Nous redescendons déjà vers le sud (4 heures de bus), vers Iquique et au croisement de la panaméricaine et de la route vers la petite ville (150 000 habitants) des travailleurs ont réussi à conserver un monument à la gloire de leur quête du salpêtre. Comme au musée d’Arica, une belle brochure est donnée au visiteur pour mieux comprendre les lieux. Il existe même une traduction machine faite en français : une traduction machine c’est la traduction automatique qui se reconnaît car pueblo est toujours traduit ville ou village mais jamais peuple.
Vous devinez tout de suite ma préoccupation : y parle-t-on du syndicalisme ? Le hasard fait que cette usine, Humberstone, a connu une lutte si historique au Chili qu’elle ne pouvait passer inaperçue : 2000 morts et autant de blessés le 21 décembre 1907. Totalement incroyable !
La visite de l’usine Humberstone aujourd’hui, permet de comprendre la modeste revendication. En fait d’usine, il s’agissait d’une ville en plein désert où les familles étaient là à demeure, et en guise de salaire les ouvriers étaient payés d’une monnaie seulement utilisable dans l’enceinte de l’usine, las Fichas. Le document distribué aux touristes indique :
« Nous devons ajouter que le système de « fichas » a constitué le pas le plus avancé de l’exploitation de l’homme par l’homme et il a donné naissance aux premières luttes sociales qui ont provoqué de fortes répressions atroces comme les meurtres dans les usines « Ramirez » et « La Coruna » et le tristement fameux meurtre de l’Ecole Sainte Marie d’Iquique, le 21 décembre 1907 où environ 2000 personnes, des hommes, des femmes, des enfants, d’après les calculs les plus sérieux, sont morts criblés de balles des soldats de l’armée. La quantité de personnes blessées fut équivalente. »
Si la Guerre du Pacifique est assez connue, la guerre civile qui s’en suivit l’est moins or elle est encore plus parlante : elle a opposé en 1891 le camp à la solde des grosses entreprises (les vainqueurs) et les autres.
Ils étaient 40 000 à travailler pour le salpêtre dont 13 000 venaient du Pérou et de Bolivie sans doute pour faire les travaux les plus pénibles.
Le 10 décembre, après la décision d’une grève générale, avec des drapeaux chiliens, péruviens, boliviens et argentins des milliers d’ouvriers sont arrivés à Iquique pour demander à être entendu. Ils venaient de la pampa et on les appelait los pampinos.
Les revendications étaient nombreuses :
- être payé en monnaie du pays
- avoir des commerces concurrents dans l’usine
- sur les conditions de sécurité
- des locaux gratuits pour créer une école du soir à destination des ouvriers
- interdiction de licencier les grévistes
- obligation d’un délai de 15 jours avant tout licenciement.
Cette action dure faisait suite à des pétitions sans réponse faites depuis 1901.
Aussitôt le gouvernement décida d’envoyer dans la ville trois régiments pour aider les deux qui étaient dans la ville et surtout, la marine avec des troupes de débarquement.
La grève ne faisait que s’étendre et le 21 décembre ils étaient entre 10 000 et 12 000 ouvriers en grève occupant Iquique.
Comme toujours les patrons anglais n’acceptaient de négocier que si les ouvriers reprenaient le travail…
Dès le 20 décembre, l’état de siège étant décrété, 6 ouvriers furent abattus.
Le lendemain le général Roberto Silva Renard, et le colonel Ledesma, eurent l’ordre de déloger les travailleurs en grève qui étaient dans l’Ecole Santa Maria. L’ordre a été donné à 14h. 30, aux dirigeants du comité que s’ils ne sortaient pas, ils ouvriraient le feu. La menace fut répétée à 15 h. 30. Seul un petit groupe de travailleurs est sorti. Les soldats ont tiré. Les ouvriers ont tenté de fuir. Ils ont été pourchassés.
Dans un premier temps le général parla de 140 morts. Tous les historiens s’accordent sur environ 2 200 morts ! Ils furent enterrés dans une fosse commune jusqu’en 1940 quand les restes furent exhumés et enterrés correctement. C’est seulement en 1920 que des lois sociales permirent enfin un salaire en argent.
Sans entrer plus dans le détail, il n’est pas inutile d’observer que dans le monde, 1905-1910 et l’année 1920 furent celles des plus grandes luttes sociales du début du siècle. Pendant longtemps, les mouvements sociaux sur la base de raisons locales, entraient dans un mouvement international. En 1938 le Frente popular gagne… au Chili !
Jean-Paul Damaggio