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21 août 2010 6 21 /08 /août /2010 21:02

Voici le début d'un livre publié en 1900 par Hubertine Auclert qui vécut quelques années en Algérie avec son mari fonctionnaire.

Ce témoignage d'une féministe est totalement surprenant. JPD

 

LES FEMMES ARABES EN ALGERIE

La Francisation et les Femmes

Le patriotisme et l'amour de la liberté

inspirent le respect de la patrie et de la liberté des autres.

 

Quand on aborde à ce paradis terrestre, Alger (en descendant du bateau où tant d'honnêtes gens parlaient du moyen licite d'acquérir cent hectares de terre en prêtant à l'Arabe, qui les possède, vingt-cinq louis), ce qui frappe immédiatement, c'est de voir dans la lumière éclatante, sous le ciel si bleu, sur le pavé étincelant comme de l'acier, de choquants paquets de linge sale.

Ces paquets se meuvent, ils s'avancent ; alors, on distingue qu'ils sont portés par des pieds poussiéreux et dominés par une tête tellement parcheminée, décrépite, ravinée, hachée, que ce n'est plus une figure humaine ; c'est la statue de la souffrance, personnifiant une race torturée par la faim.

Ces créatures sans âge ni sexe, qui heurtent et détonnent dans ce cadre féerique, avec leurs haillons autrefois blancs, ne sont point des vieillardes, elles viennent d'être maman. Un adorable poupon est sur leur croupe, entortillé dans un pan de haick.

Femmes d'expropriés, bouches affamées de trop dans leur tribu, elles vaguent, pauvres femelles, repoussées de partout, traquées brutalisées, insultées dans toutes les langues, par toutes les races qui se sont installées sur le territoire de leurs pères.

Quand, exténuées, elles veulent faire halte, s'accroupir pour donner le sein à leur enfant, il se trouve toujours quelqu'un pour leur dire qu'elles salissent la terre et pour les bousculer, en criant que leurs poux gênent la circulation.

Mais la faim parfois a tari le sein des mères ; alors, de crainte que les bébés, à force de jeûner, ne deviennent dans leurs bras des cadavres, ces femmes héroïques leur donnent à sucer du sang qu'elles font jaillir de leurs veines!....

En Algérie, il n'y a qu'une toute petite élite de Français qui classe dans l'humanité la race arabe.

Pour les étrangers, les fonctionnaires, les israélites, les colons, les trafiquants, l'Arabe, moins considéré que ses moutons, est fait pour être écrasé. Le refouler dans le désert pour s'emparer de ce qu'on ne lui a pas encore pris, tel est le rêve.

L'Algérien, qui a déclaré que le fanatisme rendait les Arabes incivilisables, s'obstine à ne rien tenter pour les tirer de l'ignorance, si favorable à l'exploitation et à la domination. Il emploie pour son usage l'argent prélevé sur eux ; aussi, les indigènes disent: — « On a organisé entre les Européens et nous, sous prétexte de solidarité, un ingénieux système de bourse commune, où notre main a pour fonction unique, de verser sans relâche, et la leur de puiser, librement ».

Quand on a assez regardé les moukères, vrais squelettes vivants, en pensant que l'écrin est trop splendide pour contenir d'aussi affreux bijoux, le cicerone qui vous devine dit finement :

— «Il y en a de belles ! » et son doigt levé indique, au haut de l'amphithéâtre algérien, un empilement de gros morceaux de sucre, bizarrement dégringolés. Ce sont des maisons à terrasses de neige et à volets multicolores.

Si curieusement on l'interroge sur ce spectacle de blancheurs estampées d'indigo, il répond en clignant de l'œil et en souriant malicieusement : « C'est, la Casbah !»

Ce quartier arabe, qui a pris le nom de l'ancienne citadelle, évoque avec un monde de visions paradisiaques, des pensées folâtres ; car s'il renferme des maisons hospitalières, il recèle aussi la musulmane tenue sous clef par l'arabe jaloux.

Ce vieux coin, moins sûr, dit le conseiller Ben-Larbey que la forêt de Yakouren, est un embrouillement de ruelles, d'impasses en escaliers, que les maisons, en se penchant les unes vers les autres, rendent sombres comme des tunnels. On voit parfois, à une clarté, un homme baignant dans son sang, une femme poignardée et toujours une porte entrebâillée, laissant apercevoir l'intérieur d'azur d'une maison équivoque.

L'insécurité fait fuir les Maures aisés et les immeubles, dont les collectionneurs disputent à l'Etat les vieilles ferrures et les faïences anciennes, se louent difficilement.

Toutes les races qui peuplent l'Afrique se meuvent à la Casbah. Le curieux, c'est que chacun vit là sans souci de son voisin et que tous conservent, avec leur costume, leurs habitudes et leurs mœurs.

L'indépendance de caractère dont les africains font preuve en agissant ainsi, peut servir de leçon aux peuples civilisés qui attachent tant d'importance à l'opinion de leurs semblables.

On ne voit partout que des hommes circuler, vendre, acheter, travailler ; le seuil des portes, les marches des escaliers, oreillers naturels des yaouleds (petits garçons), servent aux dévideurs de soie et aux brodeurs de cuir, d'ateliers.

Ce quartier, qui a comme les villes arabes de l'intérieur, l'aspect d'un monastère d'hommes, a aussi celui d'un bateau de fleurs. Les relations des sexes y sont sans mystère ; non seulement, los Oulad-Naïls, étendues sur des coussins, parées et couvertes de bijoux, s'offrent à l'adoration des passants comme les madones sur les autels ; mais il n'est pas rare de voir des couples se sourire, s'embrasser, s'enlacer, s'étreindre, se culbuter sur le pavé et sans souci des passants, comme s'ils étaient cachés par une dune dans un replis du désert, s'abandonner en pleine voie publique, aux transports de l'amour !.......

Les Arabes à haute stature, sorte de sphinx drapés que l'on rencontre dans les rues tortueuses de la Casbah, ne ressemblent en rien aux kabyles à la tunique tissée de laines d'éclatantes couleurs, qui crient à cinquante pas
d'eux: « Carbône! Carbône ! des eifs « m'edam ! des aranges » fines ! fines ! ».

Type différent encore, le restaurateur auquel le client achète du dehors des paquets de sardines, des gâteaux au miel, au vermicelle, des quartiers de radis vinaigrés, des piments frits, des œufs rouges et enfin les fameuses brochettes de bouchées de viande, de foie, de rognons. La loubia pimentée et le kouscous.

Chacun de ces plats coûte un sou, l'eau limpide que les arabes boivent au broc à tour de rôle et les Européens dans des verres, est donnée pour rien.

La diversité des races et des types s'accuse surtout dans les cafés maures, où les arabes de toutes régions et de toutes conditions se donnent rendez-vous. Le café maure est une grande salle sans fenêtres qui a pour meubles des nattes, quelques bancs, le fourneau de faïence sur lequel se prépare le kahoua (café) et l'étagère où sont rangées les tasses minuscules, la boîte au sucre et la boîte au moka embaumant.

Tout ce qu'il y a de curieux dans le monde arabe se montre dans le café maure ; on peut y rencontrer aussi bien un lion apprivoisé, que des aïssaouas avalant des sabres et des charbons ardents. A certains jours de fête, des Oulad-Naïls viennent y danser. Les fous, qualifiés de saints par les indigènes, y sont bien accueillis et les devineresses qui prédisent l'avenir y sont fêtées et très écoutées.

En buvant la tasse de kahoua d'un sou, on joue, on joue parfois jusqu'à ses femmes !... et l'on se raconte les méfaits des vainqueurs...

Ces hommes que la passion du jeu et l'impatience du joug rassemble, sont souvent absolument dissemblables, ils diffèrent moralement et physiquement. L'autorité, suivant qu'elle est de bonne ou de méchante humeur, tient ou ne tient point compte, au point de vue juridique, de leurs mœurs et de leurs coutumes ; au point de vue administratif en bloc, elle les annihile, elle en fait des moutons afin de leur prendre plus facilement leur toison.

