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31 juillet 2010 6 31 /07 /juillet /2010 13:13

ardus.jpg

 

En 1979 André Benedetto a transporté au parc Champfleury à Avignon la pièce qu’il avait créée pour le Festival d’Occitanie, Pique-nique au Moulin d’Ardus. J'ai été mazrqué par cette pièce que j'évoque déjà deux fois dans le blog.

http://la-brochure.over-blog.com/article-pique-nique-au-moulin-d-ardus-ii-50549046.html

 

Jean-Pierre Léonardini, le même que celui qui participe à la fête de 2010 à la gloire de Benedetto, en rendit compte d’une drôle de manière dans L’Humanité. J’avais alors envoyé une lettre au journal pour dire maladroitement ma colère, lettre qui ne fut pas publiée mais qui me valut une réponse de la direction du journal. Autant de documents qui éclairent un débat crucial sur l’art, le théâtre et la vie. Pour comprendre commençons par un court échange entre Benedetto et Castan diffusé pendant le Festival de Montauban.

Débat Castan-Benedetto

Castan : André, voici le troisième volet de la trilogie que tu as écrite sur et pour notre ville. 1974 : le siège de Montauban, une ville libre, en 1621, lutte pour indépendance politique et religieuse ; 1976, les drapiers jacobins : le rêve d’une république une et infiniment divisible, en 1791… ; 1979 : Pique-nique au Moulin d’Ardus. Que dirons-nous de cette évocation de Montauban en 1935 ?

Benedetto : Dans cette évocation, qui ne prétend pas être une reconstitution méticuleuse, nous verrons un grand nombre de personnages (imaginés) aux histoires entremêlées, des jeux divers, des affrontements sur une scène principale dont le décor est extrait de la toile de Cadène ; et des hommages en style de théâtre d’intervention sur une scène secondaire qui introduit un deuxième regard. Nous verrons surtout, et c’est la leçon fondamentale, que ce Montauban 35 est un microcosme exemplaire où, face à la montée du totalitarisme nazi, deux tendances anti-fascistes se dégagent complémentairement : celle des militants du Front populaire et celle des jeunes poètes.

Castan : Qui interpelle cette ville ? Le siège : Richelieu, symbole du centralisme, à qui la ville répondait ce qu’il ne souhaitait pas entendre ; les drapiers : schéma inversé, par la voix de Gautier-Sauzin et d’Olympe de Gouges, la Ville interpellait la Nation, laquelle, par la voix de Robespierre, répondait des paroles de liberté sociale, linguistique, individuelle ; Pique-nique : est-ce Cadène qui interroge, ou Cadène qui répond ?

Benedetto : Par cette toile unique à l’époque, Cadène interroge et répond en même temps. Mais surtout, nous, il nous provoque, nous incite, nous inspire. Par la texture et le sujet, ce chef d’œuvre est porteur de toutes les aspirations de 36. Et cela dès 1935, et c’est donc en répondant par prémonition que Cadène nous interroge. Pourquoi a-t-il fait cela à ce moment-là et en cette ville ? La toile opère une synthèse entre les forces de la vie. Si elle est commandée par la municipalité à l’initiative de conseillers liés au peintre dans une dynamique prolétarienne, elle est fortement inspirée par le comportement de ces jeunes femmes et hommes, épris de poésie, de jazz, de loisir… d’amitié.

Castan : Venir d’Avignion pour interroger Montauban, puis transporter à Avignon un théâtre où se mêlent l’historique et l’imaginaire, quel est l’intérêt de la démarche ?

Benedetto : L’intérêt de la démarche est qu’elle se fait en collaboration dès la première idée avec un Festival qui se conçoit d’abord comme un outil d’interrogation et d’investigation de son temps à partir de sa ville même.  Alors la ville, la cité, apparaît come porteuse de contradictions – c’est-à-dire d’éclairages – qui ont une valeur universelle. Alors il est bon que ce travail, de haute conscience et de bon divertissement, soit présenté dans un autre carrefour artistique comme exemple de ce qu’il est possible de créer, et pour cette année particulièrement, comme modèle de questionnement dont, en ces heures difficiles, la collectivité française a le plus grand besoin.

 

Distribution de la pièce Phaye Poliakoff

Le voyageur dans la toile qui joue aussi par force, le peintre lui-même, le garçon de café et le policier dans un arbre : Bertrand Hurault

Mademoiselle Hortense, Jacqueline Benedetto

Max, Picou et Picart : André Benedetto

Les trois poètes et les trois militants du Front populaire : Bernard Wunsche (Raoul - Léon) ; Gilbert Lyon (Sylvie-Maurice) ; Claude Djian (Thomas-Edouard)

Les quatre actrices du théâtre d’intervention : Agnès et fleuriste- Marie-Charlotte Chamoux ; Voyante et tenancière – Soizic Arsal ; Liede et fille - Annie-Claire Pankowsky ; La vierge Marie :.

Aicha : Martine et le père de Max : Georges Benedetto.

Avec la collaboration de Frances Ashley et de Pascale Benedetto pour les décors, costumes et accessoires et de Bruno Hurault pour la régie.

 

Critique de Jean-Pierre Léonardini

Entrer dans la toile

En 1935, Lucien Cadène, artiste peintre montalbanais, réalise « Dimanche à Ardus » une huile de 200x300. C’est une composition sympathique (on en distribue la reproduction en carte postale au début du spectacle).

