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2 août 2011 2 02 /08 /août /2011 17:29

 

Depuis toujours, le miracle est offert sur un plateau aux clergés les plus divers. Or les clergés réussissent à s’en emparer car ils existent, sauf à prendre les citoyens pour des imbéciles. Le tout est de s’entendre sur le mot « miracle ».

Si j’écris que la Joconde est un miracle, je signifie par là que sa réalisation, comme toutes les grandes œuvres d’art ayant survécu, a dépassé largement ce qu’en attendait son auteur qui avait une claire conscience de l’opposition entre « les mensongères sciences mentales «  et les sciences vraies « nées de l’expérience mère de toute certitude et qui passent par les mathématiques démonstrations »[1]. La découverte de la stricte relation de cause à effet donne le raisonnement, la science, la connaissance. Il arrive un moment où la conjonction de certaines causes produisent mille fois plus que l’effet attendu, et là est le miracle laïque, laïque car la difficulté de l’explication ne doit pas renvoyer la cause à un dieu quelconque : en fait, c’est de la difficulté d’explication qu’est née l’idée d’un dieu rassurant.

 

Admirateur de Taoufik Ben Brik qui, en l’an 2000, a publié au Seuil, suite à une longue grève de la faim, Le rire de la baleine et puis chez un plus modeste éditeur, Exils, deux autres livres plus fabuleux encore : Ben Brik président et The Plagieur, comment le relire aujourd’hui ? Hier son combat apparaissait ridicule aux yeux d’amis tunisiens. Pourquoi, face au pouvoir sans partage de Ben Ali crier Ben Brik président ? Pour se faire remarquer, pour jouer le héros, pour devenir un martyr ? Le 14 janvier 2011, un des amis tunisiens en question nous téléphone (à moi et ma compagne) le matin, avant le départ de Ben Ali, et il nous dit : « Vous avez eu le 14 juillet, nous avons le 14 janvier ».

 

La révolution tunisienne est un miracle comme toutes les révolutions. A ne pas l’admettre les uns et les autres s’épuisent à chercher les conditions pouvant créer la révolution. Cette idée de miracle laïque ne signifie pas que les révolutionnaires doivent se mettre sur le bord de la route et attendre le jour J ou pire se culpabiliser de n’avoir pas vu venir les événements, mais qu’ils doivent faire ce qu’ils jugent bon, non en prévision d’un futur (la révolution) mais en simple réponse au présent.

Cette idée du « miracle » a bien d’autres conséquences :

1 ) comme tout miracle, ses effets ne durent qu’un temps ;

2 ) un certain rationalisme extrême peut tuer la créativité spontanée parfois plus puissante que la raison la plus travaillée.

3 ) ceci étant le spontanéisme ne peut être un guide pour l’action, vu l’imprévisibilité totale de ses effets.

La démarche salutaire se situe donc pour moi dans une attention conjuguée des deux phénomènes : le quotidien et l’exceptionnel.

 

L’idée de miracle laïque m’est venue en observant des enfants apprenant à lire. L’instituteur tente de créer les conditions quotidiennes de cet apprentissage par des méthodes diverses, des exercices longuement étudiés, parfois expérimentés par des procédés scientifiques mais jamais il ne peut dire par quel miracle l’enfant se découvre lecteur. Ce miracle, moindre que celui de la révolution puisque là, l’effet obtenu est l’effet attendu (mais l’enfant ne sait pas jusqu’où il va le conduire), montre un enfant qui patauge pendant quelques mois, qui accumule des connaissances, puis réussit tout d’un coup, en deux ou trois jours, à finir le puzzle. Cet instant est le miracle, et j’ai bien été obligé d’en admettre le fait quand, dans une école d’un petit village, j’ai croisé un enfant de trois ans sachant parfaitement lire comme un élève de CE1. La réponse classique tient en un mot : «il est sur doué » (sous-entendu, plus ou moins : un don de dieu). Or, l’accueillant sans le connaître dans la dite classe de CE1, j’ai eu la surprise de constater qu’il n’avait aucune maîtrise du ciseau (dieu n’avait pensé qu’à la lecture pour le rendre doué ?). Il aurait appris à lire en suivant avec passion, auprès de sa mère, le jeu télévisé Des chiffres et des lettres. Je n’ai jamais entendu dire que ce jeu soit devenu depuis, une méthode d’apprentissage de la lecture, bien au contraire puisque les méthodes refusent de partir de la lettre. Qu’est devenu ensuite le gamin ? Une étude de cas aurait permis non d’élucider le miracle mais d’ajouter des outils aux outils existants de l’apprentissage, tout comme la réussite d’une révolution ajoute des forces chez des révolutionnaires proches, les exemples ne manquant pas dans l’histoire (ceux de 1848 me passionnent le plus).