Les Arabes qui forment presque la totalité des habitants du pays — ils sont trois millions sept cent cinquante mille sur quatre millions quatre cent trois mille habitants dont se compose la population de l'Algérie — ne sont pas, ou ne sont que dérisoirement représentés, dans les assemblées qui ont pour but de s'occuper des intérêts de l'Algérie.

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7 juin 2010 1 07 /06 /juin /2010 15:13

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Cinq hommes à la tribune : les deux écrivains, le traducteur pour Ghitany, le présentateur et le lecteur. C’est beaucoup pour des… conversations méditerranéennes qui se tiennent dans la salle de la Médiathèque Cabanis à Toulouse dans le cadre du Marathon des mots. Et au détour de la dite conversation le présentateur lance dans l’échange le nom d’un autre homme, Cervantès. Aussitôt l’écrivain égyptien Gamal Ghitany réagit par un sourire et une expression brève : « qui n’a pas été influencé par Cervantès… ? » Mais comme le présentateur avait aussi lancé le nom d’un titre, les Mille et une nuits, c’est sur ce point que Ghitany insiste d’autant qu’il est en train au Caire d’organiser la réédition de l’œuvre ce qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne suscite pas l’enthousiasme des obscurantistes. « Mais à qui faire un procès, il n’y a pas d’auteur ! » C’est un Français, Galland, qui a permis de sauver la version originale précise Ghitany

Par contre l’écrivain algérien Boualem Sansal développera sa réponse sur Cervantès. Il vécut enfant près de la grotte où le soldat Cervantès se réfugia pendant un temps et il pense que si l’homme devint le créateur d’un livre exceptionnel il le doit à sa rencontre en Afrique du Nord avec un vieil homme possiblement magicien. Avec Cervantès serions-nous plus encore qu’on ne le pense au cœur de conversations méditerranéennes ? Sansal indique que le Don Quichotte se lit de diverses manières suivant l’âge que l’on a, et que par l’œuvre d’un inconnu, Vulcanelli, on peut mieux comprendre l’écrivain.

Avant ce détour par Cervantès la première question porta sur la notion de temps, un temps paraissant plus circulaire en Orient, d’après l’animateur. Sansal préfère parler d’histoire, une histoire dans laquelle il est, non une histoire qu’il observe de l’extérieur, et cette position fait qu’il ne peut pas y avoir de coupures entre hier et demain, entre là-bas et ici. Il cite le Tunisien Youssef Seddik quand celui dit : « Lire le Coran est différent de le réciter. » Le lire c’est entrer dans l’œuvre, le réciter c’est ce plier aux conventions extérieures à l’individu qui récite. Lire c’est s’interroger sur soi-même, réciter c’est s’abandonner aux pouvoirs dominants. Dans l’histoire, ajoute-t-il, ce qui importe c’est la mémoire. L’histoire est une relation, le temps une totalité.

Alors s’adressant à Ghitany, l’animateur demande quel rôle a joué Proust dans sa vie, cet homme désireux d’arrêter le temps, de s’en saisir en permanence. Pour Gamel l’obsession c’est toujours d’où je viens ? et où j’étais hier ? Et entre le temps cosmique et le temps quotidien il pense en effet qu’il y a un temps oriental.

La conversation est passionnante sans avoir la même profondeur que celui que j’avais suivi deux ans avant, avec le même Sansal, à la Librairie de la Renaissance. Les lectures, la traduction nécessaire, le temps bref ne permettent pratiquement pas de dialogue entre Sansal et Ghitany qui de toute façon m’apparaissent comme deux écrivains ayant peu à se dire.

Ghitany évoquera ses écrivains de référence et là le traducteur, si précis depuis le début, oublie un morceau. Je ne comprends pas l’Arabe mais j’ai entendu par exemple dans les références Dostoïewsky, mais il traduit seulement quand il arrive au nom de Ibn Arabi, en oubliant les autres cités auparavant, comme le grand Egyptien Mahfouz. Il a pensé tout d’un coup que le public comprenait. Dans un débat une semaine avant j’avais noté tout l’intérêt de ce traducteur pour Ibn Arabi. Ce jour là il avait rapporté un témoignage du Sénégal qui avait fait rire l’assemblée : dans une petite ville il y avait un quartier musulman à côté d’un quartier chrétien. Les cochons du quartier chrétiens passaient la route pour aller manger les ordures dans le quartier musulman tandis que les moutons de ce dernier quartier faisaient le chemin inverse pour aller manger l’herbe délaissée par les cochons dans le quartier chrétien. « Au Maroc dit-il, il y aurait une intervention de l’armée pour faire cesser ce manège. » C’est le responsable de la revue Horizons Maghrébins mais sa modestie ne me permet pas de citer son nom pour le moment. Il est sur la photo à côté de Ghitany avec à la gauche Sansal.

8-06-2010 Jean-Paul Damaggio

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29 mai 2010 6 29 /05 /mai /2010 00:59

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Sur la photo Rachid Aous est l’homme aux chevaux blancs.

Un article de lui a été publié dans L’Humanité du 3 avril 2010

 

A la « Pizzeria Belfort » 2 rue Bertrand de Born, l’un des plus grands troubadours, il existe un lieu de débats, de rencontres qui le 28 ami recevait l’étrange Rachid Aous auteur d’une somme publiée par Les Editions Les Patriarches et Dar al-‘Uns éditions : « Aux origines du déclin de la civilisation arabo-musulmane ou Les sources du sous-développement en Terres d’Islam » (je respecte les majuscules). Pourquoi un personnage étrange ? Généralement nous avons des dizaines de révolutionnaires du verbe qui sont ensuite passés dans les couloirs du pouvoir, alors que lui est sorti des couloirs du pouvoir (la Banque algérienne où il joua un grand rôle pendant les années 70) pour promouvoir, par son action militante (il insiste sur ce terme) qui passe par le livre, la critique radicale des pouvoirs !

Avant la conférence, pour combler le quart d’heure toulousain, nous avons parlé un peu de Slimane Azem et il indiqua aussitôt l’admiration qu’il porte au poète qui, prémonition oblige, a chanté le non alignement avant Tito, dans un texte qu’il publia en tant qu’éditeur ! Parlant de sa mère en introduction il indiquera qu’illettrée elle parle parfaitement trois langues, le kabyle, l’arabe et le français.

Rachid Aous a décidé de tenir le langage de la vérité, ce qui par rapport au sujet est un défi en soi. Après Averroès (12e siècle), la grande civilisation arabo-musulmane va plonger dans un déclin dont aujourd’hui encore elle n’est pas sortie. Ce grand intellectuel a proposé un diagnostic de ce déclin, qu’on retrouvera ensuite, sans déboucher sur une solution. Les diagnostics étaient-ils mauvais ? Pour Rachid Aous Averroès sera le théoricien de l’entrisme en politique, un entrisme qui ne pouvait que conduire à l’échec. Le débat le montrera très vite que la plongée dans l’histoire n’est pas un simple jeu intellectuel mais un outil pour l’action politique au quotidien, Rachid Aous insistant d’ailleurs à plusieurs reprises pour dire que tout est politique et qu’en ce qui le concerne, il prend le risque, non seulement de changer les diagnostics, mais de proposer des solutions concrètes. Après Averroès viendra Ibn Arabi et ensuite une tentative de renaissance au début du 19e siècle. Nous retrouverons l’entrisme de ceux qui pensent qu’il faut se défaire de tout le « fatras » religieux par le retour aux fondamentaux de la religion, alors qu’il aurait fallu quitter le terrain de la religion et de son dogmatisme pour proposer la laïcité.

Il fait beaucoup référence à Alain de Ribera (peut-être s’y reviendrais dans un article spécifique). Je retiens surtout cette approche : la grandeur de la civilisation arabo-musulmane débute pas une impulsion religieuse mais très vite l’islam est emporté par ce qu’il déclenche. Bien sûr, dans le débat certains retiendront surtout l’impulsion provoquée par la religion quand d’autres considèreront que la capacité à être dépassé n’a pas été accepté par l’islam en question qui contiendrait donc en lui-même les raisons de tout le déclin. Je prends ici l’exemple des « nombres arabes » absorbés par cette culture à d’autres cultures.