Sur cette toile – de facture post-impressionniste- figurent onze personnages : couple attablé, un pêcheur vu de dos en slip de bain ; une jeune femme en robe jaune sur une balançoire ; un chien endormi… de l’herbe verte, de l’eau gris-bleu, des arbres au feuillage léché, bref, une scène de genre, pas génialement peinte mais attendrissante, quoique un peu raide dans la composition. On sent l’artiste à l’hédonisme appliqué.

Benedetto imagine qu’un type d’aujourd’hui entre dans la toile, pour remonter jusqu’au temps qui la vit naître. Les personnages peints s’animent, d’autres les rejoignent. Jeunesse petite et moyenne bourgeoisie dorée, radicaux, socialistes, communistes, une femme rêvant de voyages, une voyante mère-maquerelle, une prostituée qu’on veut tirer de là, un père riche et de droite qui ne l’entend pas de cette oreille etc.

En face, à l’autre bout du hangar, trois jeunes comédiennes font, par moment, de l’agit-prop par-dessous la jambe. Cela ne mène pas loin. On s’en aperçoit vite. L’écriture est relâchée, Benedetto s’en remet trop vite à son aisance. Le jeu sur les mots tourne court. L’esthétique de l’opérette  provençale à l’amicale laïque vaut-elle vraiment la peine d’une réhabilitation ?

Un tel spectacle de la part d’un homme de théâtre singulier et inventif, constitue un signe de désespoir. Avoir à écrire cela est pour nous un crève-cœur. Qu’on admette, du moins, l’amitié comme notre seul mobile. J-P L

 

Réponse Jean-Paul Damaggio

Cher camarade,

J’ai lu dans l’Huma le point de vue sur la dernière pièce de Benedetto : Pique-nique au Moulin d’Ardus. Je me permets d’apporter une autre vision de la pièce que j’ai vue à Montauban où elle fut créée. C’est ce qui me permet d’entrer dans la toile d’une autre façon.

Mais de quelle toile s’agit-il ? J.P.L. commence son article par une description de la peinture. A-t-il pris la peine d’aller voir la peinture que pourtant Benedetto (me semble-t-il) a pris la peine d’amener à Avignon avec une exposition à son sujet ? Manifestement non et c’est ma première déception à la lecture de l’article. Il y a le pécheur : sa canne à pêche tombe dans une barque ; il y a une femme qui se balance dans une espace que l’on ne peut situer. Les personnages ne se regardent pas. Ces détails scabreux sont une des dimensions majeures de la toile qui donne le ton, qui donne un ton. C’est un artiste de province qui s’est toujours refusé d’exposer à Paris et qui s’inscrit dans la vie d’une ville de province. Et « le type d’aujourd’hui » qui entre dans la toile est le peintre lui-même. « Le jeu sur les mots tourne court » parce que la vie de la jeunesse dont il est question tourne court. La toile faite en 1935 pour décorer une Maison du Peuple toute neuve (c’est un autre aspect de la toile) porte en effet tout un monde qui est entre (ou avec) l’espoir de vacances au soleil, et la fin d’un monde. Et le rapport au surréalisme, au jazz… La pièce de Benedetto est une pièce de province sur une ville de province et la richesse de cette province que l’on peut ainsi découvrir, est un signe d’espoir. Tout n’y est pas, et le monde qui s’y trouve n’est pas tout, mais il est pour moi une part de moi-même et je suis sorti du spectacle plus riche, plus fort, plus chez moi, ce qui veut dire plus Occitan et plus Français par là-même. Peut-être y a-t-il encore beaucoup à faire pour que les gens de Paris et les gens d’ici se comprennent !

 

Ce qui est en jeu

Ma réponse est maladroite car elle n’insiste pas assez sur la richesse propre à l’instant mis parfaitement en scène par Benedetto. J’ai voulu être trop gentil. Qui se souvient que le jazz en France s’est développé grâce à Hugues Panassié qui habitait alors Montauban, et Lucien Bonnafé pourrait rappeler, s’il était là, l’incompréhension première des communistes par rapport à cette musique. Richesse propre à l’instant… que Léonardini oublie d’indiquer, celui de la montée du Front populaire. Voir la toile et donc la pièce, consistait non en une description photographique mais artistique. Là où Léonardini voit une œuvre sympathique (la sympathie du mépris) il existe en fait une œuvre novatrice. Pour une Maison du peuple !  Oui, Lucien Cadène était un grand peintre, généreux, ouvert au monde de partout et au sien propre, et la richesse propre dont j’aurais dû mieux parler, tourne autour de cette capacité à être à la fois d’ici et de partout. Tout l’art de Benedetto me semble contenir dans cette contradiction (mot clef de son esthétique) présentée comme un éclairage : l’ici fortement revendiqué pour mieux voir ailleurs.

Mais à chacun de tirer ses propres découvertes de cette confrontation de textes.

31 juillet 2010. JPD

http://la-brochure.over-blog.com/article-castan-benedetto-montauban-43684793.html

 

Cette fois j'y reviens car je retrouve la critique qu'en fit J-P Léonardini qui participa à la fête de cette année pour honorer Benedetto. D'où les documents qui suivent.

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30 juillet 2010 5 30 /07 /juillet /2010 21:54

 

Nous venons tous de quelque part, cette géographie constituant une part de notre sentiment d’appartenance, une part de notre identité. Marthaler de Suisse et d’Allemagne, Mouawad du Liban et du Québec, Benedetto de Marseille comme de Bordeaux.

