Nouvelle revue décembre 1903
MAURICE ROLLINAT
Si j'évoque, dans mes souvenirs, le Rollinat, non point des premiers débuts, (je ne l'ai pas connu), mais le Rollinat d'un peu avant le succès que lui fit, d'après l'enthousiasme d'un groupe de jeunes amis et l'admiration de Sarah-Bernhardt, l'article d'Albert Wolff, je retrouve, un homme calme, discret, précis, parlant volontiers littérature et très attentif, dans ses appréciations sur les poètes, à leurs qualités de forme..Il aimait d'ailleurs trouver matières à éloges. Il vivait parmi une jeunesse un peu tumultueuse, très gaie, où le talent abondait, sinon concentré, travaillé, mis en œuvre, mais gai, pailleté, primesautier, improvisateur.
Rollinat fréquentait alors ce milieu de rimeurs, de musiciens, de chansonniers, qui s’étiquettent du titre bizarre d'Hydropathes.
Charles Cros y fréquentait; il promenait avec ses amis, en de longues flâneries, son humeur capricieuse et de verve toujours en éveil, il y rencontrait le poète Goudeau dont on aimait fort le parisianisme un peu étonné et le naturalisme léger; Georges Lorin, un poète vrai et envié, peut-être indolent, qui dans Paris Rose et L’Ame folle n'a peut-être pas donné toute sa mesure, Charles Frémine qui n'était point encore l'auteur de cette pièce quasi-célèbre les Pommiers, mais qui déjà disait sous les ombrages du Luxembourg son joli sonnet Floréal, en bon Normand enamouré du soleil et de la jolie griserie des couleurs du chéri printemps de Paris Fernand Icres [l’auteur écrit Icart], mort très jeune, qui d'un verbe robuste et un peu monotone magnifiait les Pyrénées et avait dans des pages de vers des vigueurs à la Cladel. On voyait par là, sur le tréteau, où toutes les semaines les Hydropathes montaient tour à tour pour se donner des nouvelles de leur talent, Grenet-Dancourt, qui n'était pas encore l'auteur fêté de Trois femmes pour un mari, mais l'auteur applaudi d'un tas de monologues sensibles ou hilarants qui obtenaient de grands succès Moynet, également monologuiste Jules Jouy, qui écrivait alors des fantaisies au Tam-Tam si ce n'est au Tintamarre, et qui faisait déjà des chansons qui édifièrent sa gloire montmartroise, très curieux d’ailleurs à entendre et qui trouva à ce moment quelques notes de satires qu'il ne retrouva plus.
Cet alluvion de poètes, tous ici débutants, sauf Charles Cros, dont le Coffret de Santal, un beau recueil de poésies, avait assis la gloire, succédait immédiatement à la belle éclosion de poètes qui se déclarèrent en face du Parnasse, les poètes vivants (il fallait bien un nom) c'était Jean Richepin, Bouchor, Ponchon ; Paul Bourget voisinait avec eux ils étaient tout près du bon Gabriel Vicaire qui chantait d'exquise façon sa Bresse natale, et rimait son Paris de pauvrettes ballades. Sur les confins du groupe, on voyait, tout jeune, Haraucourt, et j'en oublie, et j'en omets, car la liste serait longe de cette brillante et un peu turbulente génération où déjà la mort a beaucoup fauché.
Rollinat avait débuté dans la poésie avec des tendances contradictoires. Il était naturaliste car l’influence de Zola était énorme à cette heure-là et Zola avait sacré poètes du naturalisme ces deux artistes si dissemblables Coppée et Richepin, et il y avait un mouvement de ce côté-là.
Il était provincialiste (sans être folkloriste), car il aimait beaucoup son Berry natal ; il en aimait les mœurs, le paysage, les légendes.
Son premier livre de vers s'appelait Dans les Brandes, du nom que l'on donne au Berry, à ces étendues, où des granits légers voisinent avec des étendues de bruyère rose, qui sont, sous la nuit noire, dans leur langueur plane, parfois fantastique, et où il a vu passer le Grand Meneu de loups sifflant dans la nuit verte.