Je ne me souviens plus pourquoi mais à un moment il rappelle un souvenir qui l’a marqué très profondément : l’expulsion subite des travailleurs marocains du territoire algérien par une lubie de Boumediene (un acteur algérien me rappela lui aussi ce souvenir marquant). Une façon sans doute de donner un exemple de son propre diagnostic : l’union consubstantielle entre le dogmatisme religieux et le comportement dictatorial des pouvoirs politiques.

Bref, pour faire court, il propose de libérer l’imaginaire en terre d’islam, d’en finir avec les discussions stériles sur les Français coupables de tout, sur les Etatsuniens coupables de tout, un tas de discussions stériles qui tentent de faire oublier la discussion sur le réel.

Enfin il insiste sur un point qui n’a pas été repris dans la discussion (il faudrait par divers processus l’effacer de nos mémoires) : l’union que les forces de libération nationale algériennes surent nouer avec les forces de progrès d’Europe. J’ai partagé l’essentiel du propos et tout particulièrement cet élément. L’idéologie dominante voudrait faire de tous les Français les enfants du colonialisme et combien sont-ils à s’auto-culpabiliser sur ce point ? Combien de Français ont contribué à l’aide à l’Algérie ? Ils se comptent par milliers suivant les époques (sans doute plusieurs millions au total) et leur héritage c’est aussi la France. Je me considère comme le fils d’anticolonialistes dont je ne vais pas contribuer à l’enterrement. Et concrètement aujourd’hui cette solidarité avec les démocrates algériens me paraît cruciale pour les uns comme pour les autres. Mais voilà… les démocrates algériens ne seraient-ils pas de simples Algériens occidentalisés ? Ce qui est une forme du discours… colonialiste à la sauce moderne !

28-05-2010 Jean-Paul Damaggio

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8 janvier 2010 5 08 /01 /janvier /2010 20:53

Reprise ici d'un article publié sur la revue Empan,
La fille du berger de Laura Mouzaïa, Paris, L’Harmattan,

Qu’importe la nationalité !

Tout commença par le numéro 1487 d’Algérie Actualité et déjà je m’étonne moi-même de cette histoire franco-algérienne. En ces temps anciens, quelques fous tentèrent de vendre en France un hebdo algérien ! Pensez, la barrière de la langue n’existant même pas ! Aussi, je reprends avec émotion ce numéro d’avril 1994 qui avait une couverture en couleurs : je retrouve Abida Allouache qui décrit le sort de quelques femmes en détresse, et Kamal Zemouri dont l’article, à la gloire de la lecture, est orné de beaux visages d’enfants. La poésie, toujours au rendez-vous, y côtoyait la littérature avec l’évocation d’un livre publié par enal, maison d’édition d’État en Algérie : La fille du berger (Illis u Meksa dit en grosses lettres la couverture). Le récit d’un « voyage » qui, de l’Algérie, conduisit l’héroïne jusqu’en Aveyron, Decazeville pour être exact. J’eus envie de lire ce livre ce qui devint plus facile quand, par un numéro suivant d’Algérie Actualité, j’appris que l’écrivaine vivait près de Toulouse. Un échange de correspondances me permit de rencontrer Laura Mouzaïa à la bibliothèque de l’université du Mirail où nous décidâmes des conditions d’un débat à Montauban pour présenter son roman. Il eut lieu le 6 décembre 1994 et il restera gravé dans ma mémoire. Laura n’est pas très grande, des cheveux mi-longs très noirs, un regard direct, elle semble avancer au milieu d’intempéries plus sociales que climatiques.

Je m’étonne moi-même de cette histoire car, avouez-le, présenter à Montauban un livre seulement disponible en Algérie, ce n’est pas courant ! Qui plus est, une femme en est l’auteur, c’est presque du délire ! Le roman, porteur d’une extrême tension, va susciter un débat passionnant. Pour comprendre voici sa présentation dans l’article du journal mentionné.

« Ce roman est un itinéraire à miroir où chacun peut retrouver ses traces. La mal-vie dans une société patriarcale aux mœurs rudes, où les femmes ne sont que des bouts d’histoires, ballottés selon les humeurs du pouvoir masculin ou féminin. Patriarcat, matriarcat, pouvoir du dedans et du dehors, du dominant et du dominé, de l’armée et de la résistance. Tous les pouvoirs sont tour à tour évoqués, dénoncés, à travers la voix d’une femme-enfant qui constamment se rebelle. »

Suite à ce débat, j’ai publié dans notre petit journal local un compte rendu. À le lire aujourd’hui, je n’y retrouve pas l’ambiance chaleureuse, surprenante, que Laura sut créer par des réponses brèves, directes, sincères et originales. Elle est née d’un couple mixte dit-elle, un père kabyle et une mère italienne, et très librement un homme l’interrompit : « Un couple bi-national, aurait dit Boucebci. » Alors elle précisa : « Je préfère dire un couple inter-culturel. » Une façon d’indiquer que pour cette femme, la sensibilité passe bien avant la nationalité. Son héroïne changera de pays sans changer d’échelle des valeurs. Les révoltes de là-bas restèrent celles d’ici. Bien sûr, la question kabyle fut au cœur de la soirée mais pas comme une question identitaire. La Kabylie est, à part entière, un des éléments de ce qu’un participant appela si bien « le continent Algérie ». En France, nous avons si peu de volonté de pénétrer au cœur de cette diversité que nous réduisons le continent à quelques clichés ! Juifs, musulmans, chrétiens, noirs, blancs, nomades, paysans, citadins, tout se croise tellement en ce pays que les intégristes, qui rêvent de purification, s’acharnent à y perpétrer les crimes les plus odieux.

Laura Mouzaïa ne fut pas tendre avec l’Internationale intégriste, dont la naissance tient, pour elle, au soutien que les États-Unis lui apportèrent en Afghanistan en 1980 afin d’appuyer le soulèvement contre l’invasion de l’urss. Elle termina le débat par ce rappel historique : un méridional partit un jour pour l’Algérie et au lieu d’en ramener des bijoux ou des pierres précieuses, rapporta une prune dont il planta le noyau dans la région d’Agen, une prune qui devint le pruneau d’Agen. En voilà un qui n’avait pas travaillé pour des prunes !

Le soutien d’Algérie Actualité à cette jeune française ne se démentit pas et, en 1995, le journal, encore disponible en France, publia un bel entretien que réalisa Salima Aït-Mohamed sur une pleine page. Laura y précisa que son père ne fut pas mineur comme celui de l’héroïne mais ouvrier, pour finir restaurateur, et qu’en conséquence, tout n’est pas autobiographique dans sa Fille du berger mais « derrière Khadidja Mansour, l’héroïne, il y a moi, Laura Mouzaïa, qui n’accepte aucune concession devant le mensonge, la bêtise, l’injustice et toutes les formes d’oppression qui réduisent la femme ». J’ai retrouvé là toute la force du personnage que j’avais croisé et qui devra attendre 1997 pour que son livre trouve un éditeur en France (il serait plus simple de passer commande à l’éditeur algérien comme on passe commande au lointain éditeur québécois, mais reconnaître que le continent Algérie est un pays aux immenses cultures n’est pas digne de la grandeur de la France !).

En guise de sincérité, je reprends sa réponse à cette question : de quel auteur algérien vous sentez-vous proche et qui serait capable de vous influencer ?

« Je vais être franche. Il y a bien longtemps que je n’ai lu d’auteurs algériens. Mon métier me pousse vers l’ethnosociologie. Les deux romans dont j’ai eu connaissance sont ceux de feu Mouloud Mammeri que sa veuve m’a adressés. Les lectures d’auteurs algériens remontent un peu loin. Au cours de mes vacances en Algérie, les espaces étant dichotomiques, le seul contact que j’avais avec la “gent” masculine, c’était par le biais du livre. J’étais en terminale, eux me parlaient avec beaucoup de fierté de Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohammed Dib. La littérature francophone algérienne, je l’ai découverte sur le tard, car elle n’était pas présente ici dans nos programmes classiques français, mis à part Tahar Ben Jelloun qui est d’une grande notoriété […] J’ai davantage été influencée par Hugo, Zola, Sartre et Malraux. ».

