"Né à Guayaquil, Aguilera était un réformateur, et sa politique à l'égard des compagnies pétrolières américaines lui attirèrent nombre d'ennemis en particulier en 1981, où il présenta au congrès équatorien sa nouvelle loi sur les hydrocarbures. Roldós et sa femme fondèrent Partido Pueblo, Cambio y Democracia. Il fut président de l'Équateur de 1979 à 1981 pendant un bref affrontement militaire qui opposait son pays au Pérou en 1981. Il est mort dans le crash d'un avion en 1981 près de la frontière péruvienne. Les huit autres passagers sont morts également dans le crash." Wikipédia France
Comme chaque année, nous publions ici un écho du festival de cinéma latino-américain qui se tient à Toulouse[1] avec un coup de projecteur sur le magnifique documentaire concernant la mort de Jaime Roldós qui nous raconte en réalité deux morts étranges : celle de l’accident d’avion du président de l’Equateur et celle du mésusage ensuite de son nom dans la politique de ce pays.
Cet accident intervenu le 24 mai 1981 a pu passer inaperçu en France, le pays étant pris par sa propre actualité, en conséquence le documentaire permet de revisiter une histoire méconnue. Nous quittons ainsi le cas Pinochet ausculté sous tous les angles pour le modeste Equateur où la politique est finalement une question familiale.
L’histoire
Au tournant des années 78, Carter ayant assis sa présidence, la politique des USA change et les dictatures des Amériques vont peu à peu disparaître. L’Equateur sera pionnier en la matière grâce à des divisions importantes dans l’armée, divisions provoquées par les luttes populaires. Une partie de l’armée ne veut plus servir d’armée de répression. Mais une autre partie se fait le relais de l’opération Condor et il n’est donc pas surprenant d’apprendre que la première mort violente du court mandat de Roldós est celle d’un militaire loyaliste.
Jaime Roldós est présenté dans le film, avec documents à l’appui, comme un adversaire déterminé des dictateurs et tout indique que sa mort a été commanditée par les maîtres de l’opération Condor conduite par l’union Pinochet-Viola (dictateur argentin) mais le grand mérite du film n’est pas de chercher des coupables mais seulement de remettre le président dans une histoire plus large.
Cette histoire a été masquée et l’intérêt du film c’est d’abord les secousses qu’il produit là où les événements se sont produits. Avec le parti politique né après la mort de Jaime, le Parti Roaldiste ce fut un hold-up organisé par le beau-frère pour attirer sur lui la popularité du jeune disparu. Un hold-up qui a masqué à la fois le combat de Roldós et les raisons de sa mort.
Comprendre
A chercher des coupables tout porte à désigner des responsables or pour le réalisateur, l’essentiel c’est de comprendre l’enchaînement des faits ce qui donne au documentaire un suspens plus global qu’un film ordinaire. Chaque morceau du puzzle se met en place non pour une lecture univoque, mais pour au contraire une approche aux multiples entrées. C’est exactement comme l’introduction hésitante pour désigner le point de départ de la mort. Voilà une œuvre d’art qui réussit l’exploit de rendre simple un enchaînement, sans en masquer à aucun moment la complexité ! Un pari gagné sans doute parce que les réalisateurs Manolo Sarmiento et Lisandra Rivera débutèrent les recherches en 2006, pour le 25 ème anniversaire de la mort de Jaime Roldós et le terminèrent seulement en 2013 !
Je ne sais si je vais être capable de rendre cette complexité mais je tiens à essayer.
Nous ne sommes pas face à un système mais face à des contradictions au sein de l’armée, au sein de l’appareil d’Etat, au sein du peuple, au sein des partis, au sein de chaque individu.
Nous ne sommes pas face à un système qui élimine l’action des individus même si finalement l’action des individus peut être broyée par un système.
Dans un entretien sans complaisance avec le réalisateur j’ai relevé quelques éléments qui vont éclairer mon propos.
La parole au réalisateur
Jaime Roldós a été remplacé par son suppléant Osvaldo Hurtado toujours vivant. Pourquoi n’est-il pas interrogé ?
Le réalisateur considère que ce qui compte ce sont les faits, les actes, en conséquence, Hurtado, en nommant ensuite comme ministre de la défense l’Amiral Sorroza (représentant de forces conservatrices que Jaime voulait révoquer), en acceptant la version de la mort fournie par les militaires (un simple accident), a eu une position claire. Seule l’histoire compte, pas les propos qu’ensuite cet homme pourrait tenir sur l’histoire.
