Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 14:17

Vénus Khoury-Ghata à Montauban

 

Chaque année l’association Confluences régale tout un chacun avec un programme littéraire qui s’appelle Lettres d’Automne. Cette année l’invitée est Vénus Khoury-Ghata qui amène avec elle ses amis. Il m’arriva de croiser cette poète à Montréal. La retrouver à Montauban disant ses textes avec Maurice Petit et Marc Roger, c’est un immense plaisir. Un musicien surprenant, Alexis Kowalczewski, a apporté une note (et plusieurs aussi) faisant univers avec les textes. Je reprends cet entretien d’un site que vous pouvez rejoindre en cliquant sur la première question, car il me semble très bien résumer ce que je perçois de cette femme. Sur cette même scène à Montauban nous avions eu le plaisir de rencontrer une autre libanaise : May Chidiac. JP D.

 

Vénus, c'est vraiment votre prénom ?

 Vénus Khoury-Ghata : Oui. Je le déteste. Quand j'étais jeune, j'étais très fière de mon prénom mais à présent, je le trouve ridicule. Je signe maintenant mes romans par Vénus Khoury-Ghata. C'est un nom très lourd à porter.

 

Comment vivez-vous votre double influence orientale et occidentale ?

 Je la vis sur le papier. Quand j'écris, ma tête est pleine de phrases arabes. Je veux les transporter en français et je butte sur une sorte de frontière. La langue arabe permet l'émotion, elle est riche en métaphores tandis que le français est beaucoup plus retenu. C'est comme si je payais une taxe. Je suis atteinte de strabisme : je ne perds jamais de vue les deux langues. Si vous me demandiez d'écrire un roman qui se passe en France, j'aurai autant de mal à le faire que j'en ai envie.

 

 Votre roman est bouleversant. Vous écrivez sur des personnes les plus fragiles de cette planète. Je vous soutiens.

 Merci de tout cœur. J'ai porté cette histoire avec une rage incroyable en moi, partout où j'allais. J'ai écris à New York. Dans l'hôtel, je racontais cette femme lapidée. Je l'ai située dans un village frontalier avec des palmiers chétifs. J'ai emporté l'image de ce village dans ma tête à New York et je l'ai couché sur le papier. Je me souviens encore m'être étonnée, en ouvrant la fenêtre, de ne pas voir le sable. J'étais réellement dans ce village. Tout le monde attend sa mort. Elle est enceinte et son ventre grossit au fur et à mesure que le tumulus de pierres grandit. Elle attend l'heure de sa mort et elle se demande si elle va avoir mal avant ou après sa mort.

 

Pourquoi avoir choisi une telle histoire ?

J'étais invitée dans un de ces pays où l'on tue les femmes à coup de pierres quand elles ont un amant. J'allais à l'université. Il y a eu un embouteillage terrible. J'ai cru qu'il y avait un match. Le chauffeur est sorti de la voiture et nous a dit qu'on était en train de lapider une femme. J'étais hors de moi. L'homme a reçu 100 coups de fouets, la femme l'a payé de sa vie. Amnesty International m'envoie régulièrement les noms des femmes qui sont lapidées. Dans le temps, on assassinait avec des grosses pierres. Aujourd'hui, on utilise de petites pierres, donc la mort dure plus longtemps. Autrefois, le corps était exposé 3 jours. Aujourd'hui il l'est pendant 7 jours. Il m'a fallu quitter un mari et un pays pour me sentir libre de parler.

 

Décrivez-nous la relation qui existe entre les deux héroïnes.

Il y a une femme : moi. Elle devient autre chose à travers la fiction. A Paris, elle a perdu la même journée son chat et son amant. Elle s'engage dans l'humanitaire. Dans ce village, on l'envoie auprès d'une femme qui va être lapidée. Elle essaye de la sauver : "tu diras que tu as été violée". L'autre lui réponds que non, qu'elle a joui et qu'elle mérite la mort.

 

Noor, c'est un joli prénom. Pourquoi l'avoir choisi pour votre héroïne ?

C'est la lumière. Mon mari s'appelle Noor Jean Ghata. Ce nom va aux hommes comme aux femmes et il éclaire les esprits enténébrés.

 

Quel personnage vous ressemble le plus ?

 Cette femme envoyée par les associations humanitaires. J'ai écrit ce livre après avoir perdu mon chat Lulu. Je démarre toujours sur le vécu et après la fiction prend le relais.

 

Etes-vous une féministe ?

Je ne savais pas que j'étais féministe. Je me sentais juste ouverte à toutes les tendances. Peut-être que je suis devenue féministe en voyant les exactions commises contre les femmes. En Afghanistan, les femmes deviennent l'équivalent d'objets. Elles n'ont aucun droit. Si c'est ça être féministe, alors je le suis !

 

A propos de la condamnation à mort, quel est votre avis sur la question ?