Laura Mouzaïa a tous ses souvenirs d’enfance en France. Citoyenne totalement française, elle s’est sentie devenir algérienne face au drame que vit ce pays depuis 1986. « Lorsque les libertés les plus fondamentales sont menacées, nous sommes tous concernés. »

Il me faudra attendre sept ans pour la retrouver suite à la sortie de son nouveau livre aux éditions L’Harmattan, La terre piétinée. Si, pour son premier livre, elle avait pu utiliser une citation de Mouloud Mammeri qui en avait lu le manuscrit en 1987 (que le temps est long pour l’accouchement de certains livres !), cette fois elle avait une préface de Lucie Aubrac ! Elle plaça en exergue trois vers de Tahar Djaout, l’immense poète sauvagement assassiné par les intégristes : « Si tu parles, tu meurs / Si tu te tais, tu meurs / Alors parle et meurs. » Immense défi que cette écriture qui saigne et qui saigne tant.

Égale à elle-même, elle me parut cependant marquée par quelques douleurs profondes. Présente d’abord à la librairie-tartinerie de Sarrant dans le Gers, puis à la librairie Deloche à Montauban, j’ai pu vérifier une nouvelle fois les mérites de son combat surhumain.

Le débat du 25 janvier 2002, à la librairie Deloche, fut plus conventionnel, plus bref que le précédent. J’ai retenu la réponse directe à la question : « La terre piétinée est-ce l’Algérie ? » « Non, c’est la femme ! » Pour elle, la question de l’humanité renvoie encore au second rang celle des nationalités. Si La fille du berger avait fait le chemin de l’Algérie vers la France, cette fois nous assistions à un chemin inverse. Pour contester le tableau de la réalité présentée par l’écrivaine, quelqu’un souhaita rappeler qu’il existe des intégrations réussies. Comme si l’envie de crier devait s’éteindre face aux injustices si présentes à cause de tel ou tel cas heureux ! Cet élément du débat renaîtra dans une lettre qu’une lectrice envoya à notre petit journal et qui démontre au contraire l’immense courage dont doit faire preuve Laura.

La lectrice ne trouva dans le roman « que haine contre la famille, les hommes et les femmes dans leur ensemble ». Laura l’humaniste, comment peut-elle subir une telle incompréhension ? L’Algérie reste au cœur de mille malentendus et c’en est là, un de plus, que la lectrice crut utile de compléter ainsi : « Peut-on, en tant qu’intellectuelle immigrée, déverser à longueur de pages autant d’accusations mortelles contre les siens ? Comment peut-on apporter pareils arguments au Front national et se plaindre du racisme de notre société ? »

Au cours des années 1970, combien sont-ils, ceux qui idéalisèrent l’Algérie indépendante pour ensuite la dénigrer quand ils la découvrirent non conforme au credo socialiste qu’ils voulaient plaquer ? Combien sont-ils ceux qui, aujourd’hui, minimisent les intégristes (qui sont des Algériens), pour mieux prendre leur revanche sur l’Algérie démocratique ?

Laura Mouzaïa n’est pas une immigrée, elle n’est pas là pour arrondir les angles, elle fait de la littérature, un droit qu’elle a du mal à se gagner face à ceux qui le lui refusent. Faut-il tuer Zola qui a dépeint la France sous les jours les plus mauvais ? Pour la lectrice, le mot « roman » fut mis entre guillemets car elle aurait peut-être préféré lire une sage étude sociologique. Laura Mouzaïa n’est tendre ni avec la société algérienne, ni avec la société française, ni avec les hommes, ni avec les femmes, et pourtant le roman s’achève par une belle victoire de l’héroïne, une victoire un peu à la manière de celle de la femme, à la fin du film Inch’allah dimanche, la victoire de la culture.

Il serait injuste de ne pas terminer en donnant la parole à l’écrivaine à un moment crucial de la vie pour deux sœurs du roman, Fatiha et Miriam : choisir son métier.

« Leurs parents furent satisfaits du choix du métier de coiffeuse, pour Miriam. Le soir, lorsque Fatiha se rendit compte qu’il était impossible de la convaincre, après quelques chuchotements dans le lit, elle lui envoya un grand coup de pied en direction des genoux.

Celle-ci ne répliqua pas. Elle se contenta de se pousser, de tirer la couverture, et de lui tourner le dos. Ce soir-là, elles s’endormirent comme deux ennemies.

Le lendemain, Yasmina aborda sa fille Fatiha.

“Pourquoi tu veux passer le bac ? C’est encore trop loin ! Qu’est-ce que tu veux faire avec un bac ? Pourquoi tu ne fais pas comme ta sœur !”

[…] Fatiha se sentait coupable. »

Algérie Actualité n’existe plus en France. Pour lire les journaux de là-bas, il faut savoir s’y prendre. Le Matin, Le Soir d’Algérie, El Watan, Liberté, Le Quotidien d’Oran, ils sont nombreux à paraître pour mener un travail de titan contre les égorgeurs intégristes et les menaces de censure du pouvoir. Nous pourrions construire tant de ponts entre les deux rives, des ponts qui pourraient alimenter un humanisme d’aujourd’hui, et nous en sommes réduits à subir les malentendus.

Au nom de l’émancipation, que Laura Mouzaïa puisse continuer à défier, par son écriture unique, les bandits et les tricheurs ! Jean-Paul Damaggio

 

 

 

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8 janvier 2010 5 08 /01 /janvier /2010 16:11

Avant les Editions La Brochure nous avons participé en Tarn-et-Garonne à un bi-mensuel Point Gauche ! Voici les titres publiés :

 

N°2 (09-92) : Rapports Nord-Sud, Marie-France Durand

N°10 (01-94) : Algérie le temps des assassins; René Hervieu

N°12 (07-94) : Algérie, sur le roman de Laura Mouzaia

N° 14 (09-94) : Algérie : alcool du fric et droit de cuissage, Laura Mouz1a

N° 15 (11-94) : Algérie, le temps de la résistance, René Hervieu

N° 16 (01-95) : Montauban en Kabylie, Jean-Paul Damaggio

N° 25 (07-96) : Algérie, Marie-France Durand

N° 33 (11-97) : L'Algérie en novembre 1997, Marie-France Durand

N° 34 (01-98) : Rencontre avec Rachid Boudjedra, René Hervieu et Colette Berthès

N° 35 (03-98) : Suite de la rencontre avec Boudjedra

N° 46 (02-00) : Sur l’Algérie, Marie-France Durand et Georges Riviere

N° 52 (03-01) : Débat sur la France et l’Algérie en 2001, Jean-Paul Damaggio

N° 55 (09-61): Encore l’Algérie, Marie-France Durand

N° 59 (05-02) : Sur Laura Mouzaïa, parole à la lectrice

N° 62 (11-02) : Elections au Maroc et en Algérie, Marie-France Durand

N° 65 (04-03). : Latifa Ben Mansour, un peu de lumière ! Jean-Paul Damaggio

N° 74 (06-04) : Portraits d'algériennes, Marie-France Durand

N° 74 (06-04) : Des démocrates en Algérie, Jean-Paul Damaggio

N° 75 (07-04) : La plus belle des libertés, Yasmina Khadra

N° 79 (03-05) : Algérie-France : silences assourdissants, Jean-Paul Damaggio

N° 80 (05-05) : Des paysannes en Algérie, Jean-Paul Damaggio (présentation du livre de Miloud Zaater)

N° 81 (09-06) : Algérie, après les années noires, les mardis noirs, Marie-France Durand

N° 84 (01-06) : Abdelkader Djemaï au Scribe, Jean-Paul Damaggio (présentation de l’œuvre de l’auteur)

