Toulouse, petite réunion autour du cas du Mexique. Non le crime organisé n’est pas venu jusque là, mais à écouter les uns et les autres j’ai senti le souffle de la pieuvre sur mes épaules. Je l’affirme sans hésiter, j’aurai refusé le renvoi dos à dos d’Hitler et Churchill. Et j’entends alors une voix : "Mais pourquoi choisir ? voilà une fausse question !"
Quand j’entends que le crime organisé au Mexique, c’est un épiphénomène, une manipulation du régime pour faire oublier sa nature, une simple augmentation d’un crime ordinaire etc. je repense à l’art employé par certains révolutionnaires pour dire : « la question ce n’est pas celle du fascisme mais celle de la structure même du capitalisme, le danger fasciste est manipulé pour faire revenir les égarés dans le giron du capitalisme ordinaire ; de toute façon y–a-t-il plus criminel que le régime capitalise ? etc. »
On a le droit de combattre le capitalisme sans être obligé de dire n’importe quoi. Hier le terme « capitalisme » était connoté mais depuis que Sarkozy veut le « moraliser » il a repris sa place dans le langage commun. Pour moi, il a toujours été le lieu d’un mouvement symbolisé par la phrase célèbre du Guépard : « Tout changer pour que rien ne change », preuve que parfois la littérature peut en dire sur le monde autant que l’économie. Donc le capitalisme n’est pas comme le socialisme à la soviétique, un bloc, mais une contradiction où les peuples ont une marge de manœuvre qu’ils arrivent parfois à utiliser à leur avantage. Et cette contradiction peut aller dans certains cas vers une forme fasciste.
Et le Mexique est un très bel exemple.
En 1936, c’est là où pour la première fois dans le monde on a nationalisé… une entreprise US. La proximité des USA n’explique rien, même si depuis des années ce pays, par le TLC a ligoté le pays. Il arrive que la classe dominante se laisse aller à dire : "plutôt le crime que la révolution."
En 1995 le Mexicain vedette c’était le sous-commandant Marcos et aujourd’hui ce sont les Narcos, ou le plus grand milliardaire du monde Carlos Slim.
La classe dirigeante ayant pris conscience de la capacité révolutionnaire du Mexique aurait-elle laissé se développer le crime organisé pour l’anéantir ? Comme en Allemagne Hitler a été l’instrument de l’élimination du parti communiste dont les dirigeants habituels n’arrivaient pas à se défaire ? Je penche pour cette thèse à condition qu’on travaille à élaborer la contre-thèse !
Quand j’entends que le développement du crime organisé c’est la conséquence quasi inévitable du chômage, de la crise, je réponds que le lumpenprolétariat ne date pas d’aujourd’hui et avec une telle analyse parcellaire, il est impossible de faire face.
Quand j’entends que la libéralisation du marché de la drogue permettrait, comme au temps de la prohibition, d’en finir avec le crime organisé, je le répète je sens alors le souffle de la pieuvre sur mes épaules. La drogue est un des marchés du crime parmi d’autres. Il m’est arrivé de participer en 1988 à la campagne de Pierre Juquin qui luttait pour le cannabis en vente libre. Aujourd’hui, présenter la mesure comme un rempart contre le crime organisé, je souffre, je souffre.
Que faire ?
Au risque de choquer j’aime souvent en revenir à Lénine. A la lutte sur les deux fronts qu’il a théorisée dans un livre au titre peu lisible aujourd’hui : « le gauchisme, la maladie infantile du communisme ».
Il conduisait son combat à la fois contre le capitalisme et le gauchisme en différenciant bien les deux ennemis (il ne s’agit pas de faire un parallèle actuel entre gauchisme et extrême-gauche). Et tous les révolutionnaires authentiques (donc démocrates) ont été confrontés aux deux fronts.
En 1938, lutter contre le fascisme et le capitalisme de Churchill étaient deux luttes différentes, aussi indispensables l’une que l’autre, mais à la forme totalement opposée. L’une devenait plus prioritaire que l’autre. Pas pour favoriser le moindre mal (pourquoi ne dit-on pas le moindre bien ?). Mais pour arrêter les faibles mobilisations contre l'estrême-droite. En fixant l’horizon du front populaire, les foules furent au rendez-vous.
En 1935 le PCF, face au fascisme, a accepté de se refonder. Parfois sous les sarcasmes d’amis socialistes qui jugeaient qu’il s’embourgeoisait en acceptant le drapeau tricolore, Jeanne d’Arc, et la République. Il a alors joué un rôle difficile (en son sein les fascistes masqués ont mis les voiles) qui a porté ses fruits, après quelques péripéties, pendant la Résistance.
Il avait compris que celui qui se propose de vous tuer au coin de la rue pour le plaisir de tuer, ne représente pas le même danger que celui qui vous tue à petit feu car il vous exploite.
Le drame du fascisme (et le crime organisé en est une des versions actuelles) consiste à favoriser, y compris chez les démocrates, la confusion entre la vie et la mort. Le slogan de « viva la muerte » n’a pas été un accident de parcours du franquisme.
Non, je n’écris pas un texte abstrait : derrière chaque mot, j’ai des visages que je pourrais présenter plus en détails. Et c’est ça qui me fait peur. A suivre.
21-04-2011 Jean-Paul Damaggio