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5 juin 2008 4 05 /06 /juin /2008 09:37
Harari-BiroLe décès de Clément Harari

 

Clément Harari, acteur de théâtre puis de cinéma vient de décéder. Au cours de sa vie il croisa dans le Gers Max Biro et ils se racontèrent leur vie. Max décida de publier le récit de la jeunesse de l’artiste et c’est devenu, publié aux Editions la Brochure : La jeunesse de Calmoun, format A5, couverture couleur (une peinture de Max) 144 pages, 12 euros. ISBN : 978-2-917154-11-3

Nous vous offrons ici le premier chapitre de ce livre.

 

" Brahim conduisait une vieille Hillman des années 50, pas trop pourrie, poussive, un peu cabossée, rouillée, petite pour un taxi.

Il allait vers l'aéroport.

Le mois précédent, il avait trouvé un américain, l'avait transporté, 15 jours, avait rendu services, hôtel, restau, kif, putes : «une fille de la bonne société, 17 ans, pas cher»... « Un petit jeune, non ? »

Il avait payé ses retards de loyer avec le plumage du pigeon.

Brahim arrivait vers la station de taxis de l'aéroport.

Il vit, son prochain client.

«OUI BON ! Yom saïd».

 

Sur le trottoir, un homme, sa valise ouverte, laissant les chemises, une trousse de toilette se répandre dans la poussière, les papiers gras et les mégots.

L'homme avait une soixantaine d'années, pas grand, plutôt gros, rouge de teint, ce rouge des rouquins, teint immuable quand les cheveux sont devenus blancs, une petite barbiche de docteur de Western, un short.

Il était accompagné d'une femme pas très jeune non plus, habillée de clair, très hiératique, irritée de la maladresse de son mari, une femme qui avait été belle, très belle.

 

Brahim planta son taxi là, courut, prit les choses en main, aida à remplir la valise, la referma à peu près.

«Come on, taxi, not expensive, come on, come on».

La femme fit oui de la tête, l'homme reprit la direction des opérations : “Garden city !”

«Garden city OK...». Brahim ouvrit les portes, cérémonieux, rassurant, jeta les deux bagages dans le coffre.

Il allait démarrer.

Un flic l'accroche, «à la queue, tu maraudes, YA 'ars Décharge tes clients vite, vite ! »

« Va te faire enculer».

Des cris, du bruit, une bagarre, le flic s'en va.

Brahim démarre... Brahim à haute voix « Bon pigeon » et souriant, «Hôtel, Sir, GOOD HOTEL ?»

«Garden city !»

«Seventeen kilometers to Cairo Mister, Heliopolis Great circulation, modern, Egypt ! Great country ! Tomorrow, with me, look, beautiful palace !»

 

Le bruit rendait fou Harari, il avait vu le désert, il y a trente ans, ici.

Du taxi, il ne voyait pas l'Egypte de son enfance. L'Egypte n'avait récolté que des moissons de voitures rouillées, embouteillées, et un bruit de cataracte de klaxons.

Le taxi traversait Héliopolis à lentes séquences de routes et de ralentissements, d'arrêts.

Ils passèrent devant une synagogue délaissée.

Le Baron Empain avait dit :

« Je veux être enterré au Paradis terrestre ».

Ici ! Qu'est devenu le Paradis terrestre ?

«Beautiful Egypt, you understand ?»

Harari écoutait cette langue de cuisine et d'aéroport, qui envahit le monde et se limite aux échanges de touristes et aux changes occultes de dollars.

«Mon brave. Te fatigues pas en Anglais ....... Je suis né ici».

Brahim dans sa surprise freina, le conducteur qui le suivait à quinze mètres dans une guimbarde, se mit en travers pour l'éviter et injuria Brahim :

«Qu'une datte noire entre dans le cul de ta mère, la fille de chienne en chaleur, par devant et par derrière ! »

Toute l'adolescence d'Harari l'envahissait à écouter les deux conducteurs.

Les deux voitures se bloquaient côte à côte, feu rouge exceptionnellement respecté ou accident en aval.

Harari baissa la vitre : « Ne t'en fais pas c'est ma faute haak 'aleya».

«Walla» «tu es vraiment Egyptien !»

«Je m'appelle Harari, Clément Harari, ils disent en Europe, ici Calmoun, Calmoun Harari, j'étais le jeune Calmoun, comme ton père et le père de ton père et de son père, aussi loin que tu veux, en djellaba.»

