’euros de Berlusconi. Après les tergiversations politiciennes, le poids des mesures économiques peut pousser le pays vers plus de misère, plus de féodalisme, plus de destructions. On parle déjà de la retraite à 70 ans…

Le MEDEF italien n’hésite pas à demander la chute du gouvernement et tout le monde comprend que ce n’est pas pour le bonheur de la gauche !

 

Et la gauche ?

Le jour de mon arrivée en Italie le 17 septembre, j’ai pointé deux événements : l’augmentation de 1% de la TVA (mais qui la paie ?) et l’union à gauche voulue par le dirigeant du Parti démocrate (PD) Bersanti. Pour la première fois en effet, à une fête du parti de Di Pietro, Bersanti a annoncé qu’il souhaitait que la gauche s’allie avec Nicki Ventola et Di Pietro c’est-à-dire deux des partis à la gauche du PD, le SEL (Socialisme Ecologie et Liberté) et IdV (Italie des Valeurs). Naturellement, le parti du centre de Cassini (une pièce du Troisième pôle) a aussitôt crié au scandale car il se trouvait de ce fait exclu de l’alternative. Ce cri de colère a ensuite été relayé par la tendance du PD souhaitant fortement une alliance au centre plutôt qu’une alliance à gauche. Bilan : rien n’est clair.

Bersanti avait gagné des primaires en 2009 faisant de lui le dirigeant du PD, et à présent, contre les statuts qui en faisaient de ce fait le dirigeant d’une coalition, certains demandent de refaire les primaires pour désigner le nouveau dirigeant du parti, et des primaires pour désigner le candidat au poste de premier ministre ! Bref, la cacophonie…

 

Et la société ?

L’implication citoyenne dans les luttes me semble aussi forte qu’en 2009 : occupations d’université, marche pour la paix, grève générale du 6 septembre… Mais dans Il Manifesto Parlato a me semble-t-il une analyse juste : en se braquant sur les scandales plutôt que sur le projet alternatif, la presse de gauche fait le jeu de l’adversaire. La société s’habitue à l’infamie et la dénonciation de cette infamie, si elle n’a pas à proposer en face une alternative claire, la banalise ! Chacun est alors incité à se dire qu’il ne sortira de la boue que par lui-même. Pour masquer son incapacité à réagir Bossi en appelle à nouveau à l’indépendance de la Padanie, et la montée des intérêts particuliers tue le sens politique.

Quant à l’extrême-gauche, sa division reste profonde.

 

Qui peut changer le cours de l’histoire ?

Je n’ai pas de réponse précise. La crise économique avance à son rythme et la crise politique semble se dérouler sur une autre planète. Le moment le plus fou de la semaine c’est quand le parlement a été invité à se prononcer sur l’incarcération d’un député, Milanese, suite à diverses accusations de malversations. Avant lui, le même parlement a envoyé un député en prison. Le scénario allait-il se reproduire ? Si Milanese partait entre quatre murs, c’était la preuve que la majorité en place se disloquait. Pour deux voix son poste a été sauvé. La vie politique tourne autour de tels votes, qui se succèdent, au moment où le pays est annoncé proche de la faillite ! Faillite économique, faillite politique, l’heure est grave mais reste vécue au jour le jour ! Les prochaines élections sont pour 2013 : il y a ceux qui veulent tenir coûte que coûte et ceux qui voudraient sonner l’heure des comptes. Dans tous les cas, le politique recule. Jusqu’où ?

27-09-2011 Jean-Paul Damaggio

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20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 10:30

 

Le titreur a eu beau choisir de l’italien (Basta cosi, Bunga Bunga), la dernière chronique de Mathieu Lindon du 18 juin sur Libération n’est qu’un exposé d’ignorance crasse, et donc révoltante au plus haut point. On a beau avoir écrit des tonnes de livres, être chroniqueur depuis des décennies dans le quotidien d’une gauche perdue, le fait est impressionnant.

Ignorance crasse ?

« Berlusconi peut dire tout simplement : «Je voulais savoir si le peuple était d’accord avec ces projets, eh bien il ne l’est pas, maintenant je le sais.» » Berlusconi n’est pas à l’origine du référendum, il ne voulait rien savoir, et maintenant ce n’est pas qu’il sait, c’est qu’il est OBLIGE d’appliquer. Oui, Monsieur Lindon, à présent l’eau ne sera pas privatisée. Ce n’était pas une « consultation » comme les sondages savent le faire, mais un référendum qui DECIDE et visiblement, ça vous tue que le peuple puisse décider.

