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En 1994 chez Payot, Marcel Donati publie Cœur d’acier, souvenirs d’un sidérurgiste de Lorraine. Il consacre un chapitre à une expérience unique, une radio créé par la CGT avant l’ère des radios libres, Lorraine Cœur d’Acier (LCA). Son témoignage est très émouvant car il montre comment cette radio le transforma profondément. Au départ, le militant avait une vision étroite (ou utilitariste) de la lutte donc il dénonce cette radio ouverte à tout vent où des citoyens venaient faire même de la poésie, toute chose bien peu favorable au développement de la lutte syndicale. Il devient ensuite un défenseur acharné de cette radio car il découvre une réalité jusque là insoupçonnée pour lui : ses compagnons de travail ne pensaient pas qu’au travail. Cette radio émancipatrice qui donnait tout autant qu’aux adultes, la parole aux enfants, devient une radio de référence. Les habitants s’y attachent.
Quand Marcel est poussé par ses camarades à aller parler des revendications sur LCA, il hésite, puis il accepte et là, Marcel Trillat, un des deux journalistes professionnels à animer la radio, le retient, pour, après la parole officielle, l’inviter à évoquer un peu de sa vie.
J’ai été conduit à revisiter cette histoire à cause d’une rencontre à Uzeste avec le film sur Marcel Trillat et sa vie professionnelle : Le temps du JT (réalisé par le jeune Yves Gaonac’h), qui donna lieu à un débat avec le réalisateur et le journaliste. Deux jours avant le Festival avait projeté L’Atlantide, une histoire du communisme que Trillat vient de réaliser avec Faillevic.
Marcel Trillat réussira l’exploit de se faire virer par le pouvoir gaulliste en 1968… et par le pouvoir de la CGT en 1980 à cause de l’opération LCA, une radio que la direction du syndicat trouva trop ouverte.
Pendant le débat, quelqu’un lui demandera d’où lui est venu ce « sens critique » mais il n’aura pas le temps de répondre. Le film montre en effet un journaliste peu décidé à cirer les pompes de quiconque (même s’il regrette à présent, très amèrement, un documentaire que lui commanda la CGT en 1970, Le Frein). Avec l’utilisation de nombreuses archives qui rythment les paroles actuelles de Marcel, chacun peut noter une pratique du journalisme largement oubliée aujourd’hui. Le public éclate de rire quand il voit le visage de Pasqua écoutant Marcel Trillat qui le questionne sur ses rapports avec le SAC (Service d’Action Civique, une milice peu recommandable).
J’ai posé une question sur l’arrivée de Berlusconi en 1985 (absente du film) et aussitôt Trillat évoque une anecdote amusante : ils ont fait venir au JT Filloud, ministre de la communication, et ils lui ont projeté en direct et sans l’avertir, une déclaration où il jurait ses grands dieux qu’il ne permettrait jamais l’arrivée de Berlusconi. Bref, un journaliste sans complaisance avec les pouvoirs en place e ceux-ci le lui feront payer à plusieurs reprises.
Ce film qui retrace une part d’histoire de la télé, peut-il passer à la télé ? Il y aurait le succès phénoménal de l’émission par laquelle Trillat arriva au journalisme et qui est encore dans des millions de mémoires : Cinq colonnes à la Une.
Aujourd’hui les journalistes viennent le plus souvent de cercles fermés. Marcel n’est passé par aucune école et pourtant son professionnalisme lui a permis non seulement de travailler correctement mais aussi de se relever chaque fois qu’il a été abattu ! Donc peut-on en revenir à la question : d’où tient-il son refus de courber l’échine ?
Son prétendre répondre voici ce qu’il écrivait dans L’Humanité le 29 janvier 2003 :
« Je me suis longtemps demandé pourquoi les paroles et les actes de José Bové, même lorsque je ne suis pas d'accord à 100 % avec lui, déclenchaient en moi une telle jubilation. La raison m'est apparue tout à coup, bouleversante, à l'occasion d'une rencontre récente entre lui et un groupe de cinéastes : le militant d'aujourd'hui ranime en moi une autre image de petit paysan combattant qui, malgré les différences, lui ressemble comme un frère : celle de mon père. »
Et dans cet article Marcel Trillat raconte son enfance. Il a fallu attendre 2003 et José Bové pour que revienne cette image du père ? Je pense plutôt qu’à ce moment là l’image du père lui est apparue comme une image sociale, comme un maillon d’une grande lutte souvent négligée (Trillat tournera ses caméras vers les prolos et non vers les paysans).
Et il termine ainsi l’article : « Cette défaite de mon père et des siens, elle m'est toujours restée en travers de la gorge. Aussi, cette résurrection d'une gauche paysanne, elle a des allures de revanche. Pour moi et pour eux, merci José. L'ennemi juré de Bernard Lambert, fondateur de la Confédération paysanne. » Je crains que Trillat ne connaisse pas bien Bernard Lambert mais là n’est pas la question ici : si Marcel Trillat avait connu Renaud Jean (un habitant très proche du village d’Uzeste), le paysan communiste toute sa vie, mais renvoyé dans son département en 1945 par la direction du PCF, la défaite de son père aurait pu prendre une autre dimension qui n’aurai pas nécessité l’attente d’une revanche. Malheureusement, encore aujourd’hui, pour célébrer Renaud Jean, l’association qui souhaite diffuser son œuvre est obligée d’en appeler à une souscription publique pour programmer ses activités.
25-08-2010 Jean-Paul Damaggio