Verfeuil n'aurait pas été Verfeuil sans quelques amis avec qui il a partagé ses rêves. J'ai cité Pierre Brizon, Albert Mathiez, exclus en même temps que lui du PCF. Aujourd'hui je veux mentionner Charles Rappoport qui, lui, a tenu plus longtemps dans l'organisation communiste (jusque ver 1935).
Dans le roman de Verfeuil L'Apostolat, Rappoport y apparaît en tant que tel mais aussi, à la fin, sous les couleurs du héros Pierre Courtès. En effet ce héros se trouve emprisonné pour ses idées en 1918 et même si les raisons sont un peu différentes (fiction oblige), les détails rapportés concernent l'affaire Rappoport, que justement Verfeuil a parfaitement suivi en temps que journaliste au Populaire.
A la fin de sa vie, juste avant l'invasion allemande, Rappoport a pu publier ses mémoires, , aussi délicieuses que le personnage lui-même, qui a décidé, au moment de la 2e guerre mondiale, de se retirer à Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot où il sera d'abord inhumé (17 novembre 1941). On peut lire sur sa tombe (cimetière du Montparnasse, 25e division, Paris) l'épitaphe suivante : « Le socialisme sans la liberté n'est pas le socialisme, la liberté sans le socialisme n'est pas la liberté ». Une dialectique qui a fait la vie de Verfeuil. Je donne un des articles où Verfeuil, pour contourner la Censure plaisante sur une question qui d'ailleurs faisait plaisanter Rappoport qui de ce fait aggrava sa peie. J-P Damaggio
Le Populaire 18 mai 1918 L'affaire Rappoport
LA CAVE AU CONSEIL DE GUERRE
Rappoport est arrêté depuis bientôt deux mois.
Il a été interrogé, pour la première fois sur le fond, lundi dernier.
On a dit à cette occasion que Rappoport était l'objet d'une nouvelle inculpation qui expliquait le dessaisissement de la justice civile au profit de la justice militaire. C'est tout a fait inexact.
Rappoport était et reste accusé seulement d'avoir tenu, dans la cave de sa maison des propos jugés subversifs par un pion en mal d'espionnite et un marchand de cuir, Allemand d'origine.
Mais depuis, des rapports de police foisonnent. Il y en a de délicieux. Celui-ci par exemple.
En 1915, Rappoport fit un voyage à Berne. Il se rendit naturellement à la Maison du Peuple où il était sûr de trouver des camarades du Parti suisse. Et comme il connaît la langue allemande aussi bien que la langue française, il tint des conversations en allemand. Le mouchard qui le filait a dénoncé cette chose évidemment monstrueuse. Il devait ignorer que l'allemand est la langue du pays.
Il y a un autre rapport qui n'est pas moins charmant. C'était au congrès de Bordeaux. Rappoport, à l'issue d'une séance plus ou moins orageuse, se dirige vers un kiosque à journaux. Que va-t-il y faire ? Pour sûr; acheter quelque feuille révolutionnaire. Mais non, il-prend le Temps et la Liberté du Sud-Ouest, ce Temps ou cette Action Française de la région ! Tout comme une jolie femme, notre ami a été suivi. L'aimable personnage qui a tenu, très discrètement, à l'accompagner est stupéfait de cet achat de journaux bien pensants et il fait part à ses chefs, sans sourciller, de sa stupéfaction.
L'histoire du voyage à Tours est aussi fort intéressante. L'odieux le dispute, ici au ridicule. Rappoport était allé voir Anatole France, en résidence dans les environs de Tours.
Un jour, un ancien agent électoral de Millerand le prie avec insistance de venir le voir. Rappoport, qui ne sait pas résister au plaisir d'une conversation, finit par accepter. L'individu, nanti par Millerand d'une recette qu'il juge insuffisante, demande à Rappoport d'intervenir pour faire améliorer sa situation.
Notre camarade fut légèrement ahuri ; mais, son moindre défaut étant de bavarder, il tint le coup. On parla de la guerre.
"Tout le monde en est fatigué, dit-il"
"Il faut la victoire, riposta l'autre péremptoirement."
Rappoport ne jugea pas utile de répondre.
Son interlocuteur, entendu par une commission rogatoire -et qui est sourd d'ailleurs - lui reproche aujourd'hui de ne pas avoir abondé dans son sens. Et l'accusation retient cette prétendue "charge". C'est avec de pareils éléments d'information qu'on traduit, parce qu'il est socialiste, un honnête homme devant ce troisième conseil de guerre - le conseil de guerre qui juge les affaires de trahison et d'intelligences avec l'ennemi.
Raoul Verfeuil.