 

Cette idée de miracle laïque va à l’encontre d’une vision peut-être trop mécaniste de la pensée de Marx écrivant : « L’humanité se pose toujours des problèmes qu’elle peut résoudre, puisque si l’on observe mieux, on trouvera toujours que les problèmes mêmes se posent seulement là où les conditions matérielles pour leur solution existent déjà, ou au moins in fieri. »[2] Toute question inclurait la réponse… Cela signifie-t-il qu’il y a révolution là où elle devient quasi inévitable, l’idée de miracle devenant en conséquence un masque mis sur la réalité à étudier ? Les conditions seraient telles que l’époque imposerait l’explosion et peu importe le détail déclencheur ? En toile de fond, nous aurions donc une mécanique imparable : féodalisme, capitalisme, socialisme, communisme ?

Passionné par l’œuvre de Marx, je suis bien obligé des constater qu’à côté des grandes projections justifiées par l’histoire (la concentration capitaliste par exemple, ou l’assassinat inévitable du travail vivant par le système), il existe un trou noir : il pensait le capitalisme à son stade ultime et depuis des décennies des marxistes n’ont cessé de décrire « son stade ultime », or il est toujours là. La révolution peut-elle encore être conçue comme l’effet d’une mécanique inévitable ?

 

La pensée de Marx est plus imposante avec l’analyse du long terme car, après les miracles (celui du nazisme étant le plus dramatique), les réalités structurantes reprennent le dessus : la mécanique économique et sociale impose un retour à «l’ordre». Après la révolution tunisienne, les tendances de fond de nos sociétés vont reprendre le dessus à savoir la revanche des clergés qui, en l’occurrence, n’ont rien vu venir du côté du miracle laïque. Les clergés, comme tous les pouvoirs, aiment s’en remettre à la mécanique quotidienne, celle qui les légitime par leurs longues années d’existence. Ils n’aiment le miracle que soumis au statut d’exception sous contrôle. Pour expliquer l’avenir tunisien, je ne vais pas entrer ici dans l’analyse de la montée inévitable et générale des clergés (l’Islam et d’autres), montée en puissance qui dépasse les frontières et les miracles.

 

A l’inverse du miracle religieux, le miracle laïque opère comme bouleversement global échappant à tout contrôle. En un instant, il peut tout. D’où la fonction de l’art. Ecrire Les Misérables n’est pas une œuvre produite par les siècles, et même si j’imagine Hugo longuement penché sur ses feuilles blanches, son effort est celui d’un instant, vu les conséquences qui font qu’un siècle après la sortie du roman, il peut toucher le cœur d’un lointain habitant de la France !

 

La pédagogie de l’enseignement de l’histoire, après avoir privilégié les dates, a privilégié l’histoire du long terme et des structures fondatrices, tout en ridiculisant les dates et leur aspect éphémère. J’ai même entendu un grand professeur expliquer que la Révolution française de 1789-1799 avait été une parenthèse qui, après avoir tué un roi, installa au pouvoir un empereur ! Comme si le miracle du système métrique était négligeable pour prendre un simple exemple ! L’opération pédagogique n’est pas innocente !

 

Y compris pour l’histoire individuelle, l’échange d’un regard est parfois, dans une vie, plus décisif que mille autres actes. L’amour est en effet lui aussi un miracle laïque que les clergés veulent détourner vers l’amour de dieu.

 

Autant d’observations qui ne visent en rien à réconcilier le rationnel et l’irrationnel mais qui visent à repenser un certain nombre de phénomènes sociaux, afin de donner toujours plus de liberté à l’individu face à l’histoire (les miracles sont possibles) et toujours plus de conscience du conditionNEment des individus par l’histoire.

2-08-2011 Jean-Paul Damaggio

 



[1] Omo sanza lettere, présenté par Giuseppina Fumagalli, Firenze 1938

[2] Le Capital

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