Le mépris sur un plateau d’argent

Et votre ignorance s’accompagne d’un mépris écœurant pour la démocratie, le peuple, les Italiens et les Italiennes. Je le reconnais, le style ne manque pas au rendez-vous ! Mais savez-vous que les questions sont sous contrôle du Conseil constitutionnel ? Vraiment vous confondez le matraquage de sondages parfois ridicules (cette démocratie du micro trottoir) et l’expression d’un peuple qui, après un débat contradictoire, public et argumenté, doit d’abord obtenir 500 000 signatures avant d’avoir le droit de poser la question contrôlée. Quand vous écrivez : « Dans l’appel de Silvio Berlusconi à boycotter le vote, on peut voir un hommage à la démocratie. », je comprends que vous n’avez pas encore digéré le référendum français sur le TCE. Il faudrait se soucier du comment ! Quand Sarkozy et Berlusconi s’unissent pour relancer le programme nucléaire, eux répondent par OUI mais en plus ils se préoccupent du comment ! Quand un Conseil municipal répond par Oui ou par NON à la privatisation de l’eau, il a le droit car il est le Conseil municipal ! Et le sommet du mépris c’est avec cette phrase : « Mais, peut-être grâce à l’affaire Strauss-Kahn, la parole des Italiennes (et Italiens) se libère. » DSK n’est à l’origine d’aucune affaire, ce qui n’est pas le cas de la plaignante ! Franchement si elle n’avait rien dit, cette femme du peuple, le monde ne serait-il pas plus simple, et les Italiennes moins libérées ? D’un côté on nous présente un peuple italien décervelé, aliéné à une télé poubelle (« Silvio Berlusconi s’en va, ça leur semblera tout vide, leur pays, aux Italiens »), puis de l’autre un peuple qui se prend en main, argumente, fait sortir de la nuit de la dictature démocratique ses concitoyens, et il est encore ridiculisé à croire en cette démocratie référendaire. Les mêmes ont toujours tort…

L’ironie comme guillotine

« Dans tous les pays, pour étouffer la démocratie, on noiera le peuple sous les référendums. » Qui est le « ON » ? Quel est ce souci du peuple que Mathieu Lindon veut sauver par le bouche à bouche ? Que le peuple soit noyé sous d’enfoirées chroniques comme la sienne ne le frappe sans doute pas (il n’est pas seul sur son créneau malheureusement) ! Que le peuple italien ait demandé le maintien de l’eau comme bien commun, le passage de tout citoyen devant les tribunaux, la poursuite de l’absence de tout programme nucléaire… c’est comme si demain on décidait de choisir sa météo ! Les abrutis ne sont pas toujours là où on le croit… 20-06-2011 J-P Damaggio

P.S. N’étant pas un adepte de l’info par petite phrase (comme le veut la coutume en cours) j’offre ci-dessous l’article en entier.

 

Basta cosi, Bunga Bunga Mathieu Lindon 18 06

       Le printemps italien fera-t-il tache d’huile ? On ne comprend pas bien ce que signifie la raclée subie par référendum par Silvio Berlusconi. Est-ce comme nous avec celui sur la Constitution européenne ou cela signifie-t-il que l’eau ne sera vraiment pas privatisée ? Silvio Berlusconi est-il désormais aussi dépourvu d’immunité qu’un malheureux candidat de Koh-Lanta ? En tout cas, les indignés italiens ont, eux, choisi le référendum pour se réunir. Silvio Berlusconi s’est pris dans les gencives un score à la soviétique mais à l’envers, un score à l’anticommunisme primaire. Rien ne l’oblige à quitter le pouvoir pour autant. Il peut dire tout simplement : «Je voulais savoir si le peuple était d’accord avec ces projets, eh bien il ne l’est pas, maintenant je le sais.» On se réjouit à l’idée que la Ligue du Nord le fasse tomber mais la Ligue du Nord, c’est encore pire que Silvio Berlusconi. C’est comme si, sous prétexte qu’on n’aime pas notre voisin, on se frottait les mains que son chien méchant se soit échappé. Et puis, si Silvio Berlusconi s’en va, ça leur semblera tout vide, leur pays, aux Italiens, s’il part avec tous ses meubles et autres grands groupes.