Il était aussi macabre, car il chérissait profondément l'œuvre d'Edgar Poe et celle de Beaudelaire. Il évoquait des fantômes terribles, dans la brande natale et dans la rue de sa ville d'élection : Paris. Naturaliste, provincialiste, macabre, il était en surplus paroxyste. C'était là sa note personnelle. Il appuyait sur la sensation, la grossissait, la déformait et s'il cherchait ses sujets souvent dans les gammes noires, prenant comme héros de l'un de ses poèmes, Troppmann, l'assassin ; il en tirait le plus d'effet possible, par le réalisme des détails.
Le poème lent, il le disait, et sa diction ajoutait beaucoup à ses poèmes qu’il soignait beaucoup.
Par dessus cette complexité poétique, il était hanté par la musique non qu'il abusât de l'harmonie et du chant lyrique dans ses poésies sauf quelques jolies tentatives de strophes, il se contenta le plus souvent d'un vers plein d'ordonnance romantique.
En suivant les enseignements de Baudelaire, il ne rencontra pas la musique de son vers; il est plutôt hanté, dramatique, plus soucieux de la concision avec laquelle il frappe son idée, que du timbre de la mélodie poétique dont il l'enveloppe; mais il fit de la vraie musique. Il avait construit un chant et plaqué des accords d'accompagnement sur des vers de lui, sur des vers de Baudelaire, sur des passages d'Edgar Poe, et cette musique, il la chantait et la jouait. Etait-il musicien ? oui et non, certes, il avait le goût, le sentiment, l'innéité de la musique, mais ses dons n'avaient point été fortifiés par le travail il ne savait guère l'harmonie en revanche il avait lu beaucoup de musique et était passable pianiste amateur.
Il avait aussi beaucoup fréquenté l'œuvre de Chopin dont on pourrait peut-être retrouver l'influence dans sa façon d'écrire la musique. Chopin l'intéressait, parce que souffrant parce que mort jeune, parce que douloureux, et aussi, par les liens qui l'unirent à George Sand, il faisait corps, pour l'imagination de Rollinat, à ce Berry qu'il aime tout entier, tel quel, et qu'il préfère à Paris
Car il ne faut pas ajouter une foi complète, bien au contraire, qui montre Rollinat triomphant, gâté par le succès, blessé au vif par un mot de fonctionnaire, caractérisant, non sans naïveté, et traitant d'exhibition la façon de se produire de Rollinat, son habitude de chanter ses mélodies et de dire ses vers en public. Il est probable que Rollinat quitta Paris, simplement pour aller travailler loin de Paris, et que lorsqu'il fut rentré dans son Berry, libéré qu'il était par des circonstances intimes, de la nécessité de gagner son pain, comme employé de la ville de Paris, il se laissa reprendre tout entier par la nature ambiante, ou mieux, il s'y retrouva comme dans un miroir, et voulut demeurer face à face avec lui-même. Cette contemplation de soi sélecta ses qualités et ses défauts.
Son paroxysme s'adoucit, son naturalisme tomba, ses tendances philosophiques s'accrurent de son soliloque perpétuel, et il s'adonna, parallèlement à noter ses joies et ses angoisses naturistes. Rollinat abandonna, ou du moins délaissa un peu, ce macabrisme parisien, quelque peu dérivé des Petites Vieilles et des Sept Vieillards de Baudelaire. Il ne nous montrera plus les figures énigmatiques, les fantoches tristes, de la Danse en cire, de celui qui lui dit, sous une porte du Boulevard Saint-Michel « Prenez garde, vous avez la maladie dont je suis mort », il ne refusa plus Mademoiselle Squelette, ni la Morte embaumée, pas plus qu'il ne se souviendra de cette note naturaliste qui lui donnait des tableautins de June comme la Belle Fromagère. Il s'éloigna de Zola, comme de Baudelaire, et c'est Pascal qui le hantera, c'est l'idée de Pascal, l'idée religieuse, la transe perpétuelle, la sensation du gouffre, que chacun porte en soi, qui lui dicte l’Abime. Evidemment, il y a encore là les sonorités de Baudelaire, le ton de Baudelaire dans des poésies tels que l'Avertisseur, mais les deux notes sont assez semblables Baudelaire a aussi, dans son génie, subi l'empreinte de Pascal, et c'est par lui, peut-être, que Rollinat est arrivé à Pascal.