Je suis contre ce geste barbare. On n'ôte pas la vie de quelqu'un. On le châtie, on le met en prison. On l'enferme très longtemps ou bien on lui trouve un suivi médical qui le rende moins violent.

 

Qu'avez-vous ressenti en sachant que vous étiez sélectionnée pour le prix Renaudot ?

Pas grand chose puisque depuis 20 ans, tous mes romans font partie de beaucoup de sélection, notamment pour mon roman "La maison aux orties" d'Actes Sud. Le Renaudot ira à un jeune homme car les hommes sont plus aimés par les membres du jury. Depuis des années, une femme obtient très rarement un prix. Les femmes sont désaimées. Tout me rend amère à propos des femmes. Les pays où on les lapide, où on leur fait subir l'excision. La condition féminine fait très mal, même ici en Occident. Quand un homme de mon pays répudie sa femme, ici on appelle ça divorcer mais quelle est la différence ? C'est juste une question de termes. Je parle au nom de toutes ces femmes. Mon expérience me sert beaucoup à ce sujet.

 

Les femmes ont la part belle pour le Goncourt. Vous devez être ravie. Quels sont vos pronostics ?

J'aimerais bien que ça soit pour une fois Amélie Nothomb. Je déplore que Sami Tchack n'ait pas été retenu pour les prix mais j'ai adoré "Alabama Song" de Gilles Leroy. C'est un très beau livre.

 

Que pensez-vous de cette rentrée littéraire ?

Il y a de très bons livres comme il y a des romans qui imitent une certaine tendance, une mode de se raconter entre la maison, son bureau et ce genre de littérature dessert la littérature. J'aime beaucoup la littérature étrangère et aussi la littérature francophone. Je fais partie du jury du prix des cinq continents de la Francophonie. Cette année, le prix a été décerné à William N'Sondé, pour son roman "Le cœur des enfants léopards", publié par Actes Sud. Un autre roman qui nous a également beaucoup tentés : "Le soir où la lune ne s'est pas levé", de Dai Sije chez Gallimard. Ces romans vous dépaysent, vous emportent loin tandis que le roman français nous enferme entre quatre murs. Quand ils s'évadent, les personnages se rendent dans un café pour poursuivre la discussion. Le roman français, actuellement, souffre d'enfermement. Pour ma part, je puise mon bonheur non seulement dans la littérature francophone mais aussi dans la littérature traduite. Je lis actuellement un livre fabuleux qui s'appelle "Tout est illuminé", de Jonathan Safran Foer (éditions de l'Olivier) et de Milena Angus "Le mal de Pierre " (traduit du serbe).

 

Vous aimez écrire ?

Je n'aime rien d'autre qu'écrire ! Après vient la cuisine. J'assemble les légumes et les viandes comme je manie des mots. Je cuisine mes textes. J'aime jardiner aussi. Elaguer un texte de ses boursouflures, c'est comme tailler un rosier. Ce sont les mêmes gestes. Mais je suis d'abord poète. J'ai commencé à écrire des romans quand mon amie Régine Deforges m'a demandé d'en écrire un. C'était "Alma, cousue main".

 

Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire ?

A l'âge de 15 ans, mon frère, qui était poète, s'est initié à la drogue. Il est retourné au Liban. Pour le punir, mon père l'a envoyé dans un asile d'aliénés. Il y a passé toute sa vie. J'ai écris à sa place et j'ai raconté son histoire dans "Une maison au bord des larmes", aux éditions Actes Sud Babel.

 

Je vous trouve pleine d'enthousiasme. Ecrire est-il libérateur d'une certaine façon ?

 Certainement. Rien ne m'a consolée de la mort de mon mari (mort à 52 ans) que le fait d'écrire "Morte maison". J'ai pendant un an complètement déprimé mais une fois que vous couchez votre douleur sur une page, vous la partagez avec le lecteur. Pour la guerre du Liban, j'ai écris une trilogie et j'en racontais des choses très drôles. Le rire était libérateur d'une certaine tension.

 

Combien de livres avez-vous écrit?

J'ai publié une quarantaine de livres. La moitié en poésie et l'autre moitié en roman. Le sujet, je commence à l'apprivoiser en poème, qui est une forme d'écriture rapide, comme on prend le TGV et qu'on prend des petits flashes du paysage. Après, je passe au roman, je prends un train d'allure normale et on a le temps de profiter du paysage.

 

Avez-vous jamais pensé vous associer avec un calligraphe pour vos poèmes ?

 J'ai écris moi-même "Alphabet de sable", qui raconte l'histoire de l'alphabet arabe. Chaque signe est dessiné sous la forme d'un objet.

 

Quel est le plus beau compliment qu'on vous ait fait sur un de vos livres ?