Que reste t'il du petit Calmoun dans ce vieil Harari ?

Il se revoit enfant, sur le balcon de la maison de ses parents à Héliopolis, le balcon d'en face était tout proche, de la rue montait une clameur.

Il voyait comme hier, la foule, les drapeaux rouges, le fleuve à ses pieds de petit garçon de cinq ans, les grands tissus qui flottaient.

Il serrait sa petite main sur la peinture écaillée noire de la fonte ouvragée, un cri que dans un premier temps, on ne distinguait pas dans la clameur, était scandé puis psalmodié : «Saad, Saad».

Toute sa vie le sentiment de fraternité et d’exaltation monterait en lui lors des mouvements populaires, viendrait comme un écho de ce jour, première scène d'un immense opéra, il se raccrocherait, emporté par les flots, parcelle infime !

Fraternité envahissante ressentie, côte à côte, amour romantique, il le cherchera, donnant à sa raison les raisons raisonnables, nostalgie.

Sa mère, les cheveux gris tirés en chignon bien serré, robe bien coupée, moderne, occidentale ou bien jupe et corsage blanc repassé, légèrement empesé, sa mère venait le prendre par la main et le faisait rentrer, dans la grande salle à manger, fermait la fenêtre de la rue.

Elle n'aurait pas pensé révolution, elle ne savait pas ce que c'était.

C'était incongru ce ronflement de la foule, du peuple, alors elle le faisait rentrer.

 

C'était une famille ouverte, allant vers le progrès, mais elle cuisinait pour tous dans une cuisine, petit recoin, sur des réchauds à mèche, orientaux.

Cette femme, pondait tous les deux ans, régulièrement un petit Harari, heureuse pour un garçon, supportant le coup du sort pour une fille !

Comment aurait-elle pu savoir ce qu'étaient ces fleuves d’espérance et de colère se brisant sur le protectorat britannique.

Elle ne savait pas se servir de l'argent, confondait les pièces. Elle ne sortait pas.

Elle ne faisait pas le marché.

Elle vivait une vie parallèle avec les autres femmes de la famille. Elle allait au temple, le samedi, séparée des hommes.

Elle venait d'Alep, ils n'étaient que des Juifs si semblables et si différents des Arabes.

Tout petit enfant avec les Teffilims, et le Talet, toutes les fêtes, toutes, venaient, Pourim, Yom Kippour, Pessah, Souccoth.

 Sa mère l'avait mené jusqu'à la table, ses frères et sœurs tous plus vieux, six, étaient déjà assis.

Son père avait une assiette, symbolique, mais repérait un morceau, et le piquait, seigneurial, chez l'un ou chez l'autre. La mère durant le repas, servait le repas debout toujours debout, derrière son monde, attentive, invisible, présente.

La table était chargée de plats différents aux préférences de chacun, des fils d'abord, mais les filles étaient à l'assaut de leur égalité.

Youssef, appelait la bénédiction de l'Eternel sur la famille, au Shabbat, tous les jours goûtait dans le silence, un premier morceau regardant sa femme, sentencieux oracle, disait : «bien, un peu trop de sel».

Elle ? Elle avait l'impression d'avoir perdu son honneur. Il goûtait alors le riz, le riz quotidien, le Maréchal des aliments. S'il semblait être satisfait, elle retrouvait son active sérénité.

Toujours inflammable, elle se mettait à se plaindre, se lamentant, «Pourquoi es-tu mon mari ? », elle se dirigeait vers la fenêtre, menaçait de se jeter, pour mettre fin à une si terrible vie, puis dans l'indifférence générale, après une scène de vingt minutes, pleine d'imprécations, de lamentations, retournait comme si de rien n'était à ses travaux.

Lors du mariage, le beau-père n'avait-il pas dit la formule rituelle : «Prends la, elle sera esclave en ta cuisine».

 

 

La politique entrait le long de ces repas, le père au courant du moindre fait, en dissertait avec les aînés, garçons et filles, s'opposait ou approuvait les interventions de ses amis invités, mais d'une manière à la fois éloignée partiale et passionnée, ou tel un sage talmudiste serein et désincarné.

L'enfant savait qui était président du conseil en France, quel était le premier port exportateur de riz (Rangoon), ce que faisait la chambre bleue horizon, ce que fut la première révolution russe de 1905, qui était Bêla Kun, l'éphémère dictateur rouge Magyar.

Mais bientôt, la famille quitta Le Caire. "

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