Félix-Marcel Castan et les contre-capitales
Les journées de Larrazet ont décidé cette année de balayer toute l’action de Félix-Marcel Castan. Je ne retiens que son analyse et son combat contre le centralisme évoqué par Claude Sicre à partir de la notion de « contre-capitales.»
L’idée est la suivante : face à Paris (où à côté de Paris) il s’agit de construire des contre-capitales capables de synthétiser des démarches culturelles originales et authentiques (qui ne seraient pas une sous-traitance de la culture nationale ou internationale). Castan serait l’inventeur de cette stratégie géniale qu’il suffirait de généraliser à la France entière pour enfin la transformer en profondeur. Comme Castan aurait voulu que la démarche du Trait d’Union, journal de Larrazet, se généralise, alors qu’à Larrazet même, elle a changé de nature : si au départ c’était la jeunesse, comme il le souhaitait, qui dirigeait le journal, Félix a ensuite eu du mal à admettre que la Maison des Jeunes devienne Maison de la Culture (vu la difficulté de passer le témoin aux générations suivantes).
Dans les carnets de route (n°5) F-M Castan rappelle ce principe de contre-capitale à partir de cette clef de son système : « Le champ culturel est peut-être le seul champ d’action qui ne soit le prolongement QUE de lui-même ». Il s’agit ici de la création-action culturelle à ne pas confondre avec l’animation culturelle. Les contre-capitales sont donc des lieux capables de ravir à Paris, qui a confisqué la nation française, le rôle de pôle culturel authentique sur la scène du monde. J’ai souhaité intervenir brièvement dans les débats car, tout en mesurant l’importance du combat anti-centraliste, j’ai des doutes sur le prolongement pratique avancé. D’où mes trois observations :
1 ) Des pays avec des contre-capitales authentiques, il n’en manque pas. Le plus connu est l’Italie où par exemple, en ce qui concerne la presse quotidienne, Rome, Milan, Turin publient des quotidiens de portée nationale et internationale. Il n’y a pas comme en France les journaux nationaux venant de Paris et à côté les journaux provinciaux, mais des identités fortes liées à l’histoire. Est-ce que le phénomène contre-capitale a résolu les problèmes culturels de l’Italie ? Le pays n’est pas centraliste mais la culture dominante y est très puissante (je laisse d’autres le soin d’analyser cette culture dominante).
2 ) Claude Sicre, grand admirateur des USA, pourrait-il établir un pont entre la stratégie des capitales version USA (qui fait que New York est capitale de rien aux USA) et la version Castan qu’il défend avec ardeur ? New York se veut en fait la capitale du monde !
3 ) Pourquoi, en se changeant en capitales multiples, la capitale unique qui désertifie le pays, ne répercuterait pas le problème dans les régions? D’autant que dans notre région, Toulouse est déjà un facteur grave de désertification, et culturellement de mépris envers les villes environnantes !
Pour toute réponse j’ai retenu que les cas étrangers n’ont rien à voir, que pour les USA il suffit d’y aller pour changer de point de vue à l’égard de ce pays, et qu’en faisant échouer les expériences toulousaines comme le Marathon des mots, tout ira mieux ! Or, j’entends les mêmes dire que, quand par Marseille capitale européenne de la culture, le Massilia Sound System peut récupérer de l’argent des « centres » les plus divers, c’est une bonne chose ; mais que quand Toulouse reçoit de l’argent des différents « centres » pour le Marathon des mots, c’est Paris qui descend à Toulouse et il est regrettable que des Occitanistes par exemple, aillent cautionner le système en demandant des aides financières ! Pour le moment, au Marathon des mots, je suis allé écouter l’an dernier des écrivains algériens, et l’année avant des écrivains latino-américains qui n’étaient pas la parole de la culture parisienne ! C’est le moins qu’on puisse dire !
Mais, va-t-on me répondre, le problème c’est que cette initiative détruit les initiatives locales vu l’argent englouti ! J’entends l’argument mais les sommes colossales pour Marseille capitale européenne de la culture n’ont pas en principe le même but, le même effet ?
Dans un monde où se développe le féodalisme, je maintiens que la notion de contre-capitale ne règle rien pour combattre le centralisme. Pas plus d’ailleurs que la notion de réseau, le plus grand des réseaux du nom d’internet n’ayant pour vocation essentielle que de renforcer les pouvoirs des centres (ça nécessiterait un article en soi). Quelqu’un a parlé de « démocratie culturelle » une notion qui a été incapable elle aussi de résoudre le problème. Alors que proposer ? Sortir des affirmations péremptoires, en revenir au réel sans chercher à le faire entrer de force dans une théorie établie (l’autonomie de la création culturelle), et faire chacun ce qu’il peut, là où il peut. A ce titre, l’existence atypique des Editions La Brochure que j’anime, comme d’autres actions, doit beaucoup au combat de Félix-Marcel Castan. A une différence prêt : à tirer les leçons de cette expérience, nous n’aurons pas l’occasion de nous plaindre des subventions non reçues. 15-11-2008 Jean-Paul Damaggio