Les Rustiques
Le rebouteur
Oui, je le vois encore en veste du dimanche,
La trogne rouge sous sa chevelure blanche,
Devant la porte assis, un bâton à la main.
Les pigeons roucoulants se disputent le grain
Qu’on vient de leur jeter, tandis que, somnolente
Et le museau posé sur ses pattes, Brillante,
Allongée au soleil regarde, l’œil mi-clos.
On accourait de loin vers le petit enclos
Dont un buis centenaire embellissait l’entrée,
Car il était fameux dans toute la contrée
Le vieux père Gaspard, un rebouteur malin,
Qui, bien qu'il n’eût jamais rabâché du latin,
N'avait pas son pareil pour guérir une entorse.
On racontait de lui maints et maints tours de force,
En fait de tibias cassés, de bras démis,
De reins endommagés qu’à neuf il avait mis.
Paris ni Montpellier n'auraient pas su mieux faire.
Tellement qu’un docteur l'appela « mon confrère »
En lui oyant remettre un genou déboîté.
C’était un merveilleux artiste, en vérité,
Avec cela pas fier, et même, il faut le dire,
Un peu trop familier, après dîner, le mire.
Mais on aimait à voir son rire bien fendu ;
Avec lui, voyez-vous, point de sang répandu,
Et c'est en coïonnant qu'il guérissait son monde
Aussi que de clients lui venaient à la ronde !
Des plaines de Gascogne aux coteaux du Quercy
Son renom s'envolait bruyant. Un seul merci
— Vous n'allez pas me croire — était tout son salaire ;
Et même, certain jour, il se mit en colère,
Contre un marchand de bœuf venu de Roquecor
Qui voulait le payer d’une piécette d’or.
Etant jeune écolier je me luxai la cuisse,
Et l’on désespérait déjà que je guérisse,
Car j’allais me trainant plus boîteux qu’un canard,
Lorsque l’on me mena chez le père Gaspard.
Nous venons, il me palpe et d’un coup sec me tire
La jambe, en me disant de son meilleur sourire :
« Des compresses d’eau fraîche, et te voilà guéri. »
Or, tout cela fut fait sans m’arracher un cri.
Ma mère en m’embrassant pleurait à chaudes larmes.
Lui, d'un air bon enfant, apaisait ces alarmes,
Et content du succès de son vieux tour de main,
Caressait doucement ma tête de gamin.
Aussi sur le passé lorsque mon front se penche,
Je le revois avec sa chevelure blanche.
Ses épaules d’hercule et ses yeux rêvasseurs,
Mon bon et vieux Gaspard, le roi des rebouteurs.
Camille Delthil