Le poète et le peuple : Le peuple
Le cyclope le Peuple, en secret, sous la terre,
Sans relâche produit les armes de demain;
Il aiguise l'acier dans le plus grand mystère,
Façonne le fer et l'airain.
De ses bras vigoureux il forge les épées;
Il poursuit son travail sans trêve ni repos;
Il exerce, pour les prochaines épopées,
Des soldats et des généraux.
De sa besogne ardue encor nul ne se doute.
On le croit prisonnier, enfermé pour toujours ;
Il est inoffensif ! En riant, on écoute
S'élever ses murmures sourds.
Cependant, quelquefois, du fin fond de sa hutte,
Arrive, inquiétant, un bruit assourdissant;
Il traîne lentement et l'écho répercute
Partout ce souffle mugissant.
Alors, il fait trembler les repus sur leurs trônes,
Car c'est de la révolte un autan précurseur ;
C'est déjà le tocsin qui dans les airs raisonne,
Annonçant la fin du Malheur.
Effrayés, les tyrans accourent à leurs armes ;
S'associant entre eux, ils détruisent le bruit,
Et puis, bientôt après, ils rient de leurs alarmes, —
Le cyclope rentre en la nuit.
Il est vaincu, c'est vrai, mais il poursuit sa tâche;
Plus vaillant que jamais, il façonne le fer ;
A sa rude besogne ardemment il s'attache,
Et bientôt, semblable à l'éclair,
Tyrans ! vous le verrez à vos yeux apparaître ;
Vous le verrez venir vers vous vous écraser ;
Vous sentirez le poing formidable de l'être
Que vous avez tant méprisé !
Vous le verrez porter, parmi les incendies,
De la révolte enfin l'étendard glorieux ;
Sous ses coups vigoureux, tous, vous perdrez la vie,
0 vous, Tibères odieux !
Il est las de souffrir, trop dures sont ses chaines,
Et depuis trop longtemps vous l'avez prisonnier ;
Il est las, à la fin, de courber sous les peines
Son sublime front altier !
Vous le croyez encor, dans ses liens séculaires,
Endormi ; vous croyez à sa docilité ;
Quand vous le croyez mort, il est en train de faire,
Pour l'avenir, sa liberté !
28-29 avril 1904.
Raoul Verfeuil