Ça faisait vingt ans que les Italiens appuyaient sur les boutons et que les programmes ne changeaient pas, ils pourraient bien avoir trouvé la zapette, cette fois-ci. Mais on sait que, dans les référendums, tout dépend de la façon de formuler la question. Nous, on ne répondrait pas pareil sur le nucléaire selon qu’on nous demande «Souhaitez-vous une augmentation massive du prix de l’électricité ?»ou «Etes-vous favorable à un Fukushima en bas de chez vous ?» (seul le nombre de «ne se prononcent pas» resterait peut-être stable). Rien qu’en famille, la question «Dîner avec ou sans soupe ?» recevra une réponse différente selon que les mineurs aient ou non le droit de vote. On pourrait organiser des référendums sur l’éventuel massacre des banquiers comme sur la castration chimique ou l’état de santé mentale de Liliane Bettencourt. Et qu’on ratatine tous les affreux, d’accord ou pas d’accord ? L’avantage des référendums est que ce n’est pas difficile de répondre : c’est oui ou c’est non. On ne se soucie jamais du comment, question toujours prématurée.

Dans l’appel de Silvio Berlusconi à boycotter le vote, on peut voir un hommage à la démocratie. Le plus efficace contre la démocratie, c’est l’absence de démocratie. Il a dit aux électeurs : «Ne vous prononcez pas.» Mais, peut-être grâce à l’affaire Strauss-Kahn, la parole des Italiennes (et Italiens) se libère. Ce doit être frustrant pour les opposants d’en rester là, ils doivent être avides de nouveaux référendums. Dans tous les pays, pour étouffer la démocratie, on noiera le peuple sous les référendums. Chaque foyer aura un bouton oui et un bouton non et, le soir, il faudra répondre avant d’avoir le droit d’aller se coucher. Il y aura le référendum crèches, le référendum ramassage des ordures et aussi qualité de l’eau, cantines scolaires, signalisation routière. Sans compter l’Afghanistan et la Libye. Et la météo, il y a des jours où elle aussi mériterait un bon référendum.

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15 juin 2011 3 15 /06 /juin /2011 13:53

 

Les télés françaises, qui devraient être là pour nous éclairer, ont répété que les Non avaient gagné en Italie et montraient des journaux qui titraient : « Victoire du Oui ». Un détail de la vie ? Bien sûr que non car il s’agissait ainsi de cacher ceux qui ont obtenu l’organisation du référendum. Il fallait placer le téléspectateur français dans la situation qu’il connait : c’est le gouvernement qui propose un référendum et c’est le peuple qui dit NON car que  sait dire d’autre le peuple ?!

En Italie, grâce à une loi démocratique, la situation peut s’inverser. Le peuple dit OUI à un référendum qu’il propose lui-même, et le pouvoir dit : NE VOTEZ PAS ! pour invalider son résultat (en effet, s’il n’y a pas 50% de participation, le résultat du référendum n’est pas validé).

Donc si on met le doigt sur la victoire du OUI, ça suppose d’aller à la rencontre des militants qui ont réussi, après l’obtention de milliers et de milliers de signatures et après décision de la Cour constitutionnelle pour bien valider la forme des questions, à imposer leurs vues… pour cinq ans. Même ce jour là Berlusconi est encore sur le devant de la scène !



Les télés et autres médias préfèreront, pour leur propre gloire, et comme c’est la mode, dire qu’en fait c’est la victoire d’internet, afin, une fois de plus, de confondre le média et le message, le média faisant le message ! Il serait déplacé d’évoquer des comités, des mouvements concrets, qui utilisent internet c’est vrai, mais seulement après s’être donné la peine de construire une argumentation, de rassembler des adresses, etc.

Tout comme il faudrait prendre l’effet pour la cause, il faudrait prendre le tuyau pour le contenu. Même si je reconnais aux bouteilles de vin quelque originalité, je préfère le contenu au contenant.

Aussi, pour avoir un peu de contenu de cette bataille référendaire italienne, voici un entretien bref et direct avec Antonio Di Pietro, l’ancien juge devenu animateur d’un parti politique (Italia dei Valori) qui a été au cœur de l’action, et dont les réponses expriment à la fois une grande sagesse et une grande détermination. Bersani, le dirigeant du PD [le parti de gauche] qui a peu fait pour cette bataille arrive ensuite, avec des propos plus radicaux, en demandant la démission de Berlusconi. Car pour lui, comme pour les autres partis, seules valent les élections où on obtient des postes, et non les élections où on se bat pour des idées.

