L’autre soir, nous avions Denise Bombardier sur un plateau télé. J’écoute cette figure du Québec que j'ai entendu défendre la langue française au Québec, et je ne comprends rien. Manifestement si le gouvernement en place la dérange, la révolte de la jeunesse aussi. Elle parle d’élections en septembre. Je suis allé sur internet pour comprendre. Et je trouve une chronique que je ne peux avoir en entier. Je trouve une réponse d’une jeune femme puis une autre chronique de Denise Bombardier. Pourquoi je repense à George Sand incapable de comprendre la Commune ? Non, le printemps qui dure à Montréal n’est pas la Commune de Paris mais une vague qui ressemble à quelques autres, une vague sociale en quête de représentativité politique. Pourquoi faut-il toujours des donneurs de leçons plus hantés par leur passé que par leur avenir ? Jean-Paul Damaggio
La victoire de la rue
Bombardier 26 mai 2012 Québec
La rue a gagné. Et avec elle, tous ceux que grise cette formidable émotion de solidarité momentanée, dégagée de toute contrainte, de toute obligation, de toute responsabilité à long terme. La rue a gagné. Sur le gouvernement d’abord, déjà fragilisé et usé par des années d’un pouvoir exercé dans des tourmentes successives et bien peu de périodes d’accalmie. Comment, dans les circonstances, négocier autre chose qu’une reddition déguisée en compromis ? Surtout face à de jeunes leaders grisés de leur omnipotence médiatique et qui n’ont pas encore l’âge de comprendre qu’il y a plus difficile que de savoir perdre, et c’est gagner sans triomphalisme. Ils retourneront à l’université, se joindront sans doute aux partis politiques qui s’offrent en alternance ou aux mouvements de contestation du système, tout en sachant que la rue est la voie royale et la plus enivrante pour imposer leurs idées.
En réponse à sa chronique du 26 mai 2012 intitulée: « La victoire de la rue » publiée dans Le Devoir.
Bonjour Mme Bombardier,
Ma maman m’a fait parvenir votre chronique ce matin, par courriel. Elle vous admire beaucoup, mais je remarque qu’elle a pris l’habitude de me faire part de vos textes lorsqu’elle a un doute sur vos positions. Oh, elle ne l’a jamais présenté ainsi, mais le geste finit inévitablement par un long échange téléphonique entre elle et moi. Je vous remercie de donner prétexte à des discussions très intéressantes et éclairantes entre elle et moi.
Ma mère vous admire parce que, comme elle, vous avez réussi à vous hisser comme figure d’autorité dans les sphères largement dominées par la gent masculine. Vous êtes une femme intelligente, vous avez une carrière impressionnante et l’estime de plusieurs. D’une certaine manière, vous êtes une pionnière, une courageuse, qui prend position sur des sujets difficiles, parfois tabous.
Cependant, les dernières fois où je me suis aventurée à lire votre chronique, j’ai éprouvé un grand malaise. En ce qui concerne la plus récente, pour être franche, je ne sais même pas par où commencer pour présenter un argumentaire contre vos positions: il y a tant à dire. Je voulais juste vous signifier que vous me décevez beaucoup, car votre intellect si affûté semble servir à propager des idées démagogiques, paternalistes et méprisantes envers la situation québécoise actuelle.
Je voulais vous rassurer: n’ayez pas peur. Cette manifestation de solidarité est majoritairement pacifiste, festive, émotionnelle et un signe de bonne santé de notre société. Les multiples raisons pour descendre dans la rue, ou tout simplement sortir sur le balcon, sont énumérées dans les nombreux commentaires de vos lecteurs. Il est beaucoup plus sain de dire collectivement ‘assez!’ que de se taire et d’obéir aux matraques.
Cordialement, Julie Kurtness, Montréal
Secousses sismiques
le Québec est entré dans une sombre période de radicalisation idéologique
Le Devoir samedi 9 juin 2012
Le printemps qui s’achève apparaît comme une espèce de tremblement de terre. Cela a commencé par une revendication étudiante et voilà que les institutions, la vie économique et les relations sociales sont désormais fissurées et annoncent un avenir des plus incertains. Trop d’incurie gouvernementale, trop de débordements, trop de méfiance, de mépris, de manipulations diverses, de paroles assassines prononcées et écrites par les uns et les autres portent à croire que le Québec est entré dans une sombre période de radicalisation idéologique.