N° 88 (07-06) : Mohammed Benchicou, un journaliste algérien, Jean-Paul Damaggio

N° 89 (09-06) : Tam-et-Garonne, Immigration, Areski Metref, Jean-Paul Damaggio (présentation du dernier livre d'Areski Metref, Douar)

N° 91 (01-2007) : Journées de Larrazet sur l’Algérie Jean-Paul Damagggio

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8 janvier 2010 5 08 /01 /janvier /2010 15:58

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couvertureslimane-copie-1
La brochure sur Slimane Azem est disponible (80 pages) au prix de 8 euros frais de port compris à l'adresse de nos éditions. En voici le sommaire :
Sommaire

Première partie : Le peuple en chansons

Introduction p.5

Un concert à Garganvillar p.8

Moissac honore Slimane p.11

« Le paisible pêcheur » p.16

L’agriculteur intermittent p.19

Le café lieu social p.21

Le poète du peuple p.23

L’épouse Malika p.27

L’Algérie face aux Kabyles p.27

La religion p.30

Conclusion p.32

 

Deuxième partie :

Dialogue imaginaire au cimetière p. 33

 

Troisième partie : Documents : p.42

1 ) Le journal La Dépêche à la mort du chanteur

2 ) Slimane Azem disait…

3 ) Slimane Azem, émigré ou exilé ? Amestan Malik Bellil (Algérie Actualité 18/04/ 1995)

4 ) Kabylie : Slimane Azem, Areski Metref,

Le Soir d’Algérie (1er février 2005)

5 ) Mauvais augure, Mohamed Saïd Ziad,

Algérie Actualité (1995)

6 ) Toi qui es perspicace, par Slimane Azem avec traduction en occitan par N. Sabatié et A. Calvet

7 ) Si Mohand Saint ou Martyr ? Amestan Malik Bellil (Algérie Actualité, 1995)

8 ) L’hommage au cimetière de Moissac

 

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6 janvier 2010 3 06 /01 /janvier /2010 22:00

algériennezaater
Dessin de Jean Brun et dessin de Milour par Rosendo Li
A travers le livre de Miloud Zaater publié chez l'Harmattan : L'Algérie de la guerre à la guerre (1962-2003)

article publié dans Point Gauche ! mai 2005
 

J'aurais aimé que la paysanne algérienne qui orne cette chronique soit la mère de Houari Boumediene mais les merveilles d'internet ne permettent pas d'accéder à un tel visage. Que cela ne nous empêche pas d'étudier le livre de Miloud Zaater sur l’histoire de l’Algérie. Quarante ans d'histoire, c'est rien pour la France, mais c'est toute l’histoire de l’Algérie indé­pendante. Dans ce livre qui dépasse la période 1962-2003 (en particulier pour la naissance de l’islamisme), je vais suivre une seule trace, celle des paysans, en précisant que je partage totalement la démarche globale de l’auteur.

Première citation : « Si l’émigration a alimenté la lutte de libération nationale en idées et en moyens financiers, ce sont essentiellement les masses paysannes qui ont supporté le poids de la guerre et fourni les dizaines de milliers de maquisards. En Algérie, le socialisme n'a jamais été une option imposée par une classe ou une minorité révolutionnaire, il est l’aboutissement logique de son histoire ».

L'Algérie coloniale était surtout paysanne donc la révolte, pour se développer avait besoin des masses paysannes, une « logique » déjà surprenante quand on se souvient de l’image de marque des paysans de partout : celle du conservatisme. Mais cette lutte de libération n'avait-elle pas une dimension conservatrice ? Aussitôt, j’en entends qui disent : de quel point de vue juger du conservatisme ou du progressisme d'une telle révolution ? D'un point de vue colonial ?

Il se trouve, qu'une fois la victoire acquise, l'Algérie prit le chemin du socialisme qui n'était pas la marque du conservatisme. Ce socialisme sera d'abord un socialisme autogestionnaire et nous le notons par cette nouvelle référence de Miloud, aux paysans :

« Ben Bella affirme sa préférence pour le socialisme autogestionnaire par l’extension des rationalisations des terres appartenant aux Européens. Avec trois millions d'hectares le secteur autogéré couvre désormais le tiers des terres cultivées et l’essentiel des terres arables ». Passer du stade d'ouvrier agricole à celui de responsable autogéré en quelques mois, était-ce possible ?

Nous le savons le 19 mai 1965 un coup d'Etat chasse Ben Bella au profit de Boumediene qui a grandi dans son ombre. Le fils de paysan s'est formé en Egypte avec Nasser un modèle (fils de paysan lui-même). Ben Bella a peut-être eu le tort de l’envoyer en mission officielle à Moscou dès 1963.

 

A chaque moment de l’histoire, Miloud Zaater nous permet de saisir les contradictions internes d'un système appelé à se perpétuer.

 

Que va-t-il se passer pour les paysans ? La réforme agraire va intervenir dès 1971 dans le cadre d'une politique qui donne la priorité à l’industrialisation sur l’agriculture. Appeler la nouvelle période «socialisme spécifique » peut se justifier du point de vue politique puisqu'en Algérie ce socialisme se dote de concessions envers l’islam qui devient religion d’Etat. Du point de vue économique, même si les thèses de référence ne sont pas soviétiques (Miloud cite François Perroux, Destanne de Bernis et Samir Amin)  il semble que la réforme agraire ait un petit goût « pays de l’Est » surtout quand nous lisons cette phrase : « La médecine gratuite est instaurée. Les étudiants dam le nombre est passé de 2881 en 1963 à 63 536 en 1970, investissent massivement les campagnes pour expliquer aux paysans la réforme agraire. »

Voilà comment on passa des paysans aptes à se battre pour libérer le pays de la tutelle de la France, à des paysans jugés inaptes à cultiver les terres du pays ! Comment des étudiants peuvent-ils expliquer le travail de la terre à des paysans ? Pour moi c’est un miracle encore plus grand que celui de la génération spontanée du « paysan autogéré ». Résultat  de cette politique à la mort de Boumediene : «importations alimentaires massives dues à l’abandon de l'agriculture ». (p.53)

 

En conséquence l’agriculture algérienne entre dans une nouvelle phase celle de l’accès à la propriété paysanne. Miloud indique pour expliquer l’échec du projet national : « Il faut ici souligner le poids des masses rurales dans la lutte de libération nationale et leur hostilité pluriséculaire  à l’égard de toutes les approches étrangères à leurs mentalités et à leurs pratiques sociales. La résistance au colonialisme, qui a provoqué l’accroissement des comportements traditionnalistes ; s’est confondue avec la résistance à l’Occident, à sa civilisation et à toutes ses valeurs. »

Cette phrase me paraît essentielle. Elle montre que la lutte de libération nationale ne fut pas seulement « progressiste » mais pouvait être une défense « traditionnaliste ». Je ne doute pas de la réalité du phénomène mais je propose quelques observations.

 

Premier point : tons les paysans du monde ont une histoire pluriséculaire d'où le discours souvent international sur « le poids du passé » auquel ils sont soumis. II se trouve que les mêmes paysans ont participé partout à des révoltes pluriséculaires pour tenter d'exister plus dignement. Si je prends l’exemple du rôle des femmes dans la révolution algérienne et de ce qu'ensuite les autorités en ont fait (leur élimination), comment ne pas supposer que les autorités poussèrent les masses rurales réactionnaires à se complaire dans leur attitude ? Car en matière « d'approches étrangères » que proposèrent, les dites autorités, de crédible économiquement ?

 

 

Miloud Zaater montre, de manière convaincante, toute la spécificité de l’histoire algérienne mais les modèles économiques internationaux sont là sous-jacents. Il est frappant de constater un parallèle entre l’histoire des trois décennies algériennes et les courants mondiaux : les années 60 avec l’autogestion qui est un des espoirs des luttes de 68 (années Ben Bella), les années 70 avec le modèle soviétique (années Boumediene) puis les années 80 avec la montée du libéralisme (années Chadli). Miloud démontre à merveille comment de telles transformations se font dans le cadre d'un même système de pouvoir.