 A mes yeux, la victoire du OUI en Italie confirme non seulement le fossé existant entre les citoyens et la droite, mais aussi celui existant entre les citoyens et la gauche, d’où l’observation prudente de Di Pietro : dans des législatives, pour le moment, personne ne peut prévoir le gagnant. Cette prudence lui vient sans doute de son combat judiciaire des années 90 contre les magouilles (et pire) de la Démocratie Chrétienne et du Parti Socialiste italien (le secrétaire général de ce parti, Craxi, était parti se réfugier chez son ami Ben Ali où il est décédé) qui n’ont pas abouti à la victoire de la gauche mais à l’arrivée sur la scène politique de Berlusconi, un personnage plus corrompu encore que ceux qui venaient de tomber ! JPD

  

 

Voici un entretien avec le président Antonio Di Pietro (du parti Italia dei Valori), publiée le soir du référendum dans «Le Fait du jour ».

 

A sept heures du soir Di Pietro est encore le champagne à la main. Grande joie chez ses partisans. Nous nous rencontrons, il sourit, est clairement heureux. Ensuite, il s'excuse: «Attendez une minute." Il part voir les titres des TG3 [la chaîne un peu à gauce], et Antonio Di Pietro veut  les voir à nouveau pour vérifier ses déclarations ...

 

[Q] Etes-vous satisfait de ce qui est dit?

"Oui, oui, ça va ..."

 

[Q] Pourtant Bersani a fait plus que vous : il a exigé la démission du Premier ministre ?

"Le jour où Berlusconi a menacé, Piazza Navona, c'était moi, vous étiez là, et beaucoup d'autres personnes, à dire que ce pays ne mérite pas un tel gouvernement."

 

[Q] Mais aujourd'hui ...

"Aujourd'hui, nous sommes heureux d’être si nombreux et j’ai une conscience claire de ceux qui ont fait leur devoir."

 

[Q] Mais Bersani l’a entendu ?

"Oui, et nous nous sommes complimentés."

 

[Q] Et vous ne voulez pas de la démission de Berlusconi ?

"Vous voyez, le vote a été un référendum, et je pense qu'il est juste de respecter les électeurs, de droite, du centre et de gauche qui sont allés aux urnes."

 

[Q] Pragmatique ?

"Non, je pense que les mathématiques n e sont pas une opinion sur le vote général : la majorité des électeurs est allée voter et 95 pour cent ont dit« oui ». Dans le cas de consultations nationales il n'est pas dit que ce 95% ne devienne automatiquement un vote pour le centre gauche. Ce sont deux questions distinctes. "

 

[Q] Démission mise à part, demain que se passera-t-il ?

"Je travaille sur une nouvelle forme du parti Italia dei Valori.

 

[Q] Traduisez ?

"Je travaille à une reconstruction du pays qui passe par une alternative crédible. Berlusconi, laissons le à son sort. "

 

[Q] A quel moment vous vous êtes vous dit : « nous pouvons y arriver » ?

"Vous ne me croirez pas, mais je l'ai dit dès que nous avons commencé la collecte de signatures [500 000]. J'ai dit : «Nous devons faire quelque chose pour le pays, nous ne pouvons pas être le parti qui est né après le« Mains propres et ne rien faire » .

 

[Q] Donc, c'est le plus beau jour depuis que vous faites de la politique ?

"Vous voyez, quand ils ont arrêté Mario Chiesa [début de l’opération Main propres], tout le monde a sous-estimé l'aventure. Au lieu de cela, je me suis rappelé les paroles de ma sœur qui m'a dit : « Fais ton devoir et ils en paieront les conséquences ». Nous nous sommes battus, mais à présent, je suis heureux de ce que j'ai fait, comme le résultat d’aujourd'hui. "

 

[Q] Quand vous avez rencontré vos militants ils vous ont accueilli avec Bella Ciao. Vous l’avez chantez aussi ?

