Combien d’enfants ont joué avec des trains électriques plus ou moins sophistiqués ? Et quand on est vieux, n’est-on pas repris par des désirs d’enfants ? L’essentiel dans le jouet-train, c’est l’absence des voyageurs. Et de vieux élus d’aujourd’hui rêvent d’un train réel… sans voyageurs ! En effet, quand on veut d’un train qui roule à 300 km/h, on a la hantise des gares qui réduisent terriblement la moyenne. Or sans gare… pas de voyageurs. Une contradiction douloureuse, un cas de conscience phénoménal, un défi monumental. Pour tout résoudre, il suffit de bien charger le train au départ pour tout vider à l’arrivée ! Autant prendre l’avion sans escale, allez-vous penser, or enfants, ils n’ont jamais joué avec des avions sans escale, en conséquence, ils tiennent à leur train ! Oui, mais comment faire avaler cette méchante couleuvre LGV aux citoyens ordinaires, qui n’ont entre leurs mains que les moyens de rêves irréalisables ?
Des tonnes de conseillers en communications se sont penchés sur le sujet, eux qui savent depuis quelques années vous vendre de l’eau pour du vin blanc sans alcool (ce qui en rend le prix excessif). Ils ont cherché un bon moment la déesse qui pouvait leur sortir l’épine du pied ou qui pouvait, plus concrètement, mettre de tels trains sur des rails. Rien de mieux que d’en revenir aux Grecs qui ont tout inventé, mais en 2010, les Grecs c’est l’anti-référence et en appeler à une déesse grecque ça risque de friser la provocation. Tout d’un coup, les idées les plus simples devenant après réflexion, les meilleures, pour un train devant rouler à 300 km/h rien de tel que d’en appeler à la déesse vitesse ! Un des conseillers s’est désolidarisé aussitôt du groupe par une pirouette pleine d’allusions : « ça Concorde pas ! »
Avant de présenter la trouvaille à des élus de plus en plus fébriles, la déesse vitesse fut vêtue de quelques beaux atours. Le plus indispensable, l’habit de la mater qui nous renvoie au grec mêtros (on n’échappe donc jamais aux Grecs ?), et c’est métropolis, la métropole qui en France est le pays même (la mère patrie) mais aussi les villes-capitales du pays. Du train au métro, il n’y a qu’un pas, sauf que le métro vient de l’anglais comme le fait qu’il y a des stations de métro! Sur les premières voies de chemin de fer roulant à gauche, les gares étaient des stations. Le terme français gare a fini par s’imposer. Pour la LGV, il faudrait un autre terme que celui de gare, et c’est là un autre habit indispensable ! Les Anglais ont refusé le système métrique, l’Euros et roulent à gauche. Sur la LGV les trains continuent de rouler à gauche, il faudrait donc en revenir à la formule : « La station LGV ». Un retour à l’anglais c’est chic !
Bref, muni de la métropole et de la station, voilà que la déesse vitesse est présentée aux élus qui inévitablement tombent aussitôt sous le charme ! Un seul se désolidarise aussitôt du groupe par une pirouette pleine d’allusions qui disait ceci : « Mes amis, en juillet 1985, à la gare de Rivesaltes, j’étais à la fenêtre et à l’arrêt j’ai vu cinq personnes descendre. Devant la gare, cinq autres personnes attendaient quelqu’un qui n’est visiblement pas descendu et le premier dit à celui qui semblait le chef du groupe :
- On a du se tromper d’heure !
Après une pause calme et tranquille une autre personne a glissé :
- Non, je suis sûr qu’on ne s’est pas trompé d’heure mais on a dû se tromper de jour !
Après une pause calme et tranquille une autre personne a glissé :
- Ecoutez, je suis sûr qu’on ne s’est trompé ni d’heure ni de jour. On a dû se tromper de semaine !
Le train commençait à avancer tout doucement et le petit groupe pas affolé pour un sou, prenait le chemin de la sortie. Mon ami Lillois qui avait suivi avec moi cette conversation m’avoua désespéré : - Voilà, ce sont des Méridionaux !
Aujourd’hui seulement, je comprends. Il faudrait qu’on devienne des Lillois. Eux ont leur mérite, nous avons les nôtres. Allez manèges, roulez…
10-04-2010 Jean-Paul Damaggio
P.S. Toute ressemblance avec des personnes existantes n’est pas seulement une coïncidence.