Que Benedetto appartienne à l’Occitanie est une évidence, sauf que l’Occitanie n’est pas une évidence. Le comédien avignonnais se construira l’Occitanie de sa référence à travers une formule qu’il citera souvent en précisant le nom de son créateur, Félix Castan.

Dans un long texte de Benedetto publié le 16 juillet 1977 dans L’Humanité, nous lisons :

« «L’Occitanie a engendré la France ». Cette vigoureuse formule de Félix Castan qu’il développe d’une autre manière, je la fais mienne au point où j’en suis d’une lente réconciliation       avec la France, par le chemin occitan. Mais pas n’importe laquelle ! Celle-là seule capable de se concevoir, comme un devenir acceptable, transformable, et non comme une idée enfin réalisée. »

Trois ans après à la Fête de L’Humanité Benedetto lira son texte poétique Le mémento occitan où il dira d’une autre façon la  même chose : 

« C’est Castan ui disait un jour

Oui la France est une invention

Occitane qui a mal tourné. »

Cette double citation en lien avec le quotidien du Parti communiste, avec en référence un créateur lui-même communiste toute sa vie annonce une autre appartenance, une autre communion des saints, une autre famille, la famille communiste. Et quand on ajoute que la poésie de la dite Fête de 1980 est présenté avec le concours de la Compagnie Lubat, on, s’ancre encore plus dans la même communion qui ne peut cependant pas être la simple communion orthodoxe de la « religion » du PCF. La vision que ce parti avait de la France une et indivisible, était jusqu’au tournant de 1976 contraire à la vision qu’en avait Benedetto. Au cours du XXIIe Congrès, les dirigeants communistes décidèrent de nouer des liens avec l’autogestion, le combat régionaliste et pour le Midi, le combat occitaniste. D’où la publication du livre de René Merle, Cultura per avançar ? ou la série de texte dans l’Huma de l’été 1977 sous le titre générique : Lire le pays.

Benedetto inscrit donc son évolution dans cette même histoire. Il précise dans l’article évoqué :

« C’est en travaillant aux « Drapiers jacobins » que j’ai découvert la notion non figée de nation. Une notion active, ouverte, en devenir, conçue comme un projet toujours actualisable et non comme un dogme et une fin en soi devant lesquels il faudrait abdiquer. Ma région commence peut-être bien avec ce fait surprenant, étonnant : l’hymne national s’appelle « la Marseillaise » ! »

Les Drapiers jacobins, c’est une pièce créée à Montauban sur proposition de Félix Castan, ce dernier pensant avoir trouvé, parmi les révolutionnaires montalbanais,  un sans-culotte défenseur de la langue d’oc, ce qui permettait de rappeler ainsi que toute la Révolution n’avait pas suivi l’abbé Grégoire et son désir d’éliminer les patois. La publication de la pièce va donner lieu à une préface de Castan au titre provocateur : Robespierre anti Grégoire. Personnellement j’étais sur la même pente et j’ai alors tenté d’étudier la vie de ce sans-culotte. Malheureusement Gautier-Sauzin n’avait rien à voir politiquement avec le Gautier sans culotte, la pièce faisant un amalgame malheureux. Construite sur un contre-sens historique, car parfois à trop vouloir démontrer on se fabrique une réalité à sa convenance, elle fit évoluer Benedetto dans son rapport à la nation française. Pour ma part, je reste un jacobiniste authentique, attentif à la grande foule de ceux qui créèrent les sociétés populaires, je voudrais plus de rues portant le nom de Robespierre qui n’a jamais été le sanguinaire présenté par l’idéologie dominante, je pense que l’unité de la nation ne se réduit pas à l’uniformité, mais rien à mes yeux ne fait de Robespierre un anti Grégoire. Sans le vouloir, mes recherches historiques m’envoyèrent sur la marge d’une sympathique communion des saints, ou pour le dire autrement, à la marge de la marge.

 

Pour retrouver totalement Benedetto, pour me retrouver avec lui, avec son art, avec son épique, j’ai repris son petit texte, Jaurès la voix. Dès les premiers mots, j’ai la sensation de l’entendre à nouveau, je ne sais exactement où je l’ai entendu, mais l’effet est sidérant, je l’entends exactement comme il joua ce fleuve de mots. Une fois encore, la Fête de L’Humanité accepta d’accueillir les désormais complices permanents, Lubat-Benedetto, pour faire entendre Jaurès la voix. Sur la grande scène. Mais ce n’est pas là que j’ai pu l’entendre. Peut-être à Carmaux.

« et alors cette bouche s’ouvre et la parole coule les mots les phrases et le souffle la voix déverse des idées des images ouvre la rideaux les fenêtres sur les pays du monde…

Benedetto lui-même était avant tout une voix, non pas une voix « au service d’un texte » mais une voix imposant son texte. D’où le décalage avec Castan qui était beaucoup plus du côté de la France de l’écrit. D’où deux conceptions de la langue totalement différentes.

Et ce n’est pas une surprise si nous arrivons ici, par cette porte, à la question de la langue. L’homme de théâtre authentique, même s’il joue un texte classique de Molière, même si l’acteur et le metteur en scène doivent respecter le texte, s’impose par la voix. Et Benedetto était une voix unique, un forme d’intervention de la voix unique, Et j’en conviens, tous les comédiens sont soumis à la même règle, tous doivent mesurer la force de leur propre originalité, tous doivent travailler cette voix pour exploser et exposer leur être, et Benedetto joua sa partition en permanence.