Même les deux référendums qui ont déchiré les Québécois, créé des tensions familiales, brisé des amitiés, n’ont pas atteint la férocité des affrontements qui nous dressent aujourd’hui les uns contre les autres. Et en ce sens, les casseroles, dont on aime croire qu’elles seraient l’expression d’une jubilation collective et d’une sainte colère, apparaissent plutôt comme une diversion, comme notre engouement pour les festivals de tous les rires et les facéties de l’industrie des humoristes. D’ailleurs, la montée aux barricades pour calmer les ardeurs de la jeunesse en révolte du père du rire, Gilbert Rozon, prend valeur de symbole. C’est le seul adulte avec lequel s’est entendue une partie des associations étudiantes à qui on a offert en prime un spectacle d’humoristes. Les adversaires acharnés de Jean Charest ont, dans un premier temps, été convaincus que le printemps érable serait leur planche de salut en ayant raison de son gouvernement. Or, comme beaucoup d’observateurs, ils se rendent compte maintenant que le pire est possible. À savoir, une réélection des libéraux, minoritaires ou majoritaires. De là cette panique qui s’est emparée de souverainistes dissidents, auxquels s’ajoutent les militants de toutes les gauches radicales qui découvrent soudain des vertus aux forces de coalition et qui souhaiteraient transformer le PQ en tremplin électoral pour eux-mêmes.
Or quel suicide politique représenterait une alliance même circonstancielle du PQ avec une extrême gauche qui rêve de renverser le système en instaurant un Québec indépendant à saveur révolutionnaire ! Nombre de souverainistes qui espèrent encore prendre leur revanche sur les défaites de 1980 et 1995 se laissent séduire par cette manière de bloquer la voie d’accès au pouvoir du PLQ. Certains mettent en lumière le vote massif des anglophones et des allophones pour le PLQ. Lorsqu’on en arrive à conclure dans les réseaux sociaux et les médias à l’illégitimité du gouvernement du fait qu’il ne représente pas une majorité de francophones, ne joue-t-on pas avec le feu ? Et l’on n’ose imaginer à quelle conclusion certains se laissent aller. Alors, on parle de changer la mécanique électorale. Introduire la proportionnelle ou des éléments de celle-ci, transformer la carte électorale, mettre à mal le système uninominal à un tour, bref, bousculer les institutions, rompre avec une tradition qui ne correspondrait plus à notre époque de fragmentation des tendances et de multiplication des partis.
Certes, il faudrait dépoussiérer nos pratiques électorales, ajuster les institutions aux nouvelles réalités politiques. Mais cette tâche nécessaire et difficile exige un apaisement des esprits, une réflexion où la raison prend le pas sur la politique politicienne. Cette réflexion ne supportera pas la précipitation et l’improvisation. Ce n’est pas de coups de force que nous avons besoin. Hélas, ceux qui nous ont plongés dans la crise et ceux qui nous gouvernent sont incapables de s’entendre. Les négociations sont terminées et c’est dans les urnes que le peuple va parler.
Force est d’admettre que l’essoufflement actuel de la rue ressemble davantage à un sas de décompression pour mieux recharger les batteries qu’à une extinction de l’embrasement social des derniers mois. Les secousses pourraient réapparaître, et plus intenses encore, comme lors des tremblements de terre. On pourrait ainsi parler d’une faille québécoise, non pas géologique mais politique, qui pour notre malheur à tous ne semble pas pouvoir être colmatée à moyen terme par les politiciens actuels, quels qu’ils soient.
La majorité silencieuse, pendant ce temps, s’enferme dans un attentisme qui peut encore réserver des surprises. Traditionnellement, les Québécois ont pu se laisser griser par une pyrotechnie de révolte populaire. Souvenons-nous du flirt momentané avec les idées du FLQ lorsque fut lu à la télévision le célèbre manifeste en octobre 1970. Un frisson s’était alors emparé de bon nombre de gens sensibles à un discours populiste et intellectuellement indigent appelant à la lutte des classes. Mais ils avaient vite battu en retraite, retrouvant leur vieux bon sens qui les place plutôt au centre de l’échiquier politique. Il faut dire que des autorités morales et politiques s’étaient imposées alors pour calmer les esprits et rappeler quelques vérités, dont le refus sans nuance de la violence. Qu’on pense à René Lévesque, au sociologue Fernand Dumont, à Claude Ryan. Les derniers sondages donnent à penser que la majorité silencieuse se refuse aux audaces qui menaceraient l’équilibre social. Changer le gouvernement, certes, mais changer le système, bouleverser les institutions ? Rien n’est moins sûr, et c’est pourquoi la radicalisation venue par la rue ne peut que s’accentuer dans une société orpheline de leaders inspirants.