" Bien sûr, c'est une chanson qui exalte le désir de liberté, le désir de libération. Je me retrouve dans ce que nous vivons dans notre pays. "

 

 

 

 

 "

 

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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 18:04

Rome en fête, l’exploit des fourmis démocratiques vient de secouer le pays. Plus que les élections locales. Plus que tant et tant de luttes. La vague des années 70 avec le référendum sur le divorce, sur le nucléaire avait marqué les esprits. La droite avait décidé d’arrêter le phénomène en se joignant aux abstentionnistes. C’était (en 84 je crois) le référendun pour défendre l’échelle mobile des salaires qui n’était arrivé au quorum.

Cette fois avec 57% de votants le quorum est atteint et le resultat est de 95% pour dire oui au refus de la privatisation, oui au refus de la tarification de l’eau suivant les lois du marché, oui au refus du nucléaire, oui à l’obligation de comparaître en justice pour tout le monde. Ce n’est pas le NON qui l’emporte mais le OUI car le vote est organisé à partir de propositions des fourmis démocratiques. Ce ne sont pas les partis politiques (même si certains aidèrent ici ou là) mais des comités qui ont battu la campagne pour obtenir les signatures.

http://www.acquabenecomune.org/raccoltafirme/

Des comités qui y ont cru, des fourmis à l’immense courage.

Dans le magnifique théâtre de Syracuse en Sicile, le public attend le début du sectacle. Une femme se lève et déploie la banderole du OUI. Les forces de l’ordre interviennent. La foule commence à crier “Vergogna, Vergogna” (Honte, honte), la sécurité fait son travail. La foule est un peu désapointée et se met à applaudir puis une personne, puis deux, pjuis cent, puis mille crient : “Vota si” (vote oui).

Les fourmis avaient frappés. Jamais invités dans les talk show. Jamais en première page. Oui, les indignés de la Puerta del Sol étaient sur toutes les télés (ce n’est pas une critique mais un constat) et au même moment, en silence, des centaines de militants préparaient le bouleversement de l’Italie.

Je n’avais apprisl’existence de ce référendum que dans la Réppubblica du 6 juin.

Rome est en fête, partout dans le pays les foules se rassemblent, des foules qui n’y croyaient plus. Berlusconi ne fait plus la Une. Il reconnaît sa défaite. Ses petits plans de gardien du temple du pouvoir vont tomber dans les poubelles. La seule chose qui va le rassurer c’est que le peuple a gagné mais que son opposition doit elle aussi s’inquiéter.

J’écris sous le coup de l’émotion. Demain il sera temps de tout analyser. JPD

 

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1 juin 2011 3 01 /06 /juin /2011 12:01

 

Certains penseront que les week-end se suivent sans se ressembler. Hier, les socialistes espagnols buvaient la tasse au point que la droite demande des élections législatives anticipées. Aujourd’hui Berlusconi est au tapis au point que la gauche italienne demande des élections législatives anticipées.

Milan, comme toute l’Italie, possède un mouvement social puissant depuis longtemps, mais la domination de Berlusconi rendait inexistant, pour les médias dominants, Giuliano Pisapia, le nouveau maire. Je ne sais combien de Unes ont été consacrées à Silvio depuis qu’un jour de 1985 il est venu en France acheter la première télé privée française au gouvernement socialiste !

 

Donc, grâce aux quelques milliers d’électeurs qui ont quitté la droite, s’agirait-il de parler de la gauche ? Par une coïncidence étrange La Reppublica du 30 mai donne la parole à Massimo Cacciari, ce que fait aussi Libération du 31 mai… Avant que ce philosophe (j’ai deux de ses livres dans ma bibliothèque[i]) ne devienne maire communiste de Venise j’avais été favorablement impressionné par son style et son souci de la réalité. J’ai donc suivi son évolution qui n’a pas été du côté du renouvellement de l’engagement « communiste » mais du côté du glissement à droite jusqu’au centre actuel. L’heure serait-t-elle au centre ?

 

Or la surprise à Milan comme à Naples, c’est la victoire d’hommes de gauche atypique. Que L’Italie des valeurs (le parti de Di Pietro) l’emporte à Naples me paraît aussi important que la victoire d’un membre de la gauche du Parti Démocratique, à Milan.