 

Nous en arrivons à la nouvelle étape : « L'abandon pur et simple de la réforme agraire, qui avait déjà montré d'importantes limites, introduit un nouveau facteur déstabilisant pour le pays, à savoir une phénoménale accélération de l’exode des populations des campagnes vers les villes ». Ce phénomène se produira à l'identique dans toute l’Amérique latine. Et je glisse ici une comparaison étrange. Le Venezuela, pays pétrolier comme l’Algérie, connaîtra également les émeutes de 1988 d'où naitra aussi une autre histoire. En 1992 en Algérie les islamistes tentent de prendre le pouvoir tandis qu'au Venezuela Chavez tente un coup d'Etat. Dans les deux cas les populations avaient été sidérées de voir leur armée tirer sur le peuple au moment des émeutes. Mais l’histoire spécifique fait qu'en Algérie les forces conservatrices (pour ne pas dire plus) tirent les marrons du feu alors qu'au Venezuela des forces démocratiques émergeront jusqu'à la victoire de Chavez.

 

En 1963 Michel Launay avait publié aux Editions du Seuil un livre titré Les paysans algériens il notait : « Et si ce peuple acharné sur son sol, dans ses vignes ou ses terres à blé, sur ses plateaux arides et ses montagnes, ne se transforme que lentement, si la tradition enserre toujours sa vie, barde sa foi et arme sa résistance, la violence coloniale puis la guerre d'émancipation l’ont secoue jusqu'au tréfonds et on ouvert des voies par où s'insinue le souffle du renouveau ». Il indique que c'est peut-être hâtivement qu'on parle de révolution. Quarante après, il est aisé de constater les bouleversements nationaux et internationaux marginalisèrent les paysans.

 

En Algérie l’ordonnance de 1971 qui lança la réforme agraire devait instaurer la justice dans le monde paysan et récompenser les artisans de la révolution, les fellahs. Mais les terres n’ont pas été distribuées comme promis, et le paysan est devenu un simple salarié.

 

En 1987 par une nouvelle loi, les anciens domaines agricoles socialistes (DAS) deviendront soit des exploitations agricoles collectives (EAC) soit des exploitations agricoles individuelles (EAI). En Algérie, comme ailleurs, les autorités ont confondu la propriété agricole paysanne (qui est source d’indépendance et de garantie de l’emploi) et la propriété industrielle (qui est source d'accumulation capitaliste et peut s'exercer sur la terre). Ce faisant, les éléments novateurs capables d'aider les campagnes à évoluer de l'intérieur furent sans effet.

 

Bien sûr, le livre de Miloud permet une vue plus large que ce petit fil conducteur, un livre très utile car, comme je le répète souvent, l’histoire de France est incompréhensible sans le lien à l’histoire de l’Algérie. Pierre Bourdieu n'aurait pas été Pierre Bourdieu sans ses premières Etudes en Kabylie qui lui permirent de voir d'autre œil son Béarn. Sur un autre plan 30% des importations algériennes viennent de France.

Jean-Paul Damaggio

 

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6 janvier 2010 3 06 /01 /janvier /2010 21:57

(article de novembre 2006 : Spécial Point Gauche ! pour les journées de Larrazet)

Pour l’essentiel, les historiens débattent du pourquoi et du comment l’histoire d'Alger a été écrite à Paris. D'où ensuite des débats sans fin sur le bilan positif ou pas de la colonisation. Comme si le rapport entre les deux pays se réduisait seulement à ça !

Je prône depuis longtemps une lecture complémentaire de cette histoire sur la base de cette question

- Et si, depuis 1830, l’histoire de France s'était aussi écrite à Alger ?

II ne s'agit pas de provocation comme vont tenter de le montrer quelques exemples.

1) L'auto-coup d'Etat de 1851 a aussi été possible grâce au général Saint-Arnaud qui ayant gagné ses galons dans les massacres d'Algériens eut aucun mal pour obliger sa troupe à provoquer un massacre parisien.

Bien d'autres militaires suivirent ensuite la même route. Si à l’inverse de 1851, Boulanger et Mac Mahon échouèrent, la marque « Saint-Arnaud » court sur le pays comme une tradition.

2) Avec une rupture dans la tradition militaire quand, en 1943, le gouvernement de la France libre s'installe a Alger. Par l’Algérie la France a gagné une part de sa libération mais l’armée française organise le massacre de Sétif le 8 mai 1945 qui imprime sa marque sur la IVème république. Comment ce gouvernement a-t-il pu oublier si vite son séjour en Algérie ? Si la Quatrième République avait accepté de comprendre que l’histoire de France s'écrit aussi en Algérie, elle aurait peut-être évité sa mort en 1958 et surtout donné au mot « libération » un sens plus universel.

3) L'arrivée au pouvoir de de Gaulle et la tradition de l’OAS ensuite, sont en rapport avec la même histoire, jusqu'aux succès de Le Pen et du FN.

Les Français d'Algérie sont-ils les seuls à participent à l’écriture de cette histoire ?

Mais pourquoi cette formule " Français d'Algérie " quand dans les faits il s'agissait d'Algériens aux origines françaises plus ou moins lointaines ? Parce que l’Algérie étant française on ne pouvait pas être Algériens ? Et ne peut-on pas être Corse dans notre pays ? Même Albert Camus était seulement un Français d'Algérie ?

De toute façon, dans l’écriture de cette histoire de France à Alger, j'y inclus bien sûr les Indigènes et pas que pour leur participation à la défense du territoire français sous commandement français.

Pour moi, une des étapes les plus fabuleuses de cette histoire s'est produite quand la France a voté la loi de séparation des Eglises et de l’Etat en 1905 ? Tout d'un coup, l’Algérie ne fut plus française ! Ceux qui disent que la religion musulmane est nouvelle en France usent de la même amnésie. Pour l’Algérie de 1906, les gouvernements français décident que la religion musulmane restera sous tutelle du pouvoir, comme l’était la religion catholique avant 1905. Ce faisant, c'est là, en effet, une part de l’histoire de l’Algérie qui s'est écrite en France car cette idée d'une religion contrôlée par le pouvoir ne pouvait empêcher de faire des mosquées les bases de la guerre de libération ! Une religion musulmane séparée de l’Etat aurait changé sans nul doute la face de l’Algérie indépendante et la face des problèmes de la France d’aujourd’hui !

 

Bref, inverser parfois l’écriture de l’histoire c'est retrouver grâce à l’Algérie dans sa globalité, l’histoire de France. J’ai pris trois cas de figure parmi mille et pour conclure ces quelques mots forcément schématiques, pourquoi ne pas se poser ces questions :.

- L'histoire de la famille Baylet en Tarn-et-Garonne n'a-t-elle rien a voir avec l’enfance et la jeunesse qu'Evelyne Baylet a vécu à Constantine ?

- Ne pourrait-on pas relire la philosophie de Marx à la lumière de ses lettres écrites d'Alger juste avant sa mort et traduites dans notre pays seulement en 1997 ?

- Pourquoi les démocrates algériens qui depuis 1992 viennent vers la France pour y survivre ne sont jamais écoutés ? (dans ce cas la liste des noms d’hommes et de femmes est très impressionnante). Jean-Paul Damaggio

P.S. Le livre Lettres d’Alger et de la côté d’Azur publié en 1997 au Temps des Cerises rassemble des textes anecdotiques car Marx est à Alger pour se soigner à la fin de sa vie et ne peut donc évoquer le pays. Cependant les circonstances ne sont pas sans intérêt. D’abord la belle préface de Gilbert Badia qui écrit tout de suite : « Certes Marx n’est pas allé en Algérie pour étudier sur place cette version française du colonialisme… » car on le constate aussitôt l’essentiel en Algérie c’est d’y étudier la version du colonialisme. Il aurait été surprenant que Badia écrive : Certes Marx n’est pas allé en Algérie pour étudier sur place l’historie des indigènes… » Par ailleurs Marx aura cette historie arabe envoyée dans une longue lettre à sa fille Laura le 13 avril 1882 (il meurt le 14 mars 1883) qui fait suite à ce rappel « Nos Arabes nomades se souviennent que leur peuple a produit autrefois de grands philosophes et de grands savants, etc. et ils savent quez les Européens les raillent en raison de leur actuelle ignorance ». :

« D’où le petit apologue arabe que voici, tout à fait caractéristique :

Un passeur se tient prêt à traverser un fleuve impétueux dans une petite barque. Monte un philosophe désireux de gagner la rive opposée. S’établit alors un dialogue que voici :

Le philosophe : Passeur, connais-tu l’Histoire ?

