En 1979 André Benedetto a transporté au parc Champfleury à Avignon la pièce qu’il avait créée pour le Festival d’Occitanie, Pique-nique au Moulin d’Ardus. J'ai été mazrqué par cette pièce que j'évoque déjà deux fois dans le blog.
http://la-brochure.over-blog.com/article-pique-nique-au-moulin-d-ardus-ii-50549046.html
Jean-Pierre Léonardini, le même que celui qui participe à la fête de 2010 à la gloire de Benedetto, en rendit compte d’une drôle de manière dans L’Humanité. J’avais alors envoyé une lettre au journal pour dire maladroitement ma colère, lettre qui ne fut pas publiée mais qui me valut une réponse de la direction du journal. Autant de documents qui éclairent un débat crucial sur l’art, le théâtre et la vie. Pour comprendre commençons par un court échange entre Benedetto et Castan diffusé pendant le Festival de Montauban.
Débat Castan-Benedetto
Castan : André, voici le troisième volet de la trilogie que tu as écrite sur et pour notre ville. 1974 : le siège de Montauban, une ville libre, en 1621, lutte pour indépendance politique et religieuse ; 1976, les drapiers jacobins : le rêve d’une république une et infiniment divisible, en 1791… ; 1979 : Pique-nique au Moulin d’Ardus. Que dirons-nous de cette évocation de Montauban en 1935 ?
Benedetto : Dans cette évocation, qui ne prétend pas être une reconstitution méticuleuse, nous verrons un grand nombre de personnages (imaginés) aux histoires entremêlées, des jeux divers, des affrontements sur une scène principale dont le décor est extrait de la toile de Cadène ; et des hommages en style de théâtre d’intervention sur une scène secondaire qui introduit un deuxième regard. Nous verrons surtout, et c’est la leçon fondamentale, que ce Montauban 35 est un microcosme exemplaire où, face à la montée du totalitarisme nazi, deux tendances anti-fascistes se dégagent complémentairement : celle des militants du Front populaire et celle des jeunes poètes.
Castan : Qui interpelle cette ville ? Le siège : Richelieu, symbole du centralisme, à qui la ville répondait ce qu’il ne souhaitait pas entendre ; les drapiers : schéma inversé, par la voix de Gautier-Sauzin et d’Olympe de Gouges, la Ville interpellait la Nation, laquelle, par la voix de Robespierre, répondait des paroles de liberté sociale, linguistique, individuelle ; Pique-nique : est-ce Cadène qui interroge, ou Cadène qui répond ?
Benedetto : Par cette toile unique à l’époque, Cadène interroge et répond en même temps. Mais surtout, nous, il nous provoque, nous incite, nous inspire. Par la texture et le sujet, ce chef d’œuvre est porteur de toutes les aspirations de 36. Et cela dès 1935, et c’est donc en répondant par prémonition que Cadène nous interroge. Pourquoi a-t-il fait cela à ce moment-là et en cette ville ? La toile opère une synthèse entre les forces de la vie. Si elle est commandée par la municipalité à l’initiative de conseillers liés au peintre dans une dynamique prolétarienne, elle est fortement inspirée par le comportement de ces jeunes femmes et hommes, épris de poésie, de jazz, de loisir… d’amitié.
Castan : Venir d’Avignion pour interroger Montauban, puis transporter à Avignon un théâtre où se mêlent l’historique et l’imaginaire, quel est l’intérêt de la démarche ?
Benedetto : L’intérêt de la démarche est qu’elle se fait en collaboration dès la première idée avec un Festival qui se conçoit d’abord comme un outil d’interrogation et d’investigation de son temps à partir de sa ville même. Alors la ville, la cité, apparaît come porteuse de contradictions – c’est-à-dire d’éclairages – qui ont une valeur universelle. Alors il est bon que ce travail, de haute conscience et de bon divertissement, soit présenté dans un autre carrefour artistique comme exemple de ce qu’il est possible de créer, et pour cette année particulièrement, comme modèle de questionnement dont, en ces heures difficiles, la collectivité française a le plus grand besoin.
Distribution de la pièce Phaye Poliakoff
Le voyageur dans la toile qui joue aussi par force, le peintre lui-même, le garçon de café et le policier dans un arbre : Bertrand Hurault
Mademoiselle Hortense, Jacqueline Benedetto
Max, Picou et Picart : André Benedetto
Les trois poètes et les trois militants du Front populaire : Bernard Wunsche (Raoul - Léon) ; Gilbert Lyon (Sylvie-Maurice) ; Claude Djian (Thomas-Edouard)
Les quatre actrices du théâtre d’intervention : Agnès et fleuriste- Marie-Charlotte Chamoux ; Voyante et tenancière – Soizic Arsal ; Liede et fille - Annie-Claire Pankowsky ; La vierge Marie :.
Aicha : Martine et le père de Max : Georges Benedetto.
Avec la collaboration de Frances Ashley et de Pascale Benedetto pour les décors, costumes et accessoires et de Bruno Hurault pour la régie.
Critique de Jean-Pierre Léonardini
Entrer dans la toile
En 1935, Lucien Cadène, artiste peintre montalbanais, réalise « Dimanche à Ardus » une huile de 200x300. C’est une composition sympathique (on en distribue la reproduction en carte postale au début du spectacle).