 Sur "La Maestra" ou sur mon dernier livre, on m'a dit : "tu nous fais voyager dans des pays que nous n'aurions pas eu l'occasion de visiter". Palper un pays sans l'avoir visité, c'est pour moi le plus beau compliment qu'on puisse me faire.

 

Est-ce difficile d'être auteur aujourd'hui ? Et surtout d'en vivre ?

 D'en vivre, certainement. Je crois que je vis mieux de ma retraite de veuve de médecin que de mes livres. Il faudrait que je publie un roman par année car la poésie ne permet pas d'en vivre.

 

Quels sont les auteurs que vous aimez lire ?

Avant tout les poètes. Claude Esteban, Guy Gauffet, André Velter, Jean Orizet... la langue française en compte de très grands. Actuellement, elle a tendance à se dessécher, à rejeter les images, le lyrisme, les jolies phrases. Faut-il enlaidir pour écrire ? Je ne sais pas. Finalement, il faut une juste mesure. C'est pourquoi les auteurs francophones qui gardent un pied sur le continent et l'autre en France sont très performants.

 

Vous avez rencontré de grands noms de la littérature. Quelle rencontre vous a marquée ?

Les poètes qui sont venus déjeuner chez moi pour les prix littéraires : Alain Bosquet, Jean Rousselot, Guillevic et Claude Esteban. J'ai connu de très grands écrivains que j'aime réunir autour de ma table.

 

Quels sont vos projets ?

 Je suis en train de fignoler un recueil de poèmes pour le Mercure de France. Il s'appelle "Les Obscurcis". C'est une réponse au poème de Claude Esteban, "Je suis le mort". Moi, je lui dis "Nous sommes les morts". J'écris toujours un recueil de poèmes puis un roman.

 

Et pourquoi pas un roman sur les souffrances des palestiniens ?

 Je parle beaucoup de ce peuple dans un de mes recueils de poèmes. Je parle de leur souffrance mais je n'écrirais pas un roman car nous les Libanais, nous avons autant souffert qu'eux. Si, dans une semaine, il n'y a pas d'élection, le pays va partir à la dérive. Ils ont annulé le Salon du Livre parce que si le 23 octobre, il n'y a pas eu d'élection, il y aura une scission du pays ou une guerre civile. Donc le malheur de mon peuple est aussi grand que celui du peuple palestinien.

 

Le mot de la fin de Vénus Khoury-Ghata : Je suis très touchée que vous m'ayez lue et que vous m'ayez posé des questions aussi intéressantes et sincères. Je vous embrasse tous !

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog des Editions la Brochure editions.labrochure@nordnet.fr
  • : Rendre compte de livres publiés et de commentaires à propos de ces livres
  • Contact

Activités de La Brochure

 

La pub sur ce blog n'est bien sûr en aucun cas de mon fait. Le seul bénéficiare financier est l'hébergeur. En conséquence ce blog va servir exclusivement aux productions de La Brochure. Pour les autres infos se reporter sur un autre blog :

 VIE DE LA BROCHURE

 

BON DE COMMANDE EXPRESS en cliquant ICI      

___________________________________________________________

 Les Editions La Brochure publient des livres, des rééditions, des présentations de livres. Ils peuvent être commandés à notre adresse ou demandés dans toutes les librairies (voir liste avec lesquelles nous avons travaillé  ici      ) :

Editions La Brochure, 124 route de Lavit, 82210 ANGEVILLE

Téléphone : 05 63 95 95 30

Adresse mèl :                          editions.labrochure@nordnet.fr

Catalogue de nos éditions :                                       catalogue

Catalogue 2011 :                                                                   ici

Présentation des livres :                                          livres édités

Bon de commande :                                             bon de commande

Nos livres sont disponibles chez tous les libraires

indépendants en dépôt ou sur commande

 

Nouveau blog RENAUD JEAN et LIVRES GRATUITS

Vous pouvez nous demander de recevoir la lettre trimestrielle que nous publions et nous aider avec les 10 euros de la cotisation à notre association. Merci de nous écrire pour toute information. Les Editions La Brochure.      

Articles sur la LGV: seulement sur cet autre blog:

Alternative LGV 82     

 

 

Nouveautés de 2013

 Elections municipales à Montauban (1904-2008) ICI :

Moissac 1935, Cayla assassiné : ICI

Tant de sang ouvrier dans le nitrate chilien ICI  

Révolution/contre-révolution le cas du 10 mai 1790 à Montauban ICI

 ADÍOS GUERRILLERO  ici

J’ai vu mourir sa LGV ici

Derniers titres :

Portraits de 101 femmes pour 20 euros. ici

Karl Marx, sur Bolivar ici

Ducoudray-Holstein Histoire de Bolivar ici

Jean-Pierre Frutos, Refondation de l’école ici

Jean Jaurès : Articles de 1906 dans La Dépêche et dans l’Humanité ici

Recherche