Le passeur : Non !

Le philosophe : Alors tu as perdu la moitié de ta vie !

Le philosophe reprend : As-tu étudié les mathématiques ?

Le passeur : Non !

Le philosophe : Alors tu as perdu plus de la moitié de ta vie !

A peine le philosophe avait-il dit ces mots que le vent fit chavirer le canot et que ses deux occupants, philosophe et passeur, sont précipités dans l’eau. 

Le passeur criant : Sais-tu nager ?

Le philosophe : Non !

Le passeur : Alors ta vie tout entière est perdue !

 

Cette fable aura pour toit un petit parfum arabe. Baisers et amitiés. Old Nick »

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6 janvier 2010 3 06 /01 /janvier /2010 10:41
En attendant Wassyla Tamzali à Montauban et Sarrant le 23 janvier voici l'article qu'elle a publié il y a un peu plus d'un an dans Alters Echos dont le directeur, l'ami Philippe Samson, nous a aidé pour penser à la dite rencontre de Montauban.

 

http://sd-1.archive-host.com/membres/up/1564780933753572/journaux/AltersEchos-11.pdf

 

Un énorme scandale

LA DISPARITION DES LIVRES

par Wassyla Tamzali
Le Salon international du livre d’Alger 27 octobre – 6 novembre


Un Salon morose. Dès l’entrée, je suis frappée par l’aspect insolite de certains stands bourrés de livres posés à même le sol s’élevant en colonnes marmoréennes; en regardant de plus près, des livres en arabe. Devant leurs prix, ridiculement bas, écrits au feutre sur des morceaux de cartons d’emballage comme dans les échoppes de mon marché, le marché Clauzel, au centre ville, un doute me saisit. Écrits apologétiques ? propagande religieuse ?

Les acheteurs, des hommes portant ou non la barbe, s’y précipitent et remplissent avidement d’énormes sacs plastiques, ou des valises sur roulettes ; et des femmes, beaucoup de femmes, toutes ou presque voilées. Et des petites filles, si petites, déjà voilées. À quelles questions croient-ils trouver des réponses dans ces livres qu’ils emportent ? Sans doute ne se posent-ils aucune question, et ne cherchent-ils qu’à être confortés dans leurs certitudes. Ce qui est sûr, c’est que c’est un spectacle pas très engageant et qui décourage de la langue arabe, et des salons du livre dans les pays arabes. « C’est la même chose à Tunis, à Casa, les salons sont envahis par des livres autour de la religion », me dit-on. « Des livres qui répètent sans fin ce qui se dit depuis des siècles. Ils ne cherchent pas à comprendre » ajoute mon amie Latifa Lakhdar, féministe tunisienne. Elle sait de quoi elle parle, historienne et brillante « lectrice » du Coran. La conférence qu’elle donnera au café littéraire sur « Une lecture féministe du Coran » dévoilera d’une manière rigoureuse la trahison du texte des origines détourné depuis le début, pendant la vie du Prophète qui n’y put rien, pour légitimer la morale sexuelle bédouine qui sacralise la masculinité et y soumet les femmes, morale qui, jusqu’à aujourd’hui, enferme le rapport des sexes dans de si nombreux pays dans cette figure de domination. La collusion de la tradition bédouine et du patriarcat universel a de beaux jours devant elle. Jetez-vous sur le livre de Latifa et vous comprendrez l’histoire du rendez-vous raté des femmes arabes avec l’Histoire. Mais vous ne l’auriez pas trouvé au Salon d’Alger. La condition des femmes au miroir de l’orthodoxie islamique (1) n’était pas disponible sur le Salon, ni en arabe, ni en français. Car il y a arabe et arabe. Cette belle langue n’est pour rien dans ce qui arrive. Dans le pavillon des éditeurs étrangers, au milieu de stands tristement nus – de nombreux éditeurs ne sont pas venus, découragés par la mauvaise organisation et par les mille tracasseries que l’administration du Salon a inventées -, je tombe sur mon amie Malika Griffou et ses livres pour enfants, en arabe. La première, elle nous alerta sur l’indigence et le danger des méthodes de l’éducation algérienne. Quelques livres, mais tant d’intelligence, de savoir-faire, dire et écrire pour les petites têtes avides, et si fragiles. Mais ici pas de danger. Je suis rassérénée. Voilà des années qu’elle se bat pour une meilleure pédagogie. Une goutte d’eau dans le désert, mais ainsi l’honneur est sauf et tout n’est pas perdu. Pour en finir, provisoirement, avec la question de la langue, encore ceci : les censeurs ont retiré le livre de Tzvetan Todoro L’esprit des lumières (1) dans sa version arabe, car la traduction en arabe pouvait laisser entendre qu’il s’agissait d’un livre sur la religion. Des livres en profusion, des livres de conseils pratiques, santé corporelle, mentale, cuisine, couture, jardinage, confiture, des piles de dictionnaires de toutes sortes, mais pas assez pour calmer la faim de savoir, de comprendre, qui guide en aveugle les milliers de visiteurs (l’année dernière 400 000). Des livres à profusion mais pas encore de littérature. Elle est pourtant au Salon, la littérature, discrète, mais bien là. Dans cette marée de pages imprimées, quelques éditeurs algériens tiennent le dernier carré de la résistance. Contre vents et marées, ils nous apportent les nourritures terrestres que nous sommes venus chercher là : des vrais livres, des romans, des poèmes, des pamphlets, des traductions, des coéditions ; autour d’eux, des auteurs, des critiques, des lecteurs, oui des lecteurs. Je les reconnais vite. Ils ne sont pas nombreux. Ils trimbalent avec eux la magie des mots, la multitude des mondes possibles, ils ont comme moi pris le droit de raconter leur histoire, leurs histoires, et de se retrouver dans tous les livres du monde. La littérature, la belle, les propulse loin des mythes identitaires et religieux enfermés dans les pages des livres qui gisent sur le sol. Je les regarde, attendrie. Nous sommes peu à partager ce privilège de la lecture, celui de vivre plusieurs vies, celui de devenir, pour le temps d’un roman, pour un jour, pour une vie, ce que nous ne sommes pas, Lolita, Nedjma, Madame Bovary. Fuir ce que nous sommes censés être, tous les mêmes, depuis la nuit des temps et pour toujours.

Un Salon muselé. Interdit le Village allemand (1) de Boualem Sansal qui assimile le terrorisme islamiste au nazisme, interdit Tuez-les tous (1), de Salah Bachi, un titre qui reprend le cri de guerre des terroristes quand ils arrivent dans un village ! Que penser ?

