(ci-contre : une partie du compte-rendu du débat de Montech dans la Dépêche du 19-02-2009)
Au cours du débat à la Bibliothèque de Montech une question, paraissant anodine, a été posée sur les liens éventuels entre Léon Cladel et le peintre montalbanais Marcel Lenoir. Ce dernier avait 20 ans au moment du décès de l’écrivain et il n’a pas dû y avoir de lien direct. Nous pourrions comparer l’état d’esprit des deux artistes pour aller plus loin. En fait, la question a l’immense mérite de nous pousser à étudier les liens exceptionnels entre Léon Cladel et la peinture. Quand le sosie de Léon apparaît enfin dans la nouvelle Montauban-Tu-Ne-Le-Sauras-Pas nous lisons (p.300) : « Le moutard, qui certes eût bien préféré qu’on le laissât peindre à fresque sur les murs de ce grenier… ». Et son père aura ensuite la réponse quand « le moutard » s’échappera pour Paris où il « broyait la couleur en vrai rapin » : « Que ce badigeonneur enragé reste là-bas tant qu’il voudra disait l’agromane à sa femme qui se désolait sans cesse, moi, vois-tu, je n’irai pas le chercher ! »
C’est en écoutant la question à Montech que j’ai compris tout d’un coup le titre bizarre du livre annoncé mais jamais publié : Images versicolores. « Versicolore : se dit des plantes dont les pétales changent de couleur au cours de la floraison ». Pour ce livre, Léon Cladel avait décidé de rassembler des nouvelles écrites à la manière de peintres ou de sculpteurs ! Il existe de tels textes dans Seize morceaux de littérature. Voici la liste des artistes retenus dans l’ordre du projet : David, Watteau, Barye, Bracquemond, Murillo, Joseph Stevens, Gros, Géricault, Rodin, Courbet, Teniers, Delacroix, Ingres, Corot, Millet, Puget, Carpeaux, Rude, Phidias, Troyon, Rembrandt, Michel-Ange, Raffet, Rubens, Goya, Scopas, Gavarni, Zeuxis, Dürer. Quel musée !
On y trouve Delacroix juste à côté d’Ingres ce qui nous renvoie inévitablement vers cette autre citation de Montauban-Tu-Ne-Le-Sauras où le sosie de Léon se situe parmi : « les préceptes des amants de la ligne contre les doctrines des passionnés de la couleur » c’est-à-dire « d’Ingres à Delacroix ». Une fois encore Cladel veut assumer, et non nier ou repousser, les contradictions. Ingres « l’amant de la ligne » n’est-il pas de toute façon un grand de la couleur ?
Pour Delacroix la nouvelle s’appelle : L’Emir Abd-el-Zikkar prêchant la Guerre Sainte. Il s’agit de la couleur dite orientale de Delacroix, dont mon ami Rosendo Li démontra autrefois qu’elle n’avait d’orientale que le nom. Pour Ingres, le titre est : Martyre d’une chrétienne. Pour Cladel, « peindre à la manière de » c’était s’inspirer d’abord d’un sujet propre au peintre. On peut le vérifier également avec Millet dont l’écrivain était un admirateur : la nouvelle s’appelle Ouailles et pâtres normands. Que pouvait-il écrire pour Rembrandt ? Images versicolores, c’est donc écrire comme on construit une image ; d’autres pourraient aujourd’hui titrer, car ils s’inspirent du cinéma : Films versicolores. Ceci étant cette question du style ne doit pas nous écarter de la question de fond, le sens de l’œuvre, aussi terminons par Montauban-Tu-Ne-Le-Sauras-Pas, quand le critique savant commente une des deux peintres du sosie de Léon et dit à son sujet :
« C’est un roublard, et je le prouve immédiatement : analysez ces bêtes, ânes, moutons ou bœufs ; en avez-vous vu jamais de semblables ! Elles ont en elles on ne sait quoi de fantastique, une pensée, une âme qui n’appartient pas à la nature animale ; et ce que je dis de l’animal on peut le dire du végétal : là, cet orme, sous le feuillage duquel la maison est ensevelie, examinez-le attentivement, affecte aussi lui, vraiment, une allure… comment m’exprimerai-je ? humaine, souverainement fausse, archi-fausse, purement romantique ! et l’on est obligé d’avouer que votre prétendu réaliste fait de chic ; cet arbre, je l’affirme, est absurde et chimérique. Hé ! ce que j’avance ici, je le répèterai partout et on verra… »
Le père, qui a fini par aller à Paris, et découvre la peinture, l’arrête et répond : « Il existe cet orme ; il est chez moi ! Venez en Quercy l’un de ces quatre matins, et je vous le montrerai sur le pas de ma porte à Monte-au-Ciel en Tarn-et-Garonne. Ah ! tenez, voulez-vous que je vous conte, honorable monsieur ? Eh bien, vous me faites exactement le même effet que la bourrique de Nicodème ». Des Images, pour une fois de plus, assurer la victoire de la vie ! (de la vie vivante comme on dit en occitan). 19-02-2009 Jean-Paul Damaggio