Cette découverte relève sans doute pour beaucoup de personnes de l’ordinaire sauf que la France, par son école républicaine, appartient à la culture sacrée de l’écrit. La catastrophe de l’exercice de la « récitation » est infinie. La voix devant se plier au texte, grâce à l’intonation juste, ne devait laisser place à aucune originalité. Ayant été instit, je me souviens de mon premier stage de trois mois en classe de C.P. où un enfant avait une façon de réciter fabuleuse, rendant sans hésiter un texte triste, comique. Trahissait-il le texte ? Je crois plutôt que c’est son génie qui a dû ensuite être trahi par la normalisation.

J’ai connu le Jaurès joué par Alrancq, le Jaurès présenté p       ar Jordi Blanc, ce Jaurès dont les Occitanistes voudraient être les enfants, mais celui de Benedetto m’est resté dans l’oreille.

« c’est lapeur qui est au pouvoir cet été-là la peur a pris le gouvernail la peur conduit la barque vers les pires tourmentes sur les gouffres sans fond par une nuit sans lune qui va durer quatre ans. »

Chez les Occitanistes j’ai croisé un jour Rémi Pech (pour honorer Auguste Fourès) que des années après j’ai découvert à nouveau dans un livre intitulé Jaurès paysan. Un très beau livre n’en déplaise à Jordi Blanc qui sans doute, rebuté par le titre, n’a pas dû le lire. Socialement Jaurès n’était pas un paysan mais il vécut en un temps où tout un chacun pouvait se nourrir de la culture paysanne jusqu’à devenir paysan et c’est le mérite de Jaurès, du Jaurès orateur, du Jaurès de la voix dont des décennies après Benedetto peut être encore le frère.

Jordi Blanc comme Castan appartiennent à l’écrit or l’occitan écrit c’est un aventure qui vit cette langue très longtemps « pollué » par son oralité. Pour éviter la culture patoise, localiste, celle de l’idéologie dominante même quand elle n’est pas en français, fallait-il cracher sur la langue orale authentique ?

Dans sa préface aux Drapiers Jacobins, Castan conclut par son définition de la langue :

« Quand tout serait perdu des antiques héritages, une langue ne subit pas nécessairement le sort général, car une langue, seule parmi les faits humains, n’est pas univoque. Une langue peut tout dire, elle n’est pas enfermée dans les frontières de son pays comme une muette, elle dit s’il le faut ce qui est au-delà des ces frontières, et dans ce retournement de fonction elle acquiert une valeur nouvelle et universelle, des justifications inaliénables. »

Et pour justifier cette analyse il pouvait après avoir vue la pièce jouée à Montauban :

« Qu’en langue d’Oc, pour conclure la pièce, sur la Place nationale décorée aux couleurs nationales, ait été chantée une Marseillaise que le public n’a nullement refusé, cela signifiait plus qu’il ne paraissait. D’abord ceci : quand tout serait perdu… »

Oui la langue d’oc peut dire :

« Anem enfants de la patria

Lo jorn de gloria es arribat… »

La langue d’oc a survécu par les paysans et quand les paysans s’en vont, elle s’en va avec. Qu’elle puisse tout dire, partout, n’est la garantie de rien ; seulement une abstraction.

Sans les parlers vivants, toutes les langues entrent au panthéon des langues mortes. Dans toute l’œuvre de Benedetto, quelle part est réservée à la langue d’oc ? Une petite part qui confirme que cette langue mérite la défense qu’il propose sans pouvoir promouvoir un avenir plein de justifications inaliénables.

30 juillet 2010 Jean-Paul Damaggio

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25 juillet 2010 7 25 /07 /juillet /2010 17:50

marthaler-2.JPG

 

Avignon 2010 : sur la photo Marthaler (le barbu au centre) et son équipe rencontrent le public.

 

En 1973, André Benedetto décida, avec la complicité de Félix Castan, de créer une pièce de théâtre pour un lieu précis, la Place nationale de Montauban, une pièce qui ne pourrait pas être répétée ailleurs, une pièce s’appuyant sur l’histoire de ce bijou architectural.

En 2010, premier festival off d’Avignon sans Benedetto, Christoph Marthaler décida, avec la complicité des organisateurs du festival In, de créer une pièce de théâtre pour un lieu précis, la Cour du Palais des Papes, une pièce qui ne pourrait pas être répétée ailleurs, une pièce s’appuyant sur l’histoire de ce bijou architectural.

Le parallélisme entre les deux démarches s’arrête là. Je veux dire, s’arrête à l’ombre de deux démarches théâtrales totalement différents.

La coïncidence mérite cependant ce livre qui va continuer le précédent au sujet de l’action de Wajdi Mouawad, dans cette même Cour d’honneur en 2009.

 

A qui appartenons-nous ?

Avant de rejouer sa trilogie avignonnaise, à Montréal, Wajdi Mouawad a décidé de se poser à lui-même cette question : à qui j’appartiens ? Une question difficile vu le parcours qui le transporta de l’origine libanaise, à son installation au Québec, en passant par son séjour français etc.

