6 octobre 2013 Rolando Cordera Campos sur La Jornada
Chili : 40 ans après, les petits-enfants sont la relève
Un réveil de la jeunesse et des adolescents a inondé les commémorations du coup d'Etat réalisé par les forces armées en 1973 contre le gouvernement légitime du Président Salvador Allende, pour honorer l'orgueilleuse patrie de Gabriela Mistral et Pablo Neruda après une longue et douloureuse nuit.
Aujourd'hui, après quatre décennies d'assaut criminel soutenu et même orchestré par des organismes nord-américains sous les ordres de Henry Kissinger, on peut dire que la nuit est derrière, non sans une trace de colère et de tristesse et sans effacer le chagrin des naufragés du coup d'Etat qui accusent maintenant la gauche de mensonges et la droite de traîtrise.
Les nouvelles récurrentes de l'information à la télévision et dans la presse conservatrice qui domine les médias au Chili, c'est un murmure de réclamations renouvelées de citoyens demandant la vérité et l'histoire, un murmure qui s'est imposé en septembre pour donner au souvenir une autre couleur. Une peinture murale à l'entrée de la bibliothèque universitaire privée Diego Portales dit tout : trois militaires brûlant des livres rafraîchissent la mémoire de jeunes qui disent et nous disent : «plus jamais ça !».
Ces derniers jours, le gouvernement du président Piñera a décidé de déplacer plusieurs militaires accusés de crimes contre l'humanité, logés dans une prison de haute sécurité luxueuse, vers une autre où les privilèges sont moins nombreux. Un des généraux déplacé, le général Mena, qui jouissait du week-end de congé familial, a choisi de se tuer avec une balle, et sa famille, ses amis et collègues ont organisé une campagne furieuse contre le président de la droite, l'accusant d'une «torture psychologique» qui aurait conduit le général responsable des travaux de la sinistre CNI, au suicide.
Sous la façade de cette indignation familiale, beaucoup de militants de droite de près ou de loin complices du coup d'État militaire ont accepté la position prise par Pinera, qui a ouvertement condamné le coup d'Etat et la dictature, tout comme les actes contre les droits humains transformés en principale forme de gouvernement du dictateur et de son entourage. Par cette attitude quelque peu inattendue du président-entrepreneur, un grand groupe de professionnels et d'entrepreneurs Chiliens a signé un manifeste contre les dictatures et les violations des droits de l'homme, rejoignant le «plus jamais ça» criant et chantant dans les manifestations de ces jours derniers .
La particularité de l'affaire, c'est que les signataires se sont définis comme "quadras" et partisans ou membres des partis de la Rénovation Nationale et de l'Union démocratique indépendante, dont ils exigent des dirigeants qu'ils abandonnent leurs déclarations respectives de remerciements à l'armée pour le coup d'État contre Allende.
Quarante années longues et mouvementées, ont servi pour qu'une culpabilité et une conscience, une mémoire et une revendication historique profonde, murissent dans le souvenir, jusqu'à l'impuissance pour aboutir à un nouvel espoir de renouveau de la démocratie chilienne. Très réticents au cours des premières années de retour de la démocratie, pour déployer des dispositions efficaces afin d'aller au-delà de la récupération de la liberté politique et de nouvelles formes de gouvernance et d'organisation de l'Etat, aujourd'hui ils revendiquent à plusieurs voix et d'âges différents, le besoin de retrouver leur engagement initial et historique pour plus de justice, d'équité et de protection sociale, pour plus de démocratie et de liberté, tel que le voulaient Allende et les siens.
Une plainte rauque et ferme de la jeunesse des écoles et des étudiants a marqué l'évolution du Chili de ces dernières années. Leur mobilisation a été constante et persistante et ils sont maintenant à la recherche de moyens pour relancer la nécessité d'un enseignement authentique et sans restriction comme un bien public, en l'arrachant au statut auquel voulait la soumettre Pinochet et ses Chicago Boys . [...]