Un certain nombre de ses poèmes, à cette époque, sont purement descriptifs et décoratifs. II a rimé des sensations de voyage, de notes prises sur le bord de la mer, il leur a donné la forme de la ballade, la plus connue est celle des Barques peintes. Ses ballades ne sont pas de ses meilleurs poèmes encore qu'il ait réussi parfois et tout à fait, le sonnet, la forme fixe n'est pas le meilleur terrain de Rollinat. Dans la ballade, il n'a pas la maîtrise complète de se former. Il y a des chevilles et des imperfections. Rollinat, qui est robuste, est aussi, à quelques moments, un peu lourd. Il ne passe pas aisément à travers tous les nuances du papier que Banville crève si joliment. Il ne trouve pas le fin du fin en matière de rimes riches, et d'habiles passages vers la rime imposée. Cette qualité du rimeur ingénieux, c'est une de celles qu'il eut le plus vivement désiré acquérir et dont, peut-être, il se croyait pourvu ; il ne la posséda pourtant qu'à un faible degré.
Ses qualités sont ailleurs. Cherchant à retrouver dans la nature quelque chose de ses inquiétudes psychiques et nerveuses, les cherchant ainsi pour guider Pascal, Poe et Baudelaire, mais aussi sous sa vision intuitive, Rollinat a eu une note très personnelle, et qui sera sa marque et son apanage dans l'histoire littéraire, dans une certaine vision non point dramatisée, mais parfois poignante des aspects tristes, terribles ou maussades simplement de la nature. Il s'inspira de la Charogne pour découvrir parmi les effluves des rosiers une odeur de pourriture, mais aussi son tempérament le poussa à entendre dans le vent d'orage plus une menace qu'une musique, dans l'approche de la nuit, une insécurité plus qu'un repos, et dans les mille bruits de la campagne plus de grognements que de chants. Dans les paysages esseulés, éloignés des villages et des bourgs, près des vieux arbres tordus, aux formes compliquées de nodosités monstrueuses, et que le crépuscule rend encore plus fantastique, il éprouvera nette, sinon la sensation de la peur, au moins celle d'une nature maléfique et terrible. Il voit très bien dans la vie de la nature, la succession des morts, des égorgements. Il la connaît, la pénètre, s'en émeut, mais, et c'est une qualité, il ne chante pas perpétuellement la chanson des blés d'or. Il sait, tout comme un autre, que la terre est nourricière, mais il sait aussi qu'elle produit les poisons, il a vu juste dans son pêle-mêle aveugle de bienfaits et de méfaits, et c'est une preuve d'observation personnelle, et ce n'est pas un mince éloge que de dire de lui qu'il a étudié la nature, qu'il l'a dite sans utiliser de clichés, et qu'il l'a chantée sans romance. Libre à lui de la voir sombre et marâtre. Il a le droit de conclure ainsi.
Dans cette campagne, il situe un paysan méfiant et cauteleux, volontiers jeteu de sorts, il y place des braconniers qui patoisent, des vieux domestiques égoïstes et finauds, il les alterne de l'affreuse vision de femmes rongées par d'épouvantables cancers et qu'il appelle des réprouvées; il reprend le fantastique, il conte comment dans les écuries pénétra le lutin; il le fait raconter par un paysan.
Mais sitôt entré, qu'ça descend
dans l'écurie une vapeur rouge
où, peureusement les chos' qui bougent
ont l'air de trembler dans du sang.
C'est tout nabot - v'lu comme un chien
et d'une paraissanc' pas obscure
puisqu'on n'perd rien de sa p'tit' figure
qu'est censément fac' de chrétien.
Le paysan de Rollinat, tantôt bonhomme, tantôt terrible et souvent terrifié par la vie qui l'entoure, par la vie des choses et la vie des bêtes, n'est pas une création banale. Rollinat n'a peut-être pas réalisé les grands espoirs qu'on fondait en lui. Il a fourni une œuvre nombreuse, intéressante, où les bonnes poésies ne manquent pas, et qui fait preuve, à côté d'originalités composites, d'une singularité de vision qui est parfois de la belle originalité.
Gustave KAHN.