 

L’Espagne et l’Italie ont un point commun : parmi les miettes électorales l’écologie politique est absente (pas la préoccupation écologiste). Pour le reste nous sommes face au même éclatement : territorial, idéologique, social. Voilà que certains vérifient une évidence oubliée : Berlusconi était à la tête d’une coalition qui va éclater. La Ligue du Nord sort des élections moins affaiblie que le parti de Berlusconi sauf que sans Berlusconi elle a moins de poids ! Et cette « anomalie » italienne  nous renvoie à Cacciari qui indique dans Libération : « Il faut aussi rappeler qu’à l’époque, Silvio Berlusconi a gagné grâce aux erreurs incroyables de la gauche. Si, par exemple en 1994, le centre gauche avait été capable de comprendre la situation et d’ouvrir un dialogue avec la Ligue du Nord sur un projet fédéral, le parti d’Umberto Bossi n’aurait pas scellé une nouvelle alliance avec Berlusconi et on n’aurait jamais plus entendu parler de lui. »

Cacciari croit en effet au fédéralisme qu’Umberto Bossi appelle« La Padanie » soit un pouvoir toujours plus grand des riches sur les pauvres ! Un racisme qui depuis n'a pas baissé la garde ! Aussi je comprends très bien qu’il puisse dire ensuite : « Il est difficile de penser pouvoir transposer sur toute l’Italie la victoire de Giuliano Pisapia ». Sa stratégie d’union vers le centre serait alors marginalisée !

 

Donc nous avons : plusieurs tendances au centre, plusieurs tendances au sein du Parti démocratique, l’Italie des valeurs, le cas d’une gauche plus authentique avec Nicki Ventola ; plusieurs tendances à droite avec l’hypothèse d’un remplaçant pour Berlusconi mais si ce remplaçant est Tremonti, le bras droit de Fini, la Ligue ne peut pas suivre, car Fini reste sur une ligne « nationale ». Berlusconi avait l’avantage d’équilibrer les deux courants.

 

Pourquoi cet éclatement alors qu’en même temps on parle du développement du bi-partisme ? Le bi-partisme made in USA n’a rien à voir avec le nôtre. Aux Amériques il est celui de la domination d’un Empire, en Europe il est celui d’une marginalisation du politique. Ainsi la victoire de la gauche à Milan signifie la fin d’une alliance entre patronat et Berlusconi (il date de deux ans). Alors que la victoire de la gauche à Naples signifie le début d’une alliance entre les citoyens et le politique contre la Mafia. Toute la question est donc partout la même : comment le politique, de droite ou de gauche, peut-il relever la tête face au pouvoir économique sans chercher à refonder la démocratie ? Giuliano Pisapia établit un lien en ligne droite de la place Tahrir au Dôme de Milan. S’il s’agit d’évoquer des peuples en quête de pouvoirs, je suis d’accord ; s’il s’agit de masquer que derrière les peuples les forces économiques tiennent toujours en main le pouvoir en question, je suis inquiet. Pour le moment en Tunisie comme en Egypte personne ne sait qui va gagner les élections. Pour le moment en Espagne ou en Italie les défaites sont électorales (un coup pour la gauche, un coup pour la droite) sans qu’on sache comment la crise sera affrontée. Quel projet politique peut faire avancer un projet économique favorable au peuple ? Car, chacun le sait, il n’y a pas d’économie sans politique. Sur El Pais du 30 mai, Almudena Grandes commence son billet du lundi par une citation de Lénine : « La première obligation d’un révolutionnaire c’est de comprendre la réalité. » Pour l’Espagne, elle en déduit que la gauche ayant déjà perdu en 2012, elle doit repartir de zéro pour reconstruire un projet d’avenir avec autre chose que les analyses de 1870. Et je pense que la victoire de la gauche italienne ne la dispense pas de la même attitude comme celle de la gauche française en 2012. Sinon, les têtes vont changer mais comme dans une chasse à courre, les forces économiques vont conduire tout le monde dans le même réduit, celui de l’exploitation maximale du travail humain.

2-06-2011 Jean-Paul Damaggio

 


[i] Icônes de la loi, Christian Bourgeois, 1990 (traduit d’un livre de 1985)

Déclinaison de l’Europe, Editions de L’Eclat, (1996, traduit d’un livre de 1994 que j’ai aussi en version italienne ; Geo-philosofia dell’europa, Adelphi). Arnaud Spire s’était fait un plaisir de présenter le livre dans l’Humanité le 19 avril 1996. « Un franc-tireur de la pensée  progressiste » dit-il.

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