En titre, le slogan des révoltés argentins d’il y a dix ans, doublé d’un référence au discours de Jaurès à Buenos Aires, voilà de quoi nous transporter aussitôt en Amérique latine comme le souhaite depuis des années Jean-Luc Mélechon. Son cri de colère se veut clair, net et précis et il accompagne en livre celui qu’il porte sur les plateaux de télévision. Mon parcours politique n’incite à le lire avec attention, parfois avec plaisir, toujours sous l’angle critique. D’autant que j’admets depuis longtemps que le Nouveau monde annonce l’avenir du Vieux continent ! Je suis donc obligé de noter tout d’abord que Mélenchon en reste encore au terme « américain » pour désigner les USA ! Lui qui soigne son vocabulaire tout au long de son livre (celui de la colère surtout) délaisse le terme étasunien ou nord-américain pour ainsi rappeler qu’à se prendre pour tout un continent, l’Empire ne nous trompe pas ! Il s’agit là de termes classiques en Espagne ou Italie mais pas en France. Pourquoi ?
Cette observation de forme me conduit à quelques observations de fond. Mélenchon à une clef pour réactiver la gauche, la révolution citoyenne. Je laisse un instant les Amériques pour lui rappeler que j’ai suivi de près la trajectoire d’un autre socialiste qui a tenté la courageuse aventure de créer un parti : à cette époque là, 1992-1995, les citoyens étaient en mouvement et Jean-Pierre Chevènement crut avoir ainsi trouvé la solution à la crise de la gauche. Entre révolution et mouvement j’ai toujours eu tendance à préférer révolution puis j’ai découvert que la question n’était pas celle du mot mais celle de la direction. A partir des années 80 nous avons eu droit à une révolution conservatrice, et le mouvement s’est fait régression. Suffit-il d’injecter de la citoyenneté à haute dose (et avec le sens généreux que Mélenchon donne au mot) pour donner une suite à la révolution de 1789. Si nous y réussissions en France j’en conviens avec le dirigeant du Parti de gauche, le monde écarquillerait les yeux. D’où l’enjeu considérable de cette recherche. Elle ne peut se faire sans avoir un œil dans le rétroviseur.
Dix ans après les révoltes argentines Buenos Aires est dirigé par le plus Berlusconien des Américains, et une nouvelle révolte populaire nous rappelle que la précédente n’a rien réglé. Le système que nous avons en face n’est pas d’un bloc (d’où sa force) aussi tout un mur peu s’effondrer sans rien changer à l’édifice. La caractéristique du cas argentin c’est que depuis toujours le mouvement social fort n’a jamais eu de traduction politique en conséquence l’exemple choisi en titre du livre n’est pas approprié à la stratégie même de Mélenchon qui vise à une prise du pouvoir politique. Mais il y a les trois références (je n’ai pas dit modèles) : Bolivie, Equateur, Venezuela. Les contradictions ne sont pas moindres dans ces pays là qu’en Argentine. Que dire des fortes tendances à l’autonomie régionale chère aux Boliviens (celle version de droite avec Santa Cruz ou celle version de gauche avec les Andes) et qui ne sont pas la tasse de thé de Mélenchon. C’est exact il existe bien une tendance commune à ces trois pays : la constituante. Celle du Venezuela reconnaît parfaitement le droit à l’égalité hommes-femmes mais dix ans après son instauration le droit à l’IVG reste au point mort même dans ce pays… ce qui fait quelques morts ou mortes.
S’il avait dû nuancer, Mélenchon aurait fait un livre trop long, trop gros, trop lourd, et donc moins populaire or c’est le peuple qu’il veut toucher. Prenons le paragraphe sur les médias thème oh combien important ! Son constat de la situation est heureux mais la solution bancale : faire élire le président de France Télévision à partir d’une liste d’aptitude fixée par les journalistes. Sans faire plus long comment contourner la question de la publicité et du marketing, pas seulement comme moyen de financement de la télé mais comme forme du message transmis en lien avec l’audimat ? Le mérite de l’appel au vote permettrait un débat national sur le sujet. Peut-être faut-il penser que les monopoles frappés par ailleurs dans leur puissance économique seraient moins portés à investir dans les médias ? J’insiste, le marketing qui peut avoir sa raison d’être pour présenter un nouveau produit, est devenu le cœur du politique car c’est le cœur de la communication. Dites moi qui fabrique votre image (et c’est vrai de DSK au José Bové des présidentielles de 2007) et je vous dirai ce qu’il faut penser ! Après Besancenot, Mélenchon a décidé d’aller sur tous les plateaux télés, est-il sûr qu’il ne joue pas ainsi contre son camp ?
Il serait mal venu d’oublier que le livre est en lien avec une future campagne des élections présidentielles et donc en lien avec une lutte interne au Front de gauche pour savoir qui en sera la figure dans cette élection : ou lui ou André Chassaigne qui a proposé son propre livre moins médiatisé. Depuis les années 90 les grands médias ont décidé de choisir les candidats à l’élection présidentielle à la place de partis jugés défaillants. Ce qui est une manière de tuer la politique. Et l’appel aux primaires pour contourner cet obstacle ne fait que le renforcer. En 1980 les médias avaient choisi Rocard mais ce fut Mitterrand avec le succès qu’on sait. Il est arrivé aux médias de choisir le candidat des Verts, José Bové, Ségolène Royal etc. Pour 2012 ils ont choisi DSK… et Mélenchon ainsi ils se donnent une forme d’objectivité. Les circonstances pourraient faire du livre de Mélenchon ce qui est arrivé à, Fraternellement libre, dont je laisse au lecteur le plaisir de découvrir l’auteur. Bonne lecture tout de même pour les deux livres comparés.
27-12-2010 Jean-Paul Damaggio