Voici un article du journal Point Gauche ! n°56, décembre 2001 où Joseph Escuin commente le spectacle de la nouvelle ministre de la culture du Pérou, Susana Baca. Jean-Paul Damaggio apporte quelques explications sur le cajon dessiné par Rosendo Li. JPD
Susana Baca:
Entre Afrique et Amérique latine
Merveilleuse soirée que celle passée en compagnie de la Diva noire du Pérou et de ses admirables musiciens ce 7 novembre au théâtre de Montauban, devant un public nombreux et souvent connaisseur. Un chant aérien, des mélodies limpides, une voix exceptionnelle, sans effets mais pétrie d'émotion et de subtile élégance. Une voix douce, profonde, vibrante, envoûtante à faire chavirer les cœurs. De la personne de cette femme rayonnante émanent le charme et la grâce. Son répertoire recèle des perles de la tradition afro-péruvienne liée aux rythmes de danse et aux trésors des compositions.
«C'est le rythme, seulement le rythme qui fait agir mon cœur » dit-elle. Toutes ses chansons possèdent la force vitale et primaire des différents rythmes présents dans la culture péruvienne.
« Il y a les rythmes ancestraux des aïeux qui nous racontent leur histoire, les rythmes métissés des processions religieuses, les rythmes cadencés qui cherchent la parole dans la poésie et il y a le rythme éternel du cœur et de la fête. Mais nous devons surtout trouver le rythme unique de la liberté, qui est comme le vent dans les ailes des oiseaux, le langage nouveau plus fort que la langue » dit-elle encore. La chanteuse puise dans les textes des poètes péruviens et latino-américains. Des textes qui parlent de discrimination et de liberté.
"Je crois à la liberté, à la vie, à la paix, insiste-t-elle. Je suis artiste mais ne vit pas en dehors de la réalité. Je me préoccupe beaucoup de la situation de l'enfant et de la femme". D'ailleurs n'a-t-elle pas été nommée ambassadrice de l'UNICEF en 1997 ? Elle est aussi l'héritière de ces esclaves africains qui, dès le XVI ème siècle, contribuèrent à la mise en valeur du littoral du pays. Un héritage africain que récuse une majorité de cette population, pourtant de plus en plus métissée.
Collecte, enseignement, interprétation, Susana Baca s'emploie à réhabiliter et pérenniser ce patrimoine : « Il y a une énorme présence africaine au Pérou » dit-elle. Ses musiciens ont joué de ces instruments archaïques qu'utilisaient jadis les esclaves : caisse de bois (cajon) ou mâchoire d'âne (quijada de burro). En fait, Susana Baca croise au confluent de trois cultures : africaine, andine et ibérique. Sa musique manie guitare espagnole, polyrythmies africaines et instruments africains et andins.
Ancienne institutrice, la musique est aujourd'hui toute sa vie. Une juste continuité des choses: « dans ma famille, on chantait tous les jours, que ce soit dans des moments de joie, comme de tristesse, plus tard, je suis devenue l'artiste de l'école puis de l'université ». Il aura malgré tout fallu quelques années avant qu'elle ne se décide à en faire son métier. La faute au papa qui craignait que sa fille ne fasse une carrière trop marginale. Il a dû depuis se dire bien souvent que sa fille avait eu raison de suivre son rêve. Et être fier d'elle quand elle a été sacrée "Découverte Amérique RFI" en 1992.
Ambassadrice de la culture afro-péruvienne aux États Unis suite à sa rencontre avec David Byrne en 1994, elle l'est aussi en Europe depuis sa première venue en France en 1997. A découvrir donc pour ceux qui ne la connaissent pas encore. A cette fin et pour ceux que cela intéresse quelques albums que vous pouvez vous procurer plus ou moins facilement (facilement pour les plus récents) :
1990: Vestida de vida (Harmonie Mundi). 1997: Susana Baca, la voix du Pérou noir (warner Bros). 2000: Eco de sombras (Virgin). 2001: Lamento negro (Virgin).
Joseph Escuin
Au sujet du cajon
Au spectacle de Susana Baca parmi les quatre musiciens, l'un d'eux était assis sur son instrument de musique et n'en bougea qu'une fois. Quelle surprise, un instrument servant aussi de tabouret! Et pourtant de cette caisse sortait les sons les plus divers !
Voici juste quelques informations sur comment se créa cet instrument. Des esclaves, plutôt que de s'autodétruire en se lamentant sur leur sort, sortaient des rythmes des objets les plus divers. Sur la côte péruvienne ils n'avaient rien à leur disposition alors ils transformèrent leur corps en instrument de percussion (par la danse et les claquettes) puis ils récupérèrent les emballages. Les meilleures caisses étaient les caisses de whisky importé. Les esclaves furent d'autant plus obligé d'utiliser ce matériel de récupération que l'utilisation du tambour fut prohibé par les autorités (une tentative d'empêcher l'utilisation de la musique à des fins de révolte). Et avec cette caisse, au fil des ans, des uns aux autres, les mains des noirs créèrent des merveilles. Depuis seulement trois ou quatre dizaines d'années l'instrument a acquis une reconnaissance qui conduisit un des maîtres du cajon "Julio Chocolate" à enregistrer à New York. L'ingénieur du son fut stupéfait en découvrant comment avec une caisse vide, deux mains pouvaient en sortir une telle musique. Ce cajon fut récupéré par le flamenco si bien que beaucoup au Pérou pensent que l'instrument vient d'Espagne. C'est plus glorieux ! J'ai écrit ces quelques lignes pour que les lecteurs ne réduisent pas la musique péruvienne à la flûte du "condor passa".
J.P. Damaggio