La parole à Marcelle Davet
Carte d’identité : Marcelle Davet née à Saint-Antonin -1886) et décédée à Saint Antonin (1968) poétesse et romancière ayant eu ses plus grands succès entre 1930 et 1950.
Elle est née en 1886, et je la croise d’abord à l’âge de 15 ans quand elle vit à Verfeil sur Seye dans un château qui est en fait un très beau bâtiment qu’on appelle le château de Ravaille bien qu’il n’ait que peu de rapports avec un château. Il a été construit par son grand-père, un riche propriétaire. En 1901 quand elle a 15 ans ce grand-père Armand est toujours parmi eux, tout comme sa femme qui, avec ses 66 ans, a dix ans de moins que lui.
Pour Marcelle, pas question d’aller à l’école, au collège ou au lycée. Une préceptrice pour sa sœur et elle et qui s’appelle Jeanne Bernadou fait presque partie de la famille.
Son père originaire du Rouergue n’a pas repris le simple métier de propriétaire. Il est devenu médecin et s’est marié avec une femme de onze ans de moins que lui originaire de Lomagne, une fille Salat, famille importante à Lavit qui se prénomme.
La belle Nelly, bien que plus jeune que son mari le laisse veuf, dès 1900.
Dans la maison, en plus de l’institutrice, il y a un cocher qui sert de domestique, une cuisinière et une femme de chambre. Les domestiques étaient nombreux. De tous les voisins Marcelle note la présence du fils du meunier, Escaffre Baptiste qui lui n’a plus de père depuis longtemps. Il y a le meunier de Lavernière avec des enfants de son âge, Monsieur Cadilhac, mais quelle famille nombreuse ! C’est sûr, l’aînée Rachel de 17 ans peut s’occuper de Elie le petit dernier qui a un an ! Quelle vie pour Marie, la femme du meunier !
Pas d’école, pas de grande foire, pas de grande fête, Marcelle vit loin du bruit sans savoir si c’est bien ainsi. Détachée des tâches quotidiennes elle peut rêver toute à son aise et son rêve récurrent a un nom très connu, l’amour. A Verfeil, d’où peut venir le prince charmant ? Elle brode sur toutes les hypothèses possibles et pense surtout à la ville voisine de Saint-Antonin Noble-Val où elle est née, Rue droite, le nom d’une rue qui n’a pourtant rien de droit. Saint-Antonin exerce sur son imagination toute son influence en tant que ville de légende et ville d’histoire. Peut-on être ville plus encaissée dans une vallée ?
Grâce à son père médecin, elle connaît tous les malheurs qui peuvent arriver aux jeunes femmes et les récits le soir au coin du feu viennent parfois ternir le monde de bonté qu’elle dresse devant elle. Faudra-t-il en revenir à la réalité ? L’institutrice est un peu comme une seconde mère et avec Madeleine sa sœur, qui a un an de plus qu’elle, nous la harcelons de question.
Pour le moment ce qui est le plus cher dans cet univers fait de simplicité, c’est sa chambre et tout ce qu’elle contient. Déjà elle aime écrire et de là vient tout le reste. Elle a montré quelques poésies à Jeanne qui l’encourage. Mais une jeune fille comme elle, a-t-elle le droit d’écrire ?
L’heure du mariage viendra. Soucieuse de son indépendance, elle n’avait pas envie de convoler en de justes noces. La légende dit, d’après le beau livre de Michel Ferrer Abécédaire du Nobel-Val, qu’elle avait plusieurs prétendants et que ne sachant choisir elle inscrit les noms sur divers papiers qui se retrouvèrent dans un chapeau et du chapeau est sorti Guillaume Dutemps, notaire à Saint-Antonin.
Voilà comment Marcelle Davet est devenue Marcelle Dutemps mais elle passa à la postérité avec son nom de jeune fille qu’elle conserva pour publier sa longue série de livres. JPD
Texte de Michel Ferrer
La respectable Madame Davet
Elle n’écrivait pas toujours ni tout le temps. Elle sortait parfois en ville, pour faire une course, ou peut-être se rendre chez une amie.
Un jour que j’étais avec ma mère sur la Place des Tilleuls, elle passa près de nous pour regagner sa maison, quelque cent mètres plus loin. Car elle préférait passer par la petite porte ouvrant sur le chemin de Santou que par la grande, « l’officielle », donnant sur la route de Caylus. Cette dernière porte était, il est vrai, celle des clients de son époux, Guillaume Dutemps, notaire. Car « Marcelle Davet » était son nom de jeune fille, son nom d’écrivain. Dutemps, c’était pour l’état civil.
Je ne la connaissais pas. Ma mère lui adressa un bonjour respectueux auquel la vieille dame répondit avec une sympathique obligeance.
Quand la petite et fluette femme se fut éloignée, ma mère me dit :
C’est Marcelle Davet. Elle écrit des livres.
A cette époque, dans une ville comme Saint-Antonin, tout ce qui comptait était, dans le désordre, curé, instituteur, notaire, maire et gendarme sans doute. L’écrivain rentrait bien évidemment dans le rang des notables. Et ce avec une aura où le mystère ajoutait un peu de grandeur.
Un jour - peut-être deux, d’ailleurs - j’eus le bonheur d’entrer dans le jardin de Marcelle Davet. J’avais quelque amitié avec Jean-François, son petit-fils, un peu plus âgé que moi. Nous faisions de la balançoire sous un grand portique de bois peint en blanc où pendaient, en plus des balançoires, des cordes à nœuds et des cordes lisses. A ma connaissance, cet équipement était unique à Saint-Antonin, et j’ai toujours pensé, plus tard, que Jean-François Dutemps était devenu professeur de gymnastique à cause de ce portique.
Marcelle Davet, l’écrivain respecté, la femme du notaire respectable nous regardait…
C’est pourquoi, à l’âge de douze ans, quand j’écrivis mon premier poème sur un coin de la table de la salle à manger, j’eus une pensée pour Marcelle Davet, comme d’ailleurs pour Pierre Bayrou, les deux écrivains de ma ville natale.
« Ecrivains ! Pourquoi pas moi ? ».
C’est ce que je m’étais dit en gribouillant mes premiers vers. C’était osé, très osé. Et pourtant, c’est à la suite de cette interrogation sans fondement et sans véritable ambition que j’ai noirci de ma sale et illisible écriture des cahiers et des cahiers… et que j’ai publié un, puis deux, puis trois livres. J’avais dans l’idée de devenir écrivain. Terrible ambition ! On connaît la suite aujourd’hui. Si je ne suis pas parvenu à être écrivain, je suis tout de même parvenu à être un littérateur moitié rimailleur, moitié écrivassier. Merci Marcelle Davet.