 

Avant de retrouver les réponses de Mouawad et Benedetto, voici ce que dit Marthaler quand on l’interroge sur son rapport au temps, qui est un point crucial de son art :

« En Suisse, il existe des bistrots où les gens sont complètement silencieux : et quand ils commencent à parler, il y a comme un brouhaha soudain. »

Plus loin dans le même entretien (publié pour le festival chez ¨P.O.L.) : « Tout mon théâtre porte la marque de mes origines suisses, mais aussi de mon séjour en Allemagne de l’Est, où nous étions quelques Suisses à la Volksbühne de Berlin à travailler avec des acteurs allemands encore marqués par la RDA et dont certains avaient connu trois révolutions : j’y ai beaucoup appris. »

Plus loin encore : « En bon Suisse, j’ai besoin de régler les choses.

Mais comme chez tout créateur, la contradiction n’est pas loin :

« Pour faire du théâtre, je dois sortir de ma biographie, sortir de moi pour me concentrer sur les autres. Et le soir, je rentre dans ma vie, les comédiens sont très loin, le travail est terminé. »

Le bon Suisse Marthaler appartient-il aux autres ? S’est-il mis à exister, à créer quand il a pu s’offrir aux autres ?

La pièce de théâtre dont il est question est fondamentalement une œuvre collective. Avec le metteur en scène, nous trouvons à égalité la scénographe Anne Viebrock, le dramaturge Malte Ubenauf, la collaboration de l’écrivain Olivier Cadiot, l’auteur des costumes, la direction musicale et bien sûr tous les acteurs dont on ne peut pas dire que l’un apparu plus que l’autre. Les autres sont-ils seulement « son équipe » ou faut-il y inclure le public ?

S’est-il mis à créer quand il a pu découvrir qu’il était le seul à pouvoir aller dans son sens à lui ? Quittant sa Suisse alémanique natale pour Berlin, a-t-il appris là-bas qu’il avait une e fonction unique ? Il faudrait connaître l’origine des deux personnes décisives du puzzle : Anne Viebrock, très présente sur Avignon, et Malte Ubenauf, totalement absent. Quand on demanda à Christoph de qui était le texte sur le mensonge, il répondit comme si c’était une évidence, de Malte Ubenauf, son dramaturge. En fait Marthaler est là pour… mettre en musique. Il continue au théâtre d’être le musicien de ses débuts, mais pour quel objectif ? Je n’ai pas écrit « pour quel message ? » question démodée et bonne tout juste pour la publicité… Je déduis de ce premier détour que Marthaler appartient à la Suisse d’où il est sorti en sortant de lui-même au contact de Berlin.

 

Pour Benedetto les faits sont simples : à partir des cas de Marseille et Avignon, il appartient au Sud de la France, un Sud en mouvement, en révolte, en action, un Sus ainsi en phase avec d’autres mouvements, révoltes et actions. Quand il arrive à Montauban au début des années 1970, il se retrouve comme chez lui, et il va s’y installer encore plus au fil des ans. Il travaille avec d’autres, il soulève des montagnes, et en tant que créateur s’il appartient au théâtre c’est pour les droits à la parole trop souvent bafoués. L’hommage qui lui est rendu en 2010 est une reprise de cette appartenance par le Sud de Philippe Caubère pour Marseille jusqu’à celui de Bernard Lubat pour la Gascogne. Pas un Sud enfermé sur lui-même s’auto-glorifiant d’être la revanche sur Paris, un Sud cristallisant toute une histoire.

Qu’aurait-il pensé du travail de Marthaler ? Qu’il avait totalement le droit de venir à Avignon en transportant sur son dos sa maison Suisse ? Que comme pour lui, la biographie n’est pas tout ? Que la Cour n’était pas dans ses cordes ? Que notre monde artistique est éli-triste même chez un prince sans rire ? Car pour comprendre Marthaler, c’est sûr, il fallait peut-être des clefs chères sans doute à quelques élites capables de goûter le plaisir de voir une machine à laver nettoyer les péchés d’un menteur. Beaucoup penseront de Benedetto qu’il a trop appartenu au théâtre militant, or son rapport à l’engagement n’est pas différent de celui des autres créateurs, puisque tout est engagement, même chez ceux qui prônent le désengagement. D’accord, une telle phrase ne dit rien puisqu’ensuite il reste à voir comment s’articule art et engagement.

 

Pour Wajdi Mouawad, une Québécoise a retenu, sur son blog, les deux citations suivantes pour dire sa joie devant son théâtre :

« Nous n’appartenons à personne ; nous appartenons à notre capacité de mettre en forme la beauté qui nous hante.

Aller vers l’autre, parfois, c’est comme pénétrer dans une forêt vierge. »Wajdi Mouawad.

« La famille qui ferme les volets sur elle-même devient inhumaine. [ ] La famille peut devenir l’enfermement le plus horrible et la quête généalogique c’est le risque de s’y emprisonner soi-même. » Jean-Paul Damaggio, Au Carrefour de Wajdi Mouawad, 2009.

Dans le Carrefour Wajdi Mouawad j’ai tenu à poser la question du non-dit autour de cet artiste, à savoir son appartenance à la culture nord-américaine, une appartenance que je ne concevais pas comme un enfermement mais comme un constat. Quand Wajdi répond qu’il appartient à sa capacité à mettre en forme la beauté qui le hante, il laisse vide cette autre question : par quel chemin une beauté s’est-elle mise à le hanter ?

 

Pour les trois artistes nous tournons autour du rapport de la biographie à l’acte de créer, l’une engendrant l’autre et réciproquement ; mais l’une ne pouvant jamais effacer l’autre ! L’acte de créer est constitutif de l’évolution biographique de l’artiste au moment où l’artiste puise dans sa biographie la force de créer. Pour trois résultats totalement différents qui tiennent à l’autre dimension évoquée par les citations de Louise : que deviennent les autres et pour ce qui nous concerne ici, le public ?

25 juillet 2010 JP D

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6 mai 2010 4 06 /05 /mai /2010 17:02

le siège

 Sur cette photo de Frances ASHLEY quelques uns des acteurs qui répètent Le siège de Montauban en public au moment du marché de Montauban. Ils sont installés sur des éléments mobiles prêtés par la SNCF. Ci-dessous la liste de toutes les personnes qui ont participé à la création telle qu’elle a été donnée par le quotidien du Festival. JPD

 

LES PARTICIPANTS DE LA CREATION

"LE SIEGE DE- MONTAUBAN

- Frances ASHLEY ; - André BENEDETTO ; - Pascale BENEDETTO ; - André BERNARD ; - Frédéric CARRAL ;- Gérard CATHALA ; - M-Charlotte CHAMOUX ; - Jean COBAT ; - J-Paul DAMAGGIO ; - Jacques DUFAUT ; - M-Joëlle ENGUIALE ; - Nadine FERRUA ; - Francis FEUTRIER ; - Patricia FIOT ; - Anne FONSAGRIVE ; - Michèle FOURTON ;- Agnès FRANCOIS ; - Isabelle FRANCOIS ;- Maryse FRANCOIS ; - Pierre FRANCOIS ; - J-Louis GAUDAS ; - Jocelyne GUBIOTTI ; - Alain HEBRARD ; - Guy LABADENS ; - Elyane LATU ; - Jacques LATU ; - Guy LENOIR ;- J-Pierre MEYER ; - Charles NEBOT ; - Madeleine RAVEL ; - Michèle REYNES ; - Marie-Hélène SARRASY ;- J-Marc SEYRESSOL.

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5 mai 2010 3 05 /05 /mai /2010 20:15

soiree20.jpgProchainement à Larrazet Félix Castan sera célébré et en cette occasion il y aura un retour sur l'artiste Benedetto. Nous allons contribuer à cette action par quelques articles.Ici des éléments de sa revue.  JPD

 

Soirées n°20 Septembre-Octobre 1968 Benedetto en action

Bien souvent, la rumeur fait de Mai 68 un début quand il s’agit d’une fin. André Benedetto en est déjà au n° 20 de Soirées, une revue bimestrielle donc, à six par an, on peut dater le début de quatre ans avant environ soit 1964. C’était l’heure de Zone Rouge Feux interdits. La revue recense les articles de presse s’étant fait l’écho du spectacle. Philippe Madral dans l’Humanité, Guy Dumur dans le Nouvel Observateur, Henri Lépine dans La Marseillaise, R. Gaudy dans France Nouvelle, Le Méridional, Le patriote de Côte d’Azur, Le Provençal.

 

Dans L’Humanité

« Il y a deux façons de parler des mêmes mots : « jeune théâtre », « théâtre révolutionnaire », « théâtre libre » : la première est de tourner perpétuellement, sans jamais leur apporter de réponse en évoquant la mort du théâtre et son impossibilité d’existence dans une société où l’homme exploite l’homme. La deuxième est d’œuvrer au corps à corps avec la pratique théâtrale pour la transformer et faire jaillir une réalité dramatique nouvelle, capable d’aider à son tour à une prise de conscience et à un éveil à la sensibilité populaire, dans un sens progressiste. Il faut savoir gré à André Benedetto, et à ses amis, d’avoir choisi cette seconde voie, sans bavardage inutile, en nous présentant une œuvre poétique aussi forte dans son écriture dramatique que dans son écriture scénique.

… Il ne s’agit là nullement d’un drame vécu mais de l’exposé de différentes possibilités offertes à la conscience d’un jeune homme occidental assoiffé de changements ; possibilité vécues et réinventées dans l’imaginaire. En ce sens « Zone rouge » est un psychodrame idéologique, un cours mental singulièrement efficace et d’une actualité brûlante – à la suite des derniers événements de mai et juin – pour tous ceux qui s’interrogent sur les moyens de changer le vieux monde et l’homme. Philippe Madral L’Humanité 31/7/68 »

 

Dans le Nouvel Observateur

« … j’ai cru, après Olivier Todd qui en avait déjà parlé ici, la révélation d’un jeune auteur-metteur en scène, André Benedetto, qui vient de créer « Zone Rouge », spectacle qui pour rappeler ce que fait le Living n’en a pas moins trouvé une expression puissamment originale. C’est miracle que, sans l’aide de personne, et dans une ville où règnent une petite et moyenne bourgeoisie actives mais très conventionnelles en matière de spectacles, puissent se manifester, avec tant de tyzalent, un écricvain solitaire et une troupe de jeunes comédiens. Guy Dumur – Nouvel Observateur 22-7-1968 »

 

Je me garde bien, plus de quarante ans après de tout commentaire. 5-5-2010 JP D

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26 janvier 2010 2 26 /01 /janvier /2010 15:45

 

moulin-d-ardus.jpgParmi les mille actions de Benedetto il y a eu des revues du Théâtre des Carme et je reprends ici celle de mars-avril 1979 qui évoque une création en préparation à Montauban. Elle se base sur un tableau dont il publie le croquis et qu’il présente ainsi : « Ci-contre croquis de la peinture de Lucien Cadène (1887-1958) appartenant à la municipalité de Montauban et se trouvant dans la Maison du Peuple de cette ville. Longueur 3 m. Hauteur 2 m. Très claire. » [depuis ongtemps elle a quitté la Maison du Peuple pour rejoindre la Maison de la Culture puis les réserves du Musée Ingres et c’est à mes yeux un scandale car elle a été faite pour la dite Maison du Peuple construire avec les dons des citoyens suite aux inondations de 1930. jpd]

 

André Benedetto indique le 16/2/ 1979 :

« Eté 1935. Des jeunes gens, des couples au bord d’une rivière. Imaginez la grande et lumineuse toile, pleine d’histoire entremêlées, de nostalgie. Un garçon pêche, une fille cueille des pâquerettes. Une autre se balance poussée par son amant. Des amoureux sont assis face à face.

Nous, maintenant, quand nous examinons ce moment de loisir suspendu dans le temps, nous savons que l’Histoire autour de cet îlot, mettait ses bottes et affûtait ses armes. Nous savons ce qu’ils pressentaient. Mais jusqu’où imaginaient-ils leur destin ? Il y eut 36, 37, 39, 45… 58, 68 et 78 !

Ces jeunes femmes, ces jeunes hommes qui allaient au Moulin d’Ardus en pique-nique, que sont-ils devenus ? et leurs aspirations ? Et les nôtres, pourrions-nous dire. Car nous sommes au milieu d’eux, immobiles, dans leur attente, destins enchevêtrés. Leur futur, c’est notre passé…. Et nous, peut-être, que nous fera-t-on dire dans 44 ans ? » [il y a déjà 30 ans]

 

Un extrait de lettre de Félix Castan est jointe au dossier :

« Oui, on connaît les gens qui ont posé : la fille du centre et Lilette, femme de Malrieu[1], qui donnera beaucoup d'informations. C'était le début d'une "Bande" de jeunes de 20 ans constituée sous l’impulsion d'Herment[2], un poète assez remarquable, à laquelle participait aussi Malrieu. Son histoire a été racontée par l’un et l’autre. Un jour ils sont allé chercher Panassié[3] dans son château rouergat, lequel s’est définitivement installé à Montauban. Et tout le monde s’est converti au jazz, à Ste-Thérèse de Lisieux et à quelques autres saints, pour peu de temps d'ailleurs. La Bande se disloqua vers 1941. C'est ensuite que nous avons fait la connaissance de Malrieu... Sujet inépuisable et plein de significations.

Quant à la peinture, Marcelle[4] remarquait l’audace d'un peintre qui avait su percevoir cette novation qu'avait été la "création" de la plage d'Ardus (toujours vivante à 6 kms de Montauban), par la jeunesse de l’époque. Et aussi l’émancipation toute nouvelle des jeunes-filles (qui sont picturalement mieux abouties que les garçons). Marcelle en ce temps-là enviait Lilette, une blonde énigmatique qu'elle ne connaissait pas, parce qu'elle portait des soquettes (ex non des bas) et n'allait pas en classe.

Cadène était, à près de 50 ans, le représentant d’une première vague intellectuelle à Montauban, qui se terminait, tandis qu'apparaissait une deuxième vague toute différente, celle qui vient jusqu'à nous. La peinture est à la charnière. Précédant 1936, il faut l’analyser sans doute autrement que comme un produit des congés payés.

Cadène est un peintre très estimable. Contemporain et un peu parent du provençal Chabaud : mais avec des positions plus catégoriques, plus fortement incarnées.

Il avait connu le cubisme à Paris avant 1914. Revenu blessé de la guerre, il se fixa définitivement à Montauban et vécut de sa peinture. Sa clientèle était sur place, et dans toutes tes maisons de Montauban on peut voir ses oeuvres, - je ne pense pas qu’il ait jamais exposé à Paris, ni dans des galeries.

Il participait d'une véritable école picturale montalbanaise[5], avec Andrieu (qui a été le maître à penser de notre génération), Marcel Lenoir, Desnoyer, l’ébéniste Soureilhan, le ferronnier Barthélémy...

(Extrait d'une lettre de Félix Castan.21/1/197)



[1] L’épouse du poète Jean Malrieu (1915-1976). C’est chez leur fils Pierre, à Penne, que Félix Castan aura, sans le que personne ne le devine, son dernier repas.

[2] George Herment (1912-1969) un poète à la vie mouvementée.

[3] Hugues Panassié (1912-1974) : un défenseur mondialement connu du jazz.

[4] Marcelle Dulaut, peintre, était l’épouse de Félix Castan.

[5] Félix Castan aimait toujours placer les peintres dans des écoles.

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20 juillet 2009 1 20 /07 /juillet /2009 16:05

André Benedetto d’hier à aujourd’hui

Photo sérieuse de René, Jacques, Marie-France et Annette avec au fond le Théâtre des Cames.

Le 9 juillet 2009 une coïncidence rassembla quelques amis au resto grec de la Place des Carmes à Avignon. Deux faisaient connaissance physiquement (internet n’est pas toujours que du virtuel), René Merle et Jacques Desmarais, tandis qu’Annette la compagne de René, Marie-France et moi-même participions à la conversation.

J’étais tourné face au Cloître des Carmes quand je vis passer André Benedetto. Justement, avec René nous constations que notre premier voyage à Avignon, ce fut pour y découvrir le phénomène Benedetto, quand je le vis passer dans la rue. Nous aurions pu nous lever pour aller saluer l’artiste que nous avions eu le plaisir d’entendre longuement à Larrazet en novembre 2008 où il parla de son travail avec Félix Castan.

Mais je fus stupéfait par l’apparition : j’eus la sensation de voir passer un fantôme et Annette eut ce mot amical dans sa bouche : « On dirait un petit vieux ». Quatre jours après, André décédait à l’hôpital de Nîmes du même choc qui frappa Félix Castan : un accident vasculaire cérébral qu’autrefois nous appelions une attaque.

 

Autour de la table de la Place des Carmes, j’eus spontanément envie de rappeler l’immense dette que je dois à Benedetto et qu’à présent j’écris ici. Je me revois très bien, un soir de décembre 1973 au Théâtre des Augustins à Montauban, quand Benedetto muni d’un livre qu’il avait pris au hasard sur les étagères de ce local de la Fédération des Oeuvres laïques, annonça à la petite troupe rassemblée, qu’il allait nous démontrer ce qu’est le théâtre.

Nous étions des acteurs amateurs en puissance qui devions participer à une création avec Benedetto pour le Festival d’Occitanie animé par Félix Castan. Assis en demi cercle nous attentions impatient la démonstration, tandis que André jetait un œil sur le livre dont il tournait tranquillement les pages. Il s’agissait d’un livre touristique des plus ordinaires, présenté par la présidente du Conseil général aussi nous nous demandions : quel rapport entre le projet (expliquer ce qu’est le théâtre) et ce livre trop banal pour être vrai ?

 

J’avais vingt deux ans et j’étais plus idiot encore que ce que l’on peut être à cet âge là aussi le choc en sera d’autant plus grand quand j’ai entendu Benedetto nous dire : « Je vais vous lire la préface de ce livre ! ». Et en cinq minutes, j’ai appris définitivement ce qu’est le théâtre ! Ce souvenir s’est installé en moi comme un flash ineffaçable ! Le théâtre ce n’est donc pas ce qui est écrit mais d’abord la façon de dire ce qui est écrit ! Avec à l’appui des milliers d’autres artifices. A lire ce texte banal, avec le sérieux bien connu de Benedetto, nous découvrions tout à coup une oeuvre merveilleusement comique ! En un clin d’œil, à le survoler, le comédien avait décidé de le lire sous l’angle de l’humour cher à Dario Fo un auteur que je découvrirai bien plus tard. Tout le monde s’esclaffait sans susciter le moindre sourire sur les lèvres d’André qui impertubable continuait sa lecture.

Tout d’un coup il ne s’agissait pas de bien s’appliquer pour lire un texte (mettre l’intonation si scolaire) mais d’adopter un point de vue sur le texte et de le lire suivant ce point de vue.  En conséquence pour jouer la pièce je n’ai jamais eu la sensation d’apprendre un texte : il s’est construit par les répétitions et rien sauf le récit croisé des témoins encore vivants  (je pense à Eliane Latu pilier de l’épreuve) ne peut rendre l’essentiel de l’événement. En lisant sous la plume de Wajdi Mouawad sa création de Seuls, je découvre la même démarche.

 

Ce que j’écris là paraîtra pour des lecteurs comme une évidence or des années plus tard j’ai vérifié que l’évidence est ailleurs ! En conférence pédagogique une IEN (inspectrice de l’éducation nationale) décida de proposer le classement de « production d’écrits » en deux parties : ceux de l’ordre de l’oral et ceux de  l’ordre de l’écrit. J’ai bien sûr classé le texte d’une pièce de théâtre dans la première catégorie. Horreur ! Il n’y a pas plus livre qu’une pièce de Molière ou de Corneille me répondit-elle scandalisée ! Pour une fois j’ai essayé d’expliquer mais en vain et j’ai eu l’impression de passer pour un idiot (même si ce n’était plus celui que j’étais à vingt ans !).

 

Ce débat nous pourrions le pousser beaucoup plus loin à travers le lien entre André Benedetto et Félix Castan tous deux venus aussi du monde de l’école primaire et liés à l’idéal communiste. Benedetto toujours du côté de la parole et en face Castan du côté de l’écrit. Pour comprendre il suffit de lire l’édition du Théâtre complet d’Olympe de Gouges proposé par Castan qui indique : « Chaque pièce est précédée ou suivie ans l’édition originale de documents sur les difficultés et les démêlés qu’elle a entraînés pour l’auteur, lesquels portent rarement sur le contenu de l’œuvre, et nous avons préféré les renvoyer à une section spéciale du quatrième volume des œuvres complètes.»

Pour Castan l’essentiel c’est l’œuvre écrite or en matière de théâtre le texte ne se sépare pas des conditions de production et de réception du texte en conséquence je considère erronée le choix qui a été adopté, surtout quand on a l’occasion de se plonger dans les dites préfaces ou post-faces.

En conclusion, si je peux donc me permettre un souhait, c’est que la correspondance Castan-Benedetto soit déposée aux Archives pour que des chercheurs puissent y étudier deux façons à la fois très opposées et très solidaires de concevoir la culture, un débat avec un lien plus vaste sur les conceptions de la révolution.

18-07-2009 Jean-Paul Damaggio

 

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