Sur cette toile – de facture post-impressionniste- figurent onze personnages : couple attablé, un pêcheur vu de dos en slip de bain ; une jeune femme en robe jaune sur une balançoire ; un chien endormi… de l’herbe verte, de l’eau gris-bleu, des arbres au feuillage léché, bref, une scène de genre, pas génialement peinte mais attendrissante, quoique un peu raide dans la composition. On sent l’artiste à l’hédonisme appliqué.
Benedetto imagine qu’un type d’aujourd’hui entre dans la toile, pour remonter jusqu’au temps qui la vit naître. Les personnages peints s’animent, d’autres les rejoignent. Jeunesse petite et moyenne bourgeoisie dorée, radicaux, socialistes, communistes, une femme rêvant de voyages, une voyante mère-maquerelle, une prostituée qu’on veut tirer de là, un père riche et de droite qui ne l’entend pas de cette oreille etc.
En face, à l’autre bout du hangar, trois jeunes comédiennes font, par moment, de l’agit-prop par-dessous la jambe. Cela ne mène pas loin. On s’en aperçoit vite. L’écriture est relâchée, Benedetto s’en remet trop vite à son aisance. Le jeu sur les mots tourne court. L’esthétique de l’opérette provençale à l’amicale laïque vaut-elle vraiment la peine d’une réhabilitation ?
Un tel spectacle de la part d’un homme de théâtre singulier et inventif, constitue un signe de désespoir. Avoir à écrire cela est pour nous un crève-cœur. Qu’on admette, du moins, l’amitié comme notre seul mobile. J-P L
Réponse Jean-Paul Damaggio
Cher camarade,
J’ai lu dans l’Huma le point de vue sur la dernière pièce de Benedetto : Pique-nique au Moulin d’Ardus. Je me permets d’apporter une autre vision de la pièce que j’ai vue à Montauban où elle fut créée. C’est ce qui me permet d’entrer dans la toile d’une autre façon.
Mais de quelle toile s’agit-il ? J.P.L. commence son article par une description de la peinture. A-t-il pris la peine d’aller voir la peinture que pourtant Benedetto (me semble-t-il) a pris la peine d’amener à Avignon avec une exposition à son sujet ? Manifestement non et c’est ma première déception à la lecture de l’article. Il y a le pécheur : sa canne à pêche tombe dans une barque ; il y a une femme qui se balance dans une espace que l’on ne peut situer. Les personnages ne se regardent pas. Ces détails scabreux sont une des dimensions majeures de la toile qui donne le ton, qui donne un ton. C’est un artiste de province qui s’est toujours refusé d’exposer à Paris et qui s’inscrit dans la vie d’une ville de province. Et « le type d’aujourd’hui » qui entre dans la toile est le peintre lui-même. « Le jeu sur les mots tourne court » parce que la vie de la jeunesse dont il est question tourne court. La toile faite en 1935 pour décorer une Maison du Peuple toute neuve (c’est un autre aspect de la toile) porte en effet tout un monde qui est entre (ou avec) l’espoir de vacances au soleil, et la fin d’un monde. Et le rapport au surréalisme, au jazz… La pièce de Benedetto est une pièce de province sur une ville de province et la richesse de cette province que l’on peut ainsi découvrir, est un signe d’espoir. Tout n’y est pas, et le monde qui s’y trouve n’est pas tout, mais il est pour moi une part de moi-même et je suis sorti du spectacle plus riche, plus fort, plus chez moi, ce qui veut dire plus Occitan et plus Français par là-même. Peut-être y a-t-il encore beaucoup à faire pour que les gens de Paris et les gens d’ici se comprennent !
Ce qui est en jeu
Ma réponse est maladroite car elle n’insiste pas assez sur la richesse propre à l’instant mis parfaitement en scène par Benedetto. J’ai voulu être trop gentil. Qui se souvient que le jazz en France s’est développé grâce à Hugues Panassié qui habitait alors Montauban, et Lucien Bonnafé pourrait rappeler, s’il était là, l’incompréhension première des communistes par rapport à cette musique. Richesse propre à l’instant… que Léonardini oublie d’indiquer, celui de la montée du Front populaire. Voir la toile et donc la pièce, consistait non en une description photographique mais artistique. Là où Léonardini voit une œuvre sympathique (la sympathie du mépris) il existe en fait une œuvre novatrice. Pour une Maison du peuple ! Oui, Lucien Cadène était un grand peintre, généreux, ouvert au monde de partout et au sien propre, et la richesse propre dont j’aurais dû mieux parler, tourne autour de cette capacité à être à la fois d’ici et de partout. Tout l’art de Benedetto me semble contenir dans cette contradiction (mot clef de son esthétique) présentée comme un éclairage : l’ici fortement revendiqué pour mieux voir ailleurs.
Mais à chacun de tirer ses propres découvertes de cette confrontation de textes.
31 juillet 2010. JPD
http://la-brochure.over-blog.com/article-castan-benedetto-montauban-43684793.html
Cette fois j'y reviens car je retrouve la critique qu'en fit J-P Léonardini qui participa à la fête de cette année pour honorer Benedetto. D'où les documents qui suivent.