Qu’il est interdit de toucher aux Fous de Dieu ? Et aux intégristes qui se cachent derrière les colonnes marmoréennes ? C’est sans doute pour cette raison que les censeurs ont interdit le livre de Youssef Seddik, le philosophe tunisien, alors qu’il est l’invité du Salon. Son livre Qui sont les nouveaux barbares (1) a été interprété comme un pamphlet contre les intégristes. Honte ! Les censeurs n’ont pas lu le livre ! Youssef Seddik y répond à ceux qui, en Europe, nous traitent de barbares, nous amalgamant à ceux-là dénoncés par Sansal, par Bachi. Honte et inquiétude devant ce qui semble se tramer dans l’ombre de cette mansuétude à l’égard des intégristes. Mais le scandale ne s’arrête pas là. Le directeur de la Bibliothèque nationale algérienne a été limogé la veille de l’ouverture du Salon du livre pour avoir invité le poète Adonis à faire une conférence. Mais pourquoi Adonis direz-vous? Parce qu’il a dit, comme toujours, et avec raison, - merci Adonis-tout le mal qu’il pense de l’Islam institutionnalisé, et le danger que nous courrons aujourd’hui d’êtres emportés par la vague politico-religieuse. Le directeur de la Bibliothèque nationale d’Algérie sanctionné pour avoir invité un des plus grands, sinon le plus grand poète arabe vivant ! Un énorme scandale ! Et tout cela avec pour toile de fond la perspective d’une révision constitutionnelle sur la durée du mandat présidentiel, réforme qui enterrera pour longtemps l’alternance politique, garantie nécessaire même si pas suffisante, à la démocratie, et cela dans le tohu-bohu obscène des applaudissements et des félicitations des corps organisés. Et pour en finir avec la disparition des livres, le mien Une éducation algérienne (1) n’était pas non plus au Salon pour une règle administrative qui interdisait aux importateurs d’exposer et de présenter des livres qu’ils avaient en stock. L’importateur trop prévoyant avait stocké mon livre, comme d’autres d’ailleurs. Seuls étaient autorisés les livres sortant directement de la douane. Enfin le livre de Mohamed Kassimi L’orient après l’amour (1) interdit pour pornographie, et celui de Mohamed Benchicou (1) interdit « personnellement » par la ministre de la culture. C’est elle qui l’a dit dans une conférence de presse. « J’assume ! » Pauvre pays ! Le solde d’un demi-siècle d’indépendance est calamiteux. Et comme s’il ne suffisait pas de la religion pour museler les esprits, c’est à la Guerre de libération, avec un « G» majuscule qu’on a eu recours. Le Salon, qui tombait pendant la période de commémoration du déclenchement de la guerre de décolonisation, le 1er novembre 1954, a fait ses choux gras de notre mémoire douloureuse. C’est plus commode que d’affronter le présent. Quelle aubaine pour les organisateurs du Salon pour traverser sans encombre les turbulences qui commencent à se faire sentir dans la nébuleuse du pouvoir comme chaque fois quand les questions entourant des élections sont d’actualité - une manière à nous de vivre « la démocratisation ». Limogeages, discours enflammés et enflammant contre les traîtres à la Patrie, c’est-à-dire contre tout ce qui bouge et une surenchère nationaliste effrénée ; les plus timides se transforment en zélateurs. Allons-y camarades. Personne n’osera, n’osa afficher le plus petit esprit critique. La grande guerre du passé (un demi-siècle) a éloigné les petites guerres du temps présents. La passion de soi toujours vivace triompha cette année encore des questions nécessaires et des doutes.

Pauvre pays étouffé par l’amour de ses siens. À quand le désamour, la colère, la rébellion ? Où sont les enfants pas sages ? Kateb Yacine, Isiakhem se seraient ennuyés à mourir s’ils étaient encore parmi nous. Au milieu de tout ce pathos, j’avais bonne mine avec mon projet de table ronde sur Simone de Beauvoir et le féminisme en Algérie. Pourtant n’était-il pas évident de fêter en Algérie et sur ce thème, le centenaire de la naissance de l’auteur de « Le deuxième sexe » ? On sait la place qu’elle a tenue pendant la longue guerre de décolonisation, et plus précisément dans la défense de Djamila Boupacha, l’héroïne emblématique de la lutte du peuple algérien, une de celles qui ont forgé cette figure de la «femme algérienne » qui pèse si lourd et si peu sur notre sort, le sort que nous fit la « révolution algérienne » : des mineures à vie. Djamila B. avait été arrêtée, torturée, et Simone de B. avait présidé le comité de défense de la jeune fille. Il reste de cette étape cruciale et déterminante de l’histoire de l’Algérie un livre publié par Gallimard, écrit par Giselle Halimi son avocate, et illustré d’une eau-forte de Picasso - Combien les livres peuvent être beaux ! Picasso, Simone de Beauvoir, l’édition française ! Belle manifestation de la solidarité internationale. Une table ronde pour retrouver le sens de cette solidarité quand l’Algérie représentait un espoir pour le monde entier qui voyait là tout un peuple, ses femmes et ses hommes libérés du joug du colonialisme en marche vers un monde nouveau. Une table ronde pour comprendre pourquoi et comment on avait trahi ces promesses et réduit la lutte de libération à un retour au passé, au recouvrement d’une soi-disant identité nationale. Une table ronde pour relire cette page escamotée de notre histoire, et retracer notre filiation avec l’humanisme, celui qui donna un sens à la solidarité internationale, et avec le féminisme qui en est une part indissociable. La table ronde n’a pas eu lieu, faute de place dans l’agenda du Salon. Wassila Tamzali

(1) Ces livres n’étaient « pas disponibles » au salon du livre d’Alger…

- La condition des femmes au miroir de l’orthodoxie islamique de Latifa Lakhdar

- L’esprit des lumières, dans sa version arabe, de Tzvetan Todoro

- Village allemand de Boualem Sansal

- Tuez-les tous de Salah Bachi

- Qui sont les nouveaux barbares de Youssef Seddik

- L’orient après l’amour de Mohamed Kassimi

- Journal d’un homme libre de Mohamed Benchicou

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3 janvier 2010 7 03 /01 /janvier /2010 16:19

En attendant de pouvoir publier ce qu'il nous arriva d'écrire sur Tahar Djaout
 voici repris de cette source
http://lafreniere.over-blog.net/article-32068757.html un hommage auquel nous nous associons.

Le 26 mai 1993, Tahar Djaout a été victime d'un lâche attentat terroriste. Il succombera à ses blessures le 2 juin 1993 à l'hôpital de Baïnem. Il était journaliste, poète, écrivain et l'un des fondateurs du journal Ruptures. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Solstice barbelé (poèmes), l'Arche à vau-l'eau (poèmes), l'Exproprié (roman), l'Oiseau minéral (poèmes), l'Étreinte du sablier (poèmes), les Rets de l'oiseleur (nouvelles), Chercheurs d'os (roman), l'Invention du désert (roman), les Vigiles (roman) et Dernier Été de la raison (roman). C'était un humaniste modeste, il avait une gentillesse sans limite et il était d'une extraordinaire honnêteté ; il a toujours défendu ses idées car il croyait en une Algérie moderne et démocratique.

 

Raison du cri

 

S'il n'y avait ce cri,

en forme de pierre aigue

et son entêtement à bourgeonner,

 

s'il n'y avait cette colère,

ses élancements génésiques

et son soc constellant,

 

s'il n'y avait l'outrage,

ses limaces perforantes

et ses insondables dépotoirs,

 

l'évocation ne serait plus

qu'une cannonade de nostalgies,

qu'une bouffonnerie gluante,

 

le pays ne serait plus

qu'un souvenir-compost,

qu'un guet-apens

pour le larmier.

 

Tahar Djaout

 

" Cela fait déjà seize ans que tu nous as quittés à jamais ; en évoquant le souvenir des moments agréables que le temps n'arrivera jamais à effacer. Un jour, alors que tu étais à la maison en train d'écrire, je t'ai demandé ce que tu faisais, tu m'as répondu que tu écrivais un roman, que tu appelleras soit Kenza, soit les Trois frères ; et aussi quand tu nous emmenais à ton travail et tu essayais de nous expliquer le monde de la presse et comment fonctionne un journal et bien d'autres souvenirs. Sois sûr que jamais on n'oubliera les moments qu'on a partagés. Même si tu nous a quittés trop vite et d'une mort violente, ton image restera gravée à jamais dans nos cœurs et nos esprits. Tu resteras pour nous un symbole de courage et de fierté car tu étais l'un des hommes que l'Algérie ne pourra pas remplacer si facilement. Ce qui nous manquera le plus, c'est ton amour, ton affection et la protection d'un père car tu étais notre espoir et notre courage, et c'est vraiment dur sans toi. Mais on est fiers d'avoir un mari et papa qui a défendu ses idées car tu voulais apporter quelque chose de durable pour ton pays. Tu es une grande perte pour l'Algérie et pour la culture ; lire et traduire Tahar Djaout est le meilleur hommage que nous puissions te consacrer. Que ton repos soit aussi doux que fut ton cœur."

 

Nadia Djaout

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