Les personnes interrogées appartiennent aux éléments périphériques.
Même question pour le fameux Sorroza et même réponse : d’une part il semble qu’il soit mort et d’autre part, le fait historique c’est ce qu’il a dit à la commission d’enquête en 1982.
Oui mais pourquoi ne pas avoir donné la parole à Jaime Galarza Zavala, l’homme qui a écrit un livre sur le sujet, livre évoqué par un des personnages dans le film[2] ?
Et en effet, le spectateur imagine, quand ce livre apparaît, qu’ensuite nous aurons la version de ce chercheur, mais ce n’est pas le cas et ce n’est pas le cas dans la réponse du réalisateur à la question posée :
« - Nous avons bien sûr rencontré Jaime Galarza et nous l’avons interrogé. Il a beaucoup d’informations. C’est une source secondaire comme tant d’autres témoignages que nous n’avons pas pu mettre dans le documentaire final. Notre film n’a pas les mêmes objectifs que son libre. Il prend une autre direction mais cependant nous respectons ses critères et nous reconnaissons son rôle important pour la remise en cause de la vérité officielle. »
J’en suis réduit à soupçonner que Galarza avait pour but d’établir une nouvelle vérité face à la vérité officielle alors que pour le film, l’objectif est moins la quête de vérité que le développement de la capacité à mettre en relation des événements. Le film dure deux heures, une heure pour éclairer (et non résoudre) l’accident mortel, et une heure pour étudier aussi la deuxième mort qui, sans doute, dans le livre de Galarza doit être absente (mais bien sûr j’aimerai vérifier).
Le film est interdit en Equateur dans les salles possédées par Supercines dont le propriétaire est israélien (30% des places dans le pays) : les dirigeants demandèrent de voir le film avant de le projeter ! Or dans le film est reprise la dénonciation féroce par Roldos de León Febres Cordero lié à l’industrie militaire israélienne dont l’Equateur a acheté des K-fir[3]. Y-a-t-il un lien entre les deux faits ?
Par cette question et cette réponse on vérifie le souci professionnel de Sarmiento qui répond seulement : « Je ne sais pas. » Quand il ne sait pas, il ne fait pas d’hypothèses, de bavardages, il ne sait pas, et point à la ligne.
Autre exemple avec cette question posée : est-ce que la mort en six mois et toujours par accident d’avion du président du Panama Omar Torrijos, du président de l’Equateur, du Ministre de la défense du Pérou Miguel Hoyos et de deux ministres de la défense de l’Equateur fut une coïncidence ? Impossible de donner une réponse.
Les enfants du président
Le président meurt avec son épouse et ils laissent trois orphelins : deux filles et un garçon qui témoignent pour le présent. Un fille qui vit au Mexique pense plus à sa thèse sur l’évolution du salaire des ouvriers mexicains qu’à l’histoire de son père. L’autre montre de la bibliothèque familiale les œuvres complètes de Bolivar. En fait une des figures du film, c’est le fils destiné à être l’héritier et qui s’est destiné au rôle de comédien, un comédien qui se moque du pouvoir alors qu’il avait tout pour accéder au pouvoir comme le fera son oncle, un frère de sa mère, qui va créer un parti du nom de Roldos !
C’est ainsi que le documentaire est plein d’humanité, de sensibilité et en même temps d’information historique majeure. Le beau-frère Abdala Bucaram (qui sera peu de temps président) prétend connaître les responsables de la mort et s’insurge qu’on ne soit pas venu l’interroger. Une fois de plus il aurait voulu utiliser le cas Roldos au profit de sa propre image qui, le film le montre dans une séquence est l’inverse de celle de Jaime. Magnifique ce film car il lutte contre les bavards : les images suffisent quand, après des années de recherches elles sont choisies au millimètre
Jean-Paul Damaggio
[2] Richelieu Levoyer, commandant général de l’Armée dans le gouvernement de Roldós. Il évoque la possibilité d’un attentat.
[3]En 1981 Le Pérou envahit l’Equateur et aussitôt l’Equateur est obligé d’acheter des armes pour se défendre. Reagan devenu président autorise aussitôt l’achat d’avions israéliens ce qui entraîne des dépenses qui ne permettent plus les mesures sociales d’où les grèves qui vont se produire… Dans le film Raúl Falconí, ambassadeur d’Equateur à l’OEA pour le gouvernement de Roldós pense que cet affrontement a été fabriqué et il montre les contradictions mêmes au sein de l’équipe du président, le ministre des affaires étrangère lui donnant des ordres